For All Mankind : Critique 3.05 Seven Minutes Of Terror

Date : 14 / 07 / 2022 à 16h30
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Unification


FOR ALL MANKIND

- Date de diffusion : 08/07/2022
- Plateforme de diffusion : Apple TV+
- Épisode : 3.05 Seven Minutes Of Terror (Sept minutes de terreur)
- Réalisateur : Andrew Stanton
- Scénariste : Sabrina Almeida
- Interprètes : Joel Kinnaman, Shantel VanSanten, Jodi Balfour, Sonya Walger, Krys Marshall, Cynthy Wu, Casey W. Johnson, Coral Peña, Wrenn Schmidt et Edi Gathegi

LA CRITIQUE

La troisième saison de For All Mankind en est déjà à son mitan. Alors récapitulons...

Vraisemblablement sous l’emprise de la terreur exercée par le pouvoir totalitaire soviétique, le commandant Grigory Kuznetsov fut contraint de prendre la tête de la compétition sans en avoir les moyens techniques. En forçant abusivement le régime des propulseurs nucléaires de MAPC-94… les moteurs ont fini par lâcher, encalminant les cosmonautes dans l’espace et les exposant à très court terme à un seuil de radiation mortel.
Dans la mesure où Sojourner 1 était en tête (grâce à ses deux gigantesques voiles solaires), fidèle à la tradition de solidarité astronautique très ancrée dans les valeurs pionnières, Ed Baldwin a spontanément proposé d’aller secourir l’équipage russe. C’est à cette occasion que Dev Ayesa aura montré qu’il n’appartenait pas philosophiquement à cette grande famille spatiale, révélant son visage à la fois vénal (gagner la course martienne à n’importe quel prix) et manipulateur (contrôler les votes prétendument démocratiques des employés de sa société faussement collégiale Helios). Avec opportunisme, il aura compris tout le parti à tirer de la situation (rappeler à la NASA sa vocation de service public pour obliger les astronautes de Sojourner 1 à se porter au secours ses homologues soviétiques) et ainsi s’assurer la victoire à leur place. Mais ne faisant visiblement pas confiance à Ed pour se plier à sa décision, un upgrade à distance de l’ordinateur du Phoenix aura privé son capitaine de la possibilité de changer le plan de vol.
Margo n’aura donc pas d’autre choix que de renoncer à la première place de son équipe, et d’ordonner à Danielle d’évacuer l’équipage de MAPC-94… Une opération improvisée dans l’urgence, mais menée avec brio grâce à la compétence des astronautes de la NASA, à l’extrême manœuvrabilité de Sojourner 1, et à un filin tendu entre les vaisseaux américains et soviétiques. Une symbolique se rattachant à la semblable liaison établie entre le Leonov et le Discovery dans 2010 : The Year We Make Contact de Peter Hyams (1984).
Malheureusement, les séquelles de l’accident de combustion auront provoqué un défaut de refroidissement du quatrième moteur nucléaire, engendrant une surpression du réservoir d’hydrogène, avec un risque immédiat d’explosion ou de fuite. La seconde option adviendra. Mais quoique moins destructrice, elle induira une violente poussée imprévue du MAPC-94 menant à une collision latérale avec le Sojourner 1, et tuant successivement l’astronaute Sylvie Kaplan (chargée de filmer l’évacuation), le cosmonaute Oleg Sidorov (dernier soviétique évacué) et l’astronaute Clarke Halladay (supervisant l’évacuation).
Assister dans un silence spatial absolu à l’écrasement de la pauvre Sylvie, piégée entre les deux vaisseaux et parfaitement lucide sur son sort, restera l’un des moments les plus traumatiques de la Hard-SF. La caméra subjective ayant adopté le point de vue de Carke, le choc de l’extrémité du filin sur la vitre du casque de sa combinaison coïncidera avec le fondu au noir final, offrant à l’exceptionnel For All Mankind 03x04 Happy Valley le plus glaçant des cliffhangers.
Un réalisme d’exécution sans faille, rappelant toute la fragilité humaine face à l’indifférence d’un cosmos qui ne pardonne rien...

Si vous ne souhaitez pas vous plonger dans une analyse exhaustive du contenu (fatalement riche en spoilers), veuillez cliquer ici pour accéder directement à la conclusion.

Dans For All Mankind 03x05 Seven Minutes Of Terror, c’est sous une commune bannière funèbre que les équipages étatsuniens et soviétiques commémoreront ensemble les toutes premières funérailles spatiales, relâchant les trois corps défunts dans l’espace (comme le feront tant d’opus de Star Trek et d’autres SF futuristes). Et pour souligner la grande fraternité humaine devant la mortalité, Danielle Poole citera très à propos les paroles du pasteur Martin Luther King : « Nous mourons tous, que l’on soit jeune ou vieux, riche ou pauvre, innocent ou coupable. »
Après avoir siphonné les réserves de propergol du MAPC-94, le Sojourner 1 — dont le réacteur nucléaire n°1 a peut-être été endommagé lors de la collision — remet alors le cap sur Mars. Il est maintenant composé, non plus de six astronautes, mais de huit astro/cosmonautes, quatre Américains et quatre Russes. Soit une parité qui véhicule une symbolique forte dans un monde encore bipolaire et suspendu à cette course martienne.

Autant dire que cette tragédie spatiale combinée à l’égoïsme affairiste de Dev Ayesa auront contre toute attente accouché d’une occasion historique de rapprochement entre les deux blocs... que la nouvelle présidente des États-Unis, Ellen Wilson, saura intelligemment mettre à profit. Ainsi, elle associera pleinement et officiellement l’URSS à la mission Sojourner 1 upgradée à travers le secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev (à l’appui de deep fakes toujours très convaincants). Toute l’élite de la nouvelle agence spatiale Roscosmos (créée apparemment aussi en 1992 mais sous l’égide de l’alter-URSS) sera donc conviée au Johnson Space Center de Houston… dans le cadre de ce que les USA auront l’élégance politique de considérer désormais comme une "mission américano-soviétique".
Tout ça valait bien de renoncer au prestige d’arriver en premier en orbite de Mars...
Les cartes sont ainsi largement redistribuées, et la course vers la planète rouge oppose désormais une équipe bi-gouvernementale à une équipe privée, en somme le pouvoir public (qu’il soit libéral ou communiste) vs. le monde du business (illusoirement utopique).

Le long voyage se poursuit à travers l’éther...
Et dans la continuité de For All Mankind 03x04 Happy Valley, For All Mankind 03x05 Seven Minutes Of Terror est toujours rythmé par les gestes et des procédures techniques dans l’espace, les échanges privés ou publiques entre les vaisseaux et la Terre, la solitude et l’ennui, les contraintes humaines et psychologiques de cohabitation (notamment entre Américains et Soviétiques sur le Sojourner 1 et entre Edward Baldwin et Danny Stevens sur le Phoenix). Si bien que l’épisode oscille entre le docu-drama astronautique et une forme de téléréalité avant l’heure (étant donné la grande médiatisation planétaire de l’événement), un paradigme qui fait curieusement écho à l’excellent film de Hard-SF Europa Report de Sebastián Cordero (2013).

Frappé dans son égo de commandant de bord alpha par les mesures hypocritement aliénantes d’Ayesa — celui-ci ayant ainsi confirmé avoir embauché le vétéran le plus mythique de la conquête spatiale pour faire essentiellement de la figuration médiatique –, Baldwin a néanmoins (et naturellement) suscité la loyauté de son équipage. Du coup, l’informaticien de bord et hacker, Nick Corrado, est parvenu à casser les restrictions imposées par Dev (en restaurant la version précédente de l’OS via un backdoor) peu avant l’arrivée du Phoenix en orbite de Mars. Un affranchissement libérateur dont ne manquera pas de se prévaloir Ed à travers un message vidéo bien senti qu’il adressera au Mission Control Center de Helios Aerospace, telle une proclamation d’indépendance.
Cet acte de résistance jouissif conduira son ex-femme, Karen, à démissionner au grand dam d’Ayesa, puis à lui asséner sans ménagement ses quatre vérités, notamment sur la façon dont il abuse de son charme et de son prestige pour téléguider toutes les décisions collectives. Somme toute, des assemblées truquées… paradoxalement dans la lignée du trotskysme le plus pur.

Alors qu’il n’était pas apparu depuis FAM 02x09 Triage, l’artiste hippie Wayne Cobbs revient sur le devant de la scène durant une longue scène intimiste et planante avec Karen, désormais sans emploi, et à qui il fera découvrir sa spécialité culinaire, les goo balls — un dessert à la marijuana. L’occasion d’avoir quelques nouvelles de sa femme badass Molly qui, malgré sa cécité, s’est contre toute attente lancée dans la peinture… Évincée de la NASA en 1992 dans FAM 03x02 Game Changer, il ne fait guère de doutes que celle-ci réapparaîtra dans les prochains épisodes…

À bord du Phoenix, Danny affiche un comportement de plus en plus équivoque…
Il avait déjà failli brutaliser physiquement dans For All Mankind 03x04 Happy Valley son collègue, le geek Nick, parce que ce dernier avait eu le malheur de citer quelques scènes du très populaire film Love In The Skies (version idéalisée et sexy de la vie et de la mort de ses parents Gordo et Tracy sur Jamestown). Cette fois, Stevens réussira à soutirer du même Corrado le mot de passe administrateur du serveur informatique de bord. Grâce à quoi, Danny accédera à tous les messages vidéo privés de l’équipage, et en particulier à la v-correspondance entre Ed et Karen… qu’il visionnera assidument. Il est du coup possible que la teneur davantage complice que sentimentale des nombreux échanges privés entre les deux Baldwin entretienne un vague espoir chez le pauvre stalker qu’est manifestement devenu Stevens dans cette troisième saison de FAM
Dans le même temps, il ne se privera pas de cuisiner Ed l’air de rien durant un échange "entre hommes" sur Karen et les raisons de leur divorce. Il apprendra que le macho-en-chef n’avait jamais trompé sa femme (comme l’avait effectivement montré FAM 02x09 Triage) contrairement à sa "perfect housewife"... dont il n’ignorait pas l’unique adultère. Mais celle-ci aura eu la prudence de ne jamais lâcher le morceau sur l’identité du céladon d’une nuit, heureusement pour Danny, car l’évolution très sapientielle d’Ed (finir par comprendre que le monde n’est pas binaire, pardonner à sa femme…) ne semble pas inclure la compersion (il promet de "transformer l’amant en une tache sur le tapis" si d’aventure il découvrait son identité). Durant cet échange d’une grande complexité psychologique, le commandant du Phoenix témoignera de son évolution depuis les deux premières saisons, tandis que Stevens s’avérera plus faux cul que jamais, notamment en s’indignant de l’infidélité de Karen…
Et avec un étonnante imprudence — vu qu’il est bien placé pour savoir que les messages vidéos peuvent être interceptés par des tiers (et Ed est tout de même le commandant) — Danny s’épanchera les larmes aux yeux auprès de son frère Jimmy sur sa relation passée avec Mme Baldwin, et sur son immense difficulté à devoir désormais vivre sous les auspices paternels (et paternalistes) de son ex-mari, balançant sans cesse entre la culpabilité et la haine.
L’astronaute Stevens concentre un tel mal-être qu’il est à la frontière de la psychopathie, traversé par des crises de désespoir, multipliant les indiscrétions hypocrites et les jeux pervers, continuant à fantasmer maladivement sur Karen et à maudire exutoirement Ed (alors que celui-ci voit en lui un substitut de son fils Shane défunt), tout en désirant ardemment être le premier à amarsir pour racheter l’inconsolable regret lunaire de feu son père Gordo durant Apollo 10. Ce n’est donc pas la découverte dans FAM 03x06 New Eden des raisons pour lesquels le commandant Baldwin l’a privé de cet honneur planétaire à seulement quelques dizaines de mètres du sol martien qui arrangera les choses (voir plus bas)…
La mise en scène et l’interprétation de Casey W Johnson poussent d’ailleurs le bouchon si loin que Danny a aussi bien le potentiel d’évoluer en direction d’un JR Ewing que d’un Dexter Morgan… Difficile de décider à ce stade si le tour est heureux ou non pour la série.

Loin de l’espace perdu, du grand confort, et de la gravité artificielle à bord du Phoenix, la vie à bord du Sojourner 1 est bien plus spartiate (huit astronautes alors que l’astronef était seulement prévu pour six) et tendue. Les relations seront particulièrement difficiles entre les Soviétiques et celui qu’ils considèrent être un traitre, le transfuge Rolan Efimovitch Baranov passé à l’Ouest dans FAM 02x09 Triage.
Avec beaucoup de réticence, la commandante Danielle Poole consentira à attribuer des tâches sensibles aux quatre Soviétiques, notamment le diagnostic complet (et l’éventuelle réparation) du moteur nucléaire n°1 à Alexei Poletov, désormais seul expert à bord en propulsion nucléaire thermique. Mais sa familiarisation trop rapide aux consignes transmises à distance par Houston contribuera à éveiller la suspicion d’Aleida (cf. ci-après).
À la faveur de sa connaissance du russe appris à l’Académie navale d’Annapolis (et l’actrice non-russophone Cynthy Wu s’en sort d’ailleurs étonnamment bien malgré son accent américain), Kelly est l’astronaute qui nouera les meilleures relations avec les cosmonautes. Mais du fait de son phénotype asiatique et de son origine vietnamienne, Poletov aura le réflexe typiquement soviétique d’imaginer Baldwin sensible aux causes socialistes utopiques, anti-impérialistes et tiersmondiste… Quelle ne sera pas sa surprise de découvrir en elle une parfaite républicaine étatsunienne, viscéralement antimarxiste, et dénonçant le léninisme d’un Viêt Nam avec lequel elle estime n’avoir aucun lien, conformément au modèle d’assimilation valorisé par FAM 02x10 The Grey. Mais parce que les contraires s’attirent, un curieux flirt se développera entre l’anticommuniste primaire Kelly et le communiste idéaliste Alexei fan du groupe hip-hop américain NWA

L’épisode confirmera ce qu’avait seulement suggéré la fin de FAM 03x03 All In, à savoir que Margo avait cédé en 1992 au chantage soviétique en fournissant à l’URSS les plans de la première version du nuclear-thermal engine (pour sauver sa carrière et surtout la vie de Sergueï). Elle s’imaginait naïvement être quitte, mais dans le renseignement ou l’espionnage, qui a cédé une fois à ce type de pression pour tenter de s’en sortir ne fait que se compromettre et s’enfoncer davantage, entrant dans une spirale sans fin... C’est ainsi que la nouvelle responsable de Roscosmos, Lenara Catiche, débarquée en grande pompe à Houston tentera de "réactiver" "l’agent-double" Madison pour obtenir une affectation des ressources de la NASA sur Mars à certaines missions secrètes soviétiques. Margo cèdera une nouvelle fois, mais en monnayant durement sa nouvelle collaboration, exigeant le retour de Sergueï, disparu de la circulation depuis plus d’un an, et probablement déporté dans quelque prison secrète.
Et c’est ainsi que Nikulov réapparaîtra… mais méconnaissable. Le crâne rasé tel un bagnard, psychologiquement brisé, comme tuberculeux, portant dans sa chair et dans son âme les nombreuses tortures physiques méthodiquement infligées par le KGB (car soupçonné d’avoir livré des informations à Margo du temps de leur entente mutuelle consentie), et s’humiliant à demander pardon pour ce que les autorités russes l’ont obligé à faire durant tant d’années (prenant notamment en otage toute sa famille pour l’obliger à manipuler Margo). Sergueï avouera à Margo sortir de la prison de Lefortovo. Et à travers cette antichambre de l’enfer, parmi tant d’autres comme la Loubianka de Lavrenti Beria, c’est toute la mémoire de l’archipel du goulag et des crimes contre l’humanité perpétrés en masse par toutes les polices politiques soviétiques — de la Tchéka au KGB en passant par le Guépéou et le NKVD — qui est convoquée ici.
Bien entendu, à aucun moment For All Mankind 03x05 Seven Minutes Of Terror ne suggère que cette alter-URSS de 1994 perpétue la Terreur rouge des années 1910 et 1920, ni les Grandes Purges staliniennes des années 1930 et 1940, ni la planification des déportations de masses par le Goulag. Pour autant, malgré les quelques "progrès" de la Glasnost et de la Perestroïka, la continuité d’un régime totalitaire ne saurait de lui-même totalement renoncer aux abus de pouvoir et à la réification des individus au nom de la raison d’état, encore loin de la "rule of law" (où déjà les abus ne manquent pas). À fortiori lorsqu’on sait que dans notre réalité, plus de trente après la dissolution de l’URSS, le FSB de la Russie contemporaine a conservé cette même culture criminelle de la terreur... remontant en réalité à l’ère tsariste. Bien des dénominations et des symboles changent, mais certaines pratiques demeurent...
Alors qu’il s’agisse d’un écho du passé ou le signe d’une persistance endogène, la peinture de Sergueï Orestovich Nikulov sera déchirante, la qualité des dialogues et de l’interprétation de Piotr Adamczyk saisissante d’authenticité, sans jamais s’accorder le luxe d’un pathos que la situation ne justifierait pas. Et malheureusement, il n’y a rien d’invraisemblable à ce que le KGB — que même Gorbatchev craignait et ne pouvait pleinement contrôler — s’en soit pris à l’un des plus éminents scientifiques de la nation, tant les précédents contreproductifs de ce genre furent nombreux en URSS (à commencer par l’irremplaçable Sergueï Korolev) comme dans la plupart des régimes totalitaires.
Mais en parallèle, par l’observation (et les mesures) méticuleuses des tuyères de l’astronef MAPC-94 via l’enregistrement vidéo du sauvetage de l’équipage soviétique et du ravitaillement en propergol, Aleida comprend (« Une fois, c’est un hasard. Deux fois, c’est une coïncidence. Trois fois, c’est une action ennemie. ») que l’URSS a en réalité mis la main sur ses propres travaux et les a copiés. Manuels techniques à l’appui, la protégée de Margo vient alors lui apporter la preuve d’un espionnage et de fuites au sein de la NASA. Madison tentera bien de botter en touche dans un premier temps... Mais acculée par la masse de preuves, elle n’aura finalement d’autre choix que de promettre à Rosales d’en aviser les autorités dès que Sojourner 1 aura atteint Mars sans encombre. Une situation d’autant plus intenable (et probablement riche en développement futurs) que dans le même temps (sous l’empire de l’euphorie de l’amarsissage), Margo prendra l’engagement (probablement inconséquent) d’exfiltrer d’URSS toute la famille de Sergueï afin de lui permettre de demander le statut de réfugié politique pour lui éviter de retomber dans les griffes de ses bourreaux.

Le Phoenix arrivera en orbite de Mars trois jours avant le Sojourner 1 (malgré le redéploiement de ses voiles solaires). Malheureusement de violentes tempêtes sur tous les sites choisis ne permettront pas au champion d’Helios Aerospace de fructifier véritablement son avance en amarsissant avec une large avance. Et lorsque quelques vagues signes d’accalmie s’esquisseront, les deux équipes rivales se retrouveront finalement au coude à coude à plus grande joie de la NASA. Comme le commenteront très pédagogiquement les médias sur Terre, schémas à l’appui, la victoire reviendra à celui qui osera faire un pari sur l’évolution de la tempête pour entamer la rentrée atmosphérique (au risque d’y périr) avant de dépasser le "decision point" (ou seuil de décision en VF) l’obligeant à devoir refaire une orbite complète durant laquelle le rival pourrait prendre l’avantage. En somme, comme dans une partie de poker, chaque nouvelle orbite correspondra au flop, au turn, ou à la river.
Tandis que l’évaluation météorologique haussière d’Adarsh Sethi convainc le commandant Baldwin de risquer le tout pour le tout et d’embarquer avec Stevens sur l’atterrisseur Popeye (tandis que le Phoenix restera en orbite), la commandante Poole manifestera à l’inverse une prudence attentiste illustrant pleinement pourquoi Molly Cobb lui avait préféré Ed lorsqu’elle dirigeait encore le bureau des astronautes dans FAM 03x02 Game Changer. Mais avec une ironie truculente, c’est le commandant soviétique Grigory Kuznetsov qui viendra rappeler à Poole la philosophie astronautique du risque, jusqu’à la harceler pour la pousser à lancer son astronef dans la tempête afin de ne pas laisser à la compagnie privée l’honneur de la victoire — le prestige russe étant désormais solidarisé à celui de la NASA. La longue période de brainstorming et d’hésitation à bord du Sojourner 1 durant les minutes précédant le seuil de décision — suspendue aux paramètres METAR, et susceptible de décider du triomphe ou de la mort de l’équipage — sera un des moments les plus intenses de l’épisode par sa liminalité, au moins autant que la plongée atmosphérique. Quelques secondes avant la deadline, aussi bien parce que le vent a changé de direction et baissé en intensité (passant de 70 à 40 km/h) que parce que le pep talk virulent de Kuznetsov a grandi dans son esprit, Danielle franchit le Rubicon.
Mais en l’absence de toute assistance aux instruments (le "GPS" et même l’altimètre sont rapidement devenus dysfonctionnels), la descente sera rude, peut-être davantage pour le Popeye (s’étant engagé avant le Sojourner 1 et étant moins stable). Avec l’apparition des premiers sommets montagneux affleurant une opacité poussiéreuse ocre quasi-impénétrable, le "fou volant" Ed sera imperceptiblement terrassé par une conscience croissante du danger, puis tiraillé entre son désir de revanche sur le trauma d’Apollo 10 (traduits par des hantises et des flashbacks lunaires aux côtés de son vieux compagnon feu Gordo) et son évidente angoisse paternelle à l’idée d’exposer à la mort Danny (sur lequel il projette visiblement l’amour pour son fils Shane défunt). Alors qu’il était bien parti pour amarsir en premier et promouvoir ainsi les couleurs d’Helios Aerospace, Baldwin prendra la décision — incompréhensible aux yeux de jeune copilote — d’annuler la phase finale d’atterrissage à vue (ou plutôt à l’aveugle) puis de repartir en orbite.
L’opportunité historique manquée d’un cheveu se répète donc, telle une malédiction. Et difficile de dire si c’est en rachetant l’humiliation d’Apollo 10 ou en refusant de risquer la vie de son fils qu’il honore le mieux la mémoire de Gordo. Toujours est-il que les jeux sont désormais faits, et c’est Danielle Poole qui entrera dans l’Histoire, populaire du moins, aux côtés de Grigori Kuznetsov, William Tyler, Rolan Baranov, Kelly Baldwin, Dimitri Mayakovsky, Isabel Castillo et Alexeï Poletov.

Les aspects visuels (effets spéciaux) et scientifiques sont une nouvelle fois quasi-irréprochables, y compris dans les différentes variantes de rentrées atmosphériques martiennes. L’atterrisseur Popeye (de Phoenix resté en orbite) à faible portance n’était en effet pas tenu de s’imposer un angle d’attaque aussi faible que le Sojourner 1 (env. 40°), qui conserve quant à lui les mêmes propriétés de planeur que les navettes spatiales dont il est l’héritier.
Seule erreur (ou du moins exagération) à déplorer : la surestimation de l’impact, et donc de la dangerosité, des tempêtes martiennes. Étant donné la faible densité d’atmosphère, un vent de 70 km/h y possède les propriétés d’une brise de moins de 10 km/h sur Terre. Il s’agit-là de la même erreur que dans le film The Martian (Seul sur Mars) de Ridley Scott (2015).
Certes la visibilité IFR aurait été tout aussi faible que ce que l’épisode en montre, compliquant probablement l’atterrissage, du moins en l’absence de vol aux instruments. Et la rentrée atmosphérique demeure de toute façon suffisamment dangereuse pour justifier la poire d’angoisse rituelle durant les missions martiennes automatisées antérieures... et ayant valu à l’épisode son titre ("seven minutes of terror").
Pour autant, les nombreuses turbulences demeurent outrancières au regard des paramètres environnementaux affichés sur les écrans de contrôle (aussi bien du Popeye que du Sojourner 1).
En outre, comment se fait-il qu’Ed prétende avoir perdu le "GPS" en cours de descente ? Un GPS martien supposerait tout un réseau de satellites dédiés... sauf à attribuer à cet acronyme un signifié générique ou étendu dans l’uchronie de FAM.
Et si amarsir en premier était vraiment un enjeu majeur, des sites dans d’autres régions ne pouvaient-ils pas être envisagés, ne fût-ce que pour la performance et non pour l’implantation (la tempête n’étant pas d’ampleur planétaire et l’écosystème stérile martien étant très homogène) ?
De là à en déduire que la vraisemblance aurait voulu que Baldwin et Stevens puissent atterrir sur Mars dès l’arrivée en orbite du Phoenix (sans devoir attendre trois jours que le Sojourner 1 comble son retard), et/ou qu’Ed ne rebrousse pas chemin si près du but dans la dernière phase d’atterrissage (en reproduisant autrement l’alunissage manqué d’Apollo 10)... il n’y a qu’un pas.
Un pas qu’il n’est cependant pas obligatoire de franchir... même s’il est permis de soupçonner les showrunners d’avoir employé ces quelques artifices pour faire absolument gagner la "team NASA" pour des raisons wokistes... tout en alimentant quelques nœuds traumatiques du côté du Phoenix.
Malgré tout, on ne boudera pas le bénéfice pour l’intérêt général d’un possible aplanissement des relations américano-soviétiques… et — comme cerise sur le gâteau — la gifle reçue par le trop parfait golden boy Dev Ayesa.

Bien entendu, le photo finish du premier pas sur Mars sur Happy Valley base, posé conjointement par Danielle Poole et Grigory Kuznetsov, se veut un moment culte. Et celui-ci gagne un second niveau lorsque l’on sait que, derrière les images de concorde télédiffusées dans le monde entier en liesse (moyennant une vingtaine de minutes de décalage), se dissimulait une rivalité jusqu’à la dernière seconde pour fouler en premier le régolithe de la planète rouge. Mais la postérité l’ignorera (ou ne s’en souviendra pas) tant elle préfère imprimer la légende plutôt que l’Histoire. La scène en amont à l’intérieur du Sojourner 1 possède le défaut d’être un peu vaudevillesque, mais l’ironie générale n’est pas sans évoquer le cas de Zefram Cochrane dans Star Trek First Contact

Toujours est-il que l’épisode force possiblement le trait du triomphalisme. Non pas que l’exploit de Sojourner 1 n’appelait pas tous les éloges et toutes les acclamations, mais il ne présentait cependant aucun delta significatif (ou du moins à ce point valorisable) par rapport à l’exploit non moins réel du Phoenix. L’épisode continue à filer l’analogie avec la course sportive (où un centième de seconde d’écart sur la ligne d’arrivée fera le départ entre le gagnant et le perdant), mais ce paradigme est en réalité trop réducteur dans le cadre de pareilles missions spatiales d’envergure et à vocation scientifique. Qu’une nation devance une autre de quelques semaines pour un tour de force totalement inédit (comme le premier pas de l’homme sur un astre distinct de la Terre en 1969), c’est assurément un emblème puissant. Mais vingt-cinq ans après, en une ère de normalisation de la conquête spatiale, avec des départs synchrones et des arrivées dans un mouchoir de poche, la charge de valorisation et de fierté ne pourrait être contenue dans le seul facteur chronométrique. À fortiori si celui-ci résulte uniquement de choix de commandement au doigt mouillé et au mépris de la sécurité des équipages. En outre, la réaction unanime et apparemment conditionnée du public terrien (par les médias ?) ne prend aucunement en considération tous les autres critères, non moins essentiels pourtant, comme par exemple : #1 l’initiative et l’imposition du calendrier (quelle que soit l’antipathie que suscite Helios, ce sont bien les innovations précursives de cette société qui ont obligé les agences gouvernementales à matcher tant bien que mal son timing), #2 les conditions du voyage (le modèle du Phoenix avec sa section rotative offrait un confort et une viabilité pour les voyages spatiaux sans commune mesure), et surtout #3 la primauté de l’arrivée en orbite de Mars (un accomplissement pas moins inédit que d’y atterrir, mais ce premier jalon remporté par le Phoenix semble n’avoir suscité que l’indifférence générale) ! Enfin, la signifiance de la "course" a été totalement faussée voire invalidée en cours de route puisque le Sojourner 1 qui était en tête s’est considérablement détourné (ce qui revenait à abandonner la course à proprement parler) tandis que la mission soviétique s’est carrément échouée au quart du parcours (et sans la "charité" des rivaux, ses cosmonautes n’auraient même pas survécu et encore moins atteint Mars).
Bref, que la volupté planétaire finale soit indexée sur le seul ordre d’amarsissage a quelque chose d’un peu puéril et artificiel... à la façon d’une hagiographie.

Conclusion

Si aux yeux de certains spectateurs, For All Mankind 03x05 Seven Minutes Of Terror semblera peut-être souffrir de quelques longueurs autocentrées, il faut ne jamais perdre de vue la vocation Hard-SF de cette série. Or restituer fidèlement à l’écran un voyage spatial (du moins sans technologie disruptive futuriste) impliquait bien — ainsi que l’a fort bien fait l’épisode — d’accorder de l’espace au temps, et à travers ce prisme, de montrer à quel point l’expérience d’immersion cosmique est avant tout une confrontation avec soi-même, et donc avec son passé, ses obsessions enfouies, ses choix irréversibles, ses regrets inexpiables, ses démons intimes.

L’autre grand atout de l’épisode For All Mankind 03x05 Seven Minutes Of Terror est sa géopolitique de haute volée, tout en conférant à tous les niveaux — gouvernement, direction de Roscosmos, science et ingénierie, KGB, astronautes… — une visibilité nouvelle (et prometteuse) aux Soviétiques (pour le meilleur comme pour le pire), visiblement appelés à devenir de vrais protagonistes, et non plus seulement des antagonistes-fonctions.
Certes, par toute l’opacité causale de ses réussites successives aussi bien spatiales qu’économiques, l’URSS demeure toujours un alibi pour aiguillonner les USA et maintenir une dynamique de compétition de blocs sans laquelle cette uchronie n’en aurait pas été une. Mais c’est un des partis pris de la série dans son ensemble, et il ne serait donc pas équitable d’en pénaliser chaque épisode, a fortiori lorsque d’heureuses initiatives sont prises pour davantage visibiliser ces alter-Soviétiques. En outre, ledit alibi commence à être assumé en internaliste (notamment via le rôle de "passerelle" joué par Margo)...
Somme toute, FAM semble vouloir sortir de sa position de confort en ce qui concerne l’URSS. Un jeu dangereux (et potentiellement idéologisant) envers l’Histoire contrefactuelle, mais une prise de risques méritant d’être saluée. Et dans l’impossibilité à ce stade de présumer du résultat, il est prudent pour le moment d’accorder le bénéfice du doute à la série…

Que les Américains et les Russes aient finalement combiné leurs ressources dans une mission commune par la force des contingences, cela véhicule une potentialité voire une promesse, avec ses moments piquants… comme lorsque Kuznetsov s’est très vite "approprié" la mission de la NASA, projetant sur elle l’ultime bastion de la fierté soviétique bafouée face à un commun ennemi incarnant le capital honni ! Mais l’épisode a eu le réalisme de ne rien en imputer à un télisme ou à un idéalisme, seulement à un concours de circonstances dans le cadre d’une série d’abus (vol de la technologie US via Margo, utilisation irresponsable de la motorisation ayant causé la mort de trois personnes, réintégration dans la course par la générosité des concurrents, petites déloyautés mesquines pour arracher tout de même la première place sur le fil et sur le dos des autres, commandant russe dont l’extrémisme et les outrances ont été forgés par sa société...). In fine, les Soviétiques existent davantage que jamais, mais ils n’auront vraiment pas eu le beau rôle. Cependant, cela pourrait conduire à une possible sérendipité progressiste, les grandes évolutions sociétales résultant davantage des résultats que des intentions.

D’aucuns pourraient déplorer la victoire officielle de la "femme noire" Danielle Poole et l’échec du "vieux blanc" Ed Baldwin, comme s’il était écrit (ou décidé par contrat) que, dans FAM, le wokisme devait toujours l’emporter. Mais en réalité, cette configuration est multi-layer et elle offre plusieurs niveaux de lecture. Baldwin n’a pas remporté la course à quelques mètres de la ligne d’arrivée parce qu’il l’a bien voulu, en accordant davantage d’importance au personnel qu’à l’impersonnel. En outre, son Phoenix restera le premier vaisseau habité à être jamais entrée en orbite de Mars. Sans le harcèlement de l’autre commandant "blanc", Grigory Kuznetsov, il est très probable que Poole ne se serait pas lancée dans la tempête. Mais surtout, le premier amarsissage restera un symbole idéaliste avant tout : le triomphe d’un équipage international scellant la coopération entre les deux blocs rivaux (USA-URSS) face une multinationale capitaliste (étatsunienne ou cosmopolite).

Enfin, comme dans chaque production de Ronald D Moore, tous les personnages en prennent pour leur grade, tôt ou tard, mais sans y perdre leurs nuances et leur humanité. Ainsi, la vénalité sournoise de Dev Ayesa a été largement exposée, mais la société qu’il a créé n’a pas moins démérité que la NASA. Danny Stevens dégénère vers des horizons malsains, mais il n’en est pas moins sujet à un désespoir incommunicable. Ed Baldwin a pris des décisions contestables qui lui vaudront une vie de regrets, mais son cœur est à la bonne place. Margo Madison témoigne d’un carriérisme sans borne, et pourtant son niveau d’empathie force le respect. Sergueï Nikulov endure de façon poignante toute la tragédie du totalitarisme criminel, estompant les frontières entre coupables et victimes. Grigory Kuznetsov est le pur produit du conditionnement soviétique fanatisé, mais "il n’a rien à se reprocher" puisque telle est la norme de sa société (et il représente accessoirement une redoutable force vive)...

En tout état de cause, FAM 03x05 Seven Minutes Of Terror offre une puissante expérience d’immersion, à la fois contemplative et viscérale, psychologique et géostratégique, culminant par un moment historique très attendu du storytelling. Cet épisode réalisé par le célèbre Andrew Stanton de Pixar Animation Studios aurait même pu être un chef d’œuvre si certains objectifs externalistes ne se dévoilaient pas trop — au prix de possibles faiblesses — derrière un internalisme malgré tout solide voire acribique.

NOTE ÉPISODE

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