Foundation : Review 1.06 Death And The Maiden

Date : 26 / 10 / 2021 à 14h00
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Unification


Si les trois précédents épisodes se déployaient "simultanément" sur deux théâtres scéniques, Foundation 01x06 Death And The Maiden en embrasse trois :
- (A) Terminus où les Anacreoniens menés par Phara Kaean enrôlent de force l’élite technique et scientifique (Lewis Pirenne inclus) de la Fondation pour remettre en service l’astro-destroyer légendaire Invictus, afin de semer le chaos dans l’Empire galactique. Mais libérée par deux enfants courageux, Salvor Hardin – accompagnée de son père Abbas et de son amant Hugo – réussira à détruire les trois corvettes spatiales au moyen desquelles les Anacreoniens ont débarqué sur Terminus.
- (B) Le Salt Palace de la lune vierge Surah où l’empereur Cleon XIII (Brother Day) et Eto Demerzel assistent à la succession de feue Proxima Opale dans le but de favoriser Zephyr Gilat (loyale à l’Empire) contre la charismatique Zephyr Halima… incarnant la radicalité de la religion luministe vieille de 15 000 ans (donc antérieure à l’Empire) et forte de 3 000 milliards de fidèles (y compris la robotique première ministre).
- (C) Le palais impérial de Trantor, ses jardins, ses forêts de chasse (aux préhistoriques crécerelles caméléons ou en VO ghillie raptors), et son harem où le jeune empereur Cleon XIV (Brother Dawn) fait ses premières expériences d’adulte en sortant progressivement de l’ombre génétique et amorale de Cleon XII (Brother Desk), notamment en dévoilant une sensibilité et en nouant une relation romantique avec la botaniste Azura Odili… au risque de briser la parfaite mécanique circulaire de la dynastie tricéphale mise en place par Cleon Ier.

Si vous ne souhaitez pas vous plonger dans une analyse exhaustive du contenu (forcément riche en spoilers), veuillez cliquer ici pour accéder directement à la conclusion.

Une lecture superficielle de ce sixième épisode pourra offrir une belle gratification au spectateur. Car tout en bénéficiant d’une production value opulente, d’une direction artistique très SF, et d’un visuel toujours aussi dépaysant, il propose davantage que les opus précédents un véritable développement des caractères, au sens de la psychologie pour certain, au sens du soap pour d’autres. Autant dire que celui qui éprouve le besoin de s’attacher affectivement aux personnages pour aimer une série sera servi…

Mais en grattant un peu la surface, chacune des trois histoires s’avère contestable, quoique de façon différente...

(A) Terminus ou le sempiternel cimetière narratif

La palme du gâchis est une nouvelle fois remportée par l’histoire terminusienne soit la A. Celle-ci n’enchaîne pas une cascade d’incohérences cardinales comme dans Foundation 01x05 Upon Awakening, mais elle en accumule davantage à la marge, si "bien" que l’histoire relatée s’avère tout aussi bancale :
- Difficile de croire que le crash du puissant cuirassé colonial à la fin de Foundation 01x05 Upon Awakening n’ait laissé quasiment aucun vestige proéminent au sol, mais seulement un cratère. À supposer qu’il ait explosé off screen, il aurait dû emporter la colonie (étant donné que celle-ci était alors privée de boucliers et que le point de chute était à seulement quelques encablures).
- Encore plus difficile est d’accepter que l’unique survivant de cette catastrophe soit comme par hasard Kray Dorwin... que les troupes anacreoniennes cueillent endormi – mais frais comme un gardon – sur le site du crash ! Désagréable syndrome de l’univers VIP-only au mépris des lois naturelles.
- Et comme si cela ne suffisait pas, Phara a le culot d’annoncer que son objectif initial était de détruire un vaisseau impérial pour mettre la main sur son commandant, car indispensable pour son projet de "revival" de l’Invictus. Donc il faudrait en sus avaler que la survie du seul commandant à un crash apocalyptique ne laissant aucun morceau de tôle apparent et dans un monde dépourvu de téléportation était une opération parfaitement préméditée et maîtrisée. Ben voyons... Ce n’est plus un coup de billard à trois bandes, mais carrément à quinze bandes !
- Il est totalement contradictoire que les troupes anacreoniennes massacrent dans les rues à bout portant tous les colons de la Fondation (comme l’a montré la fin de l’épisode précédent et le début de celui-ci) lorsque dans le même temps Phara veut mettre la main sur le manifeste de l’équipage du Deliverance afin de sélectionner au sein de la colonie les scientifiques et les techniciens dont elle a cruellement besoin pour mener à bien son projet d’embrasement galactique… La plus élémentaire probabilité voudrait que ceux qu’elle cherche aient été déjà massacrés par ses propres troupes !
- Lorsque les soldats poussent à tuer Salvor, captive, Phara s’y oppose au motif qu’elle pourrait lui permettre de percer le secret du Sanctuaire constituant pour elle la pire des inconnues ! Cet échange ne sonne pas juste, car 24 heures avant, la Grande Chasseresse ne connaissait même pas l’existence du Vault, et elle n’est aucunement venue sur Terminus dans ce but ! Or les paroles que les scénaristes placent dans sa bouche correspondent bien davantage à celles que tiendraient des natifs de Terminus, ayant vécu toute leur vie sous l’œil hypnotique du Sanctuaire.
- Il est très peu crédible qu’un gamin d’une colonie scientifique dépourvue de formation aux arts de combats puisse démolir aussi facilement une soldate anacreonienne aguerrie chargée d’assurer la garde de Salvor.
- De même, il est invraisemblable que Poly et Gia réussissent à faire sortir du QG de la Fondation investi par les Anacreoniens le lourd corps évanoui de Salvor… jusqu’à lui faire traverser tranquillou la colonie – alors que les troupes ennemies se comptent par centaines – pour atteindre la carcasse (hulk) du vaisseau Deliverance, loin à l’extérieur...
- Abbas révèle (ou plutôt confirme) que les Anacreoniens ont reprogrammé la barrière énergétique (à discriminateur génétique) pour empêcher de passer seulement les colons de la Fondation. Du coup, comment Poly, Gia, et Salvor (inerte) ont-ils réussi à quitter le colonie ?
- Si d’aventure le tunnel géothermique dans lequel Hardin reprend connaissance fait office de souterrain pour échapper au champ de force (à la façon des passages secrets dans les châteaux-forts du passé), alors il aurait dû être surveillé durant le siège de la ville, mais aussi désigné pour permettre aux colons de fuir en cas de forçage de la clôture énergétique. Et Abbas aurait dû songer de lui-même à l’emprunter pour revenir l’intérieur de la colonie (au lieu de juste déplorer son impuissance à le faire en raison de la "muraille" désormais infranchissable).
- Après son évacuation par les deux enfants, que la seule rencontre de Salvor soit comme par hasard son père et son amant en parfaite forme pour engager une action de résistance contre l’envahisseur, c’est bien commode, donc fort capillotracté... sauf bien sûr dans un micro-univers gravitant autour de la super-héroïne...
- Ayant réussi leur mission de destruction des trois corvettes anacreoniennes, Salvor et Hugo s’en retournent à Terminus City. Mais comment franchissent-ils une nouvelle fois l’enceinte énergétique puisque désormais infranchissables pour les colons ? Comme dans Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost, les auteurs ont introduit dans le script une contrainte (la barrière recodée par les envahisseurs) qui n’avait rien de nécessaire à l’histoire et qui ne fut aucunement respecté ensuite (d’où une succession d’incohérences répétées qui auraient facilement pu être évitées).
- Par là même, il serait permis de se demander comment Phara et ses troupes – visiblement frappés d’attrition scientifique et technologique – ont réussi par eux-mêmes (c’est-à-dire avant de forcer les colons à travailler pour eux) ce travail assez pointu de recodage du bouclier énergétique, nécessitant en outre de disposer d’une vaste base de données génétique prête à l’emploi ?
- Le Mendiant (Beggar en VO) du commerçant Hugo est désormais le seul vaisseau permettant de quitter Terminus. Il est donc logique que la Grande Chasseresse tente de se l’approprier, depuis la destruction de sa flottille au sol. Mais faut-il que Hugo et Salvor soient naïfs pour se précipiter dans la gueule du loup ainsi, car ils ne pouvaient ignorer (vu la durée de leur marche de retour au point d’arriver en pleine nuit) que les Anacreoniens seraient au courant de leur "exploit" et qu’ils allaient donc les attendre à proximité de l’ultime astronef ! Pire, puisque Hugo révèle sur la fin que son vaisseau n’est pas pilotable sans autorisation vocale de sa part, pourquoi vouloir intercepter en urgence Phara (et ainsi se faire capturer)... puisque de toute façon elle était encalminée sur Terminus sans lui ?!

Mais le plus choquant est bien d’ordre philosophique. À savoir la façon dont Salvor se pense elle-même comme "l’instrument du destin" créé par Hari Seldon pour endiguer et résoudre la première crise endurée par la Fondation, à savoir la réactivation de l’Invictus par Phara afin d’en faire un "planet killer" d’ampleur galactique. Or même si cette hypothèse n’est pas explicitement confirmée on screen, le sens des événements s’emploie à donner raison à la conviction de Hardin, largement nourrie de "l’éveil" du Sanctuaire (Vault) et des "visions" que ce dernier lui envoie à des moments cruciaux sur le plan décisionnel…
Chez Isaac Asimov, la psychohistoire était une discipline rationnelle qui prédisait mathématiquement – mais sur un terrain exclusivement probabiliste (comme peut l’être la mécanique quantique) – les grandes tendances évolutionnistes et sociétales. Pourtant dans la série, en dépit de plusieurs démentis verbaux (visiblement de pure forme) dans les épisodes précédents, la psychohistoire est de facto redéfinie comme une prédiction omnisciente, proprement magique, s’étendant dans le champ individuel, et permettant même de téléguider le destin des individus avant la naissance, voire de les créer pour leur faire accomplir sans qu’ils le sachent forcément un rôle précis dans "le grand dessein cosmique". Ce qui revient à faire de Hari Seldon… Dieu, ou plus modestement un parfait deus ex machina doublé d’un puppet master qui a tout prévu et tout programmé à l’avance pour les siècles à venir ! Quant à Salvor Hardin, elle est sa prophétesse, portée par un messianisme (complexe inclus) de fantasy et par une foi mystique dans un finalisme (ou un téléologisme) – quand bien même traversé par de touchantes phases de doutes… au demeurant exactement comme dans toutes les hagiographies religieuses. Car contrairement à l’idée reçu, la vie des saints (canonisés) forme en général des chemins pavés de doutes… mais où la foi rédemptrice l’emporte toujours à la fin. Alléluia.

Alors certes, tout n’est pas à (re)jeter dans cette histoire A

Les échanges avec Abbas possèdent le parfum de l’authenticité. Ses souvenirs – encore jamais évoqués – de Trantor dévoilent toute l’ampleur et la profondeur de l’exploitation – pour ne pas dire de la servitude – des masses sur laquelle s’était construite la splendeur de la capitale de l’Empire. Et ses motivations intimes à s’engager au sein de la Fondation sont frappées au coin de l’ironie du monde réel, car il n’était pas question de foi ni même de sciences, mais simplement d’amour pour celle qui deviendra sa femme, Mari.
À dire vrai, la justesse soudaine de l’alchimie entre Salvor et son père est de trop belle facture pour ne pas sonner comme un glas, et donc annoncer la mort prochaine – sacrificielle comme il se doit – d’Abbas. Ce qui se confirmera hélas, au plus grand désespoir de l’héroïne, qui à cette occasion révélera une vraie sensibilité et quelques larmes (mais sans excès de pathos) derrière sa carapace bad ass.
Touchant mais somme toute assez prévisible pour qui connaît les us et les mœurs de trop de séries TV américaines… Les morts doivent être utiles, belles et bien préparées, car tout est supposé avoir un sens dans un monde déiste.

La destruction par une poignée de "guérilleros" – voire par un seul (initialement Salvor, finalement Abbas) – des trois vaisseaux anacreoniens débordant de personnels en armes peut sembler être un peu "far-fetched", du moins facile. Selon la bonne vieille tradition de Stalag 13 où quelques francs-tireurs autonomes sont toujours plus malins qu’une armée entière en uniforme…
Mais contre toute attente, le ressort est ici plutôt solide, puisqu’il suffisait de faire détonner un explosif sur une calotte de terre pour engloutir les trois vaisseaux et leur personnel dans un lac de lave.
Du coup, la question résultante est bien sûr : pourquoi avoir posé ces vaisseaux sur un terrain aussi exposé au "sang de la terre" ? La réponse est probablement à rechercher du côté de l’énergie géothermique que la colonie de la Fondation exploite elle-même… mais encore eût-il fallu que ce fût mieux posé dans le contexte de l’épisode.

Il serait par ailleurs permis d’être heurté que Salvor et son groupe éliminent aussi froidement une bonne partie des troupes anacreoniennes. Sauf que les démonstrations chevaleresques supposent d’en avoir les moyens. Or les envahisseurs sont bien plus nombreux et mieux armés que les colons, et leurs intentions ne laissaient plus le moindre doute... Hardin ayant en effet vite compris qu’ils projetaient d’employer cette même source géothermique pour totalement exterminer la colonie aussitôt que Phara y aurait prélevé le personnel dont elle avait besoin. Prouvant que la Grande Chasseresse n’a cessé de mentir et de manipuler depuis le début, et qu’elle ne comptait aucunement tenir ses engagements en apparence "raisonnables" lorsqu’elle appela le personnel de la Fondation à collaborer avec elle contre l’Empire. Les massacres de rues auraient tout de même dû mettre d’emblée la puce à l’oreille...
Quoi qu’il en soit, selon une logique de guerre et de survie, la Gardienne ne pouvait aucunement se payer le luxe de ne pas saisir la première opportunité de renversement des rapports de forces, fût-elle prophylactiquement destructrice pour les agresseurs…

Peu avant de passer à l’attaque en solo (avec l’assurance qui la caractérise) des trois corvettes anacreoniennes, Salvor sera saisie par un nouvelle vision provenant du Sanctuaire (la sixième on screen depuis le début de la série), moyennant un réalisme immersif plus saisissant à chaque fois. La conséquence est que Hardin sera stoppée net dans son initiative, ce qui conduira Abbas à la remplacer dans cet opération commando alors qu’il n’avait pas forcément la forme physique pour le faire...
Après être revenue à elle, elle "couvrira" de son arme à particules à distance son père porteur d’une charge explosive, éliminant un par un tous les soldats anacreoniens susceptibles de lui tirer dessus. Mais pour avoir détourné son arme seulement deux secondes pour sauver son amant Hugo en difficulté dans un combat au corps à corps, Salvor laissera bien malgré elle (et à son plus grand désespoir) une balle ennemie atteindre son père... . Celui-ci n’hésitera alors pas à se faire sauter avec sa charge explosive pour accomplir sa mission malgré tout.
Fatalement, et sans forcément chercher à invoquer la résolution impossible d’un dilemme cornélien (père versus amoureux), la Gardienne sera ensuite assaillie par d’innombrables doutes sur le rôle qu’elle est supposée jouer dans le "grand plan cosmique" de Hari Seldon, allant jusqu’à s’accuser de tous les torts dans l’invasion de Terminus City par les Anacreoniens. Cette remise en question est bien entendu tout à l’honneur de Salvor, et cela limite quelque peu "l’effet Mary Sue"... même si cela ne change pas grand-chose in fine.
Il est bien entendu clair que l’essentiel des torts est porté par Lewis Pirenne qui s’est toujours obstiné à mépriser les brillantes intuitions et préventions de Hardin, mais aussi par Kray Dorwin avec son ordre nonsensique et inexplicable de déplacer Phara dans la tour. Malgré tout, dans Foundation 01x05 Upon Awakening, la Gardienne possède bel et bien deux torts elle aussi : n’avoir pas immédiatement prévenu le vaisseau impérial de la présence et de la localisation d’un canon occulté le visant, et n’avoir pas couru directement vers la tour lorsque les communications furent brouillées. Or curieusement, ces deux points ne furent justement pas listés durant le courageux examen de conscience de l’héroïne, ce qui confirme que les torts ne sont en réalité pas chez Mary Sue (parfaite comme il se doit), mais bien chez les auteurs (avec des scripts boiteux).

Pour en revenir maintenant à la "vision" de Salvor, celle-ci déborde quelque peu de l’histoire A tant sa fonction narrative est essentielle, et particulièrement attendue depuis l’assassinat de Hari Seldon, quoique largement anticipée dans toutes mes critiques depuis celle de Foundation 01x02 Preparing To Live incluse.
Pour toute "vision", il s’agit purement et simplement des derniers échanges entre le créateur de la psychohistoire et son fils adoptif, Raych Foss... juste avant que Gaal Dornick ne surprenne l’assassinat de son mentor.
On se serait plutôt attendu à cette révélation à travers l’histoire de Gaal perdue sur le vaisseau inconnu, à fortiori depuis l’apparition de Seldon (probablement sous forme holographique) à la fin de Foundation 01x05 Upon Awakening. Et pourtant, c’est bien à travers les yeux de Salvor que la vérité se fera jour... comme si les showrunners voulaient établir un lien par-delà le temps et l’espace entre les deux Mary Sue de la série. Mais même sans cette connexion appuyée en internaliste, les spectateurs avaient déjà parfaitement remarqué la grande parenté entre elles...
Voici donc le fin mot (en quelque sorte) : « Il n’y a qu’un scénario où tu quittes le vaisseau comme prévu. C’est celui où il devient impossible pour toi de demeurer à bord. Ce n’est pas moi qui m’ôte la vie. C’est toi / Tu es Hari Seldon. Tu peux arranger ça. / Je n’y peux rien, je te l’ai dit ! Tu ne vois pas ? Tout notre ouvrage va s’effondrer parce que tu aurais choisi de rester avec elle. Les sacrifices des gens sur ce vaisseau auront tous été gâchés. Tu sais très bien que c’est la vérité. As-tu foi dans les mathématiques ? / Je déteste les mathématiques. / As-tu confiance en moi ? / J’aurais voulu ne jamais te rencontrer et n’avoir jamais volé ces foutus bouquins. / Mais tu l’as fait. Et nous voilà ici, aujourd’hui. Le sort d’un galaxie entière repose sur les actes d’un individu. Toi. Fonce droit à la capsule, elle est programmée pour toi. Et ne t’arrête pas pour lui dire adieu. Ne la mêle pas à cette histoire. »
Et alors, bien malgré lui, Raych assassine Hari, attendant stoïquement son sort…
Alors, malgré une expression émotionnelle intense à la mesure de la mort qui vient, cet échange réussit le tour de force de ne guère éclairer le spectateur.
Certes, il est confirmé que Seldon a supplié Foss de le tuer pour une "raison supérieure". Cet auto-assassinat était devenu une évidence implicite depuis plusieurs épisodes, mais on n’est finalement pas plus avancé sur les raisons stratégiques exactes de tout ça, même s’il est toujours permis de soupçonner une variante du scénario christique de La dernière tentation de Nikos Kazantzakis et Martin Scorsese (selon l’évangile apocryphe de Judas), c’est-à-dire le volonté de Hari Seldon de devenir martyr pour mieux sanctifier et promouvoir la psychohistoire.
En outre, cet échange confirme également que la nacelle spatiale de cryo-sommeil était initialement destinée et programmée pour Raych, probablement pour que celui-ci puisse créer la Seconde Fondation par ailleurs, mais ce fait transparaissait déjà clairement de Foundation 01x05 Upon Awakening.
En fin de compte, aussi formellement poignante qu’elle soit, cette ultime conversation apporte surtout de la confusion, voire des incohérences potentielles !
Car il serait presque possible de penser que Seldon demande à être assassiné juste pour que son fils adoptif puisse librement quitter le vaisseau. Or un tel scénario serait parfaitement absurde, car autant la vie de Seldon aurait dû être considérée comme essentielle à la suite du projet (vu qu’apparemment, hormis Gaal, ses disciples ne pigent rien au Prime Radiant comme l’a montré Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost), autant le vie ou la mort de Seldon était sans effet aucun sur la capacité matérielle du caisson (déjà programmé) à quitter le vaisseau (comme l’a bien montré la fin de Foundation 01x02 Preparing To Live). En revanche, la mort de Seldon avait bien davantage de quoi motiver ses disciples à retrouver coûte que coûte son assassin en fuite dans l’espace, tandis que sa survie aurait pu bien mieux "couvrir" le départ mystérieux de son fils adoptif.
De plus, à la lumière, ou plutôt "à l’obscurité" de cet ultime échange entre Hari et Raych, il apparaît que le comportement de ce dernier fut totalement incohérent. Pourquoi faire partir Gaal à sa place dans le caisson, alors qu’icelle n’était pas à l’origine suspecte du meurtre de Seldon (et ne l’aurait jamais été si Foss s’était enfui comme prévu), ni consentante pour quitter l’univers durant trente ans, ni briefée sur la mission qui l’attendait sur le vaisseau inconnu ?! Du coup, en restant à bord du Deliverance, Raych a été stérilement condamné à mort sans pouvoir accomplir la mission que Hari lui a confié (et visiblement pour laquelle il est mort). Et si l’objectif de Foss consistait à ne surtout pas être séparé de sa bien-aimée Gaal (puisque c’est la principale raison qui risquait de compromettre sa motivation à accomplir la mission prévue d’après le dialogue), alors il aura doublement raté son coup. Car en envoyant inexplicablement Dornick à sa place dans le caisson, il a de toute façon été séparé d’elle, pour l’être ensuite encore davantage en étant exécuté. Si sa priorité était vraiment de ne pas être séparée de Gaal, Foss n’aurait jamais dû accepter d’assassiner Seldon en premier lieu. Mais à partir du moment où il est passé à l’acte, il ensuite faite le choix le plus contreproductif et le plus absurde possible pour tout le monde (Hari, Gaal, et lui-même).
Enfin, cette façon que Seldon a d’affirmer que la survie de la galaxie dépend d’une seule et unique personne (Raych) confirme l’interprétation élective et messianique de Salvor Hardin de sa propre place dans le "grand plan seldonien". Mais cette fois, cela vient de la bouche du cheval. Soit la négation même de la psychohistoire originelle, puisque celle-ci était chez Asimov une estimation probabiliste des évolutions collectives, face auxquelles les individus ne pesaient finalement pas grand-chose – nul n’étant vraiment indispensable lorsque souffle le vent de l’Histoire. Or ce dialogue de Foundation 01x06 Death And The Maiden nous sert exactement l’inverse, ce qui ne saurait être davantage anti-asimovien !

La fin de l’histoire A, qui est aussi la fin de l’épisode, s’achève par un nouveau cliffhanger, lorsque surpris par Phara, Hugo transfère irréversiblement le commandement de son vaisseau à Salvor pour la sauver de la folie vengeresse de la Grande Chasseresse suite à la destruction de ses trois corvettes. Mais poursuivant mordicus son plan d’appropriation de l’astro-destroyer légendaire Invictus, Kaean embarque de force l’élite désignée de la Fondation sur le Mendiant, piloté par la Gardienne (apprenant son maniement sur la tas grâce à l’assistance de Hugo). En quittant ainsi Terminus pour la première fois de sa vie, en dépit d’un contexte particulièrement tragique, Salvor accomplit malgré tout un rêve intime d’étoiles. Le dernier plan est magnifique, du décollage nocturne du Beggar auréolé d’une illumination turquoise... au survol de l’impénétrable Sanctuaire qui s’illumine nuitamment d’une étrange lumière dorée...

NOTE HISTOIRE A

(B) Surah ou le choc des civilisations très loin d’Asimov

L’histoire B, enfin, donne l’occasion à Cleon XIII de tenter de mettre en application sur le terrain sa politique de rupture envers Cleon XII, comme il l’avait annoncé dans Foundation 01x04 Barbarians At The Gate.
Et quoi de mieux pour cela que de s’essayer au lobbying et au soft power dans le cadre d’un rituel de succession dans un des nombreux monde vassaux de l’Empire galactique. Ce qui conduira Brother Day en FTL (par Jumpdrive) jusqu’à la lune vierge Surah, un planétoïde désertique en orbite d’une géante jovienne, et dont le Palais de Sel (Salt Palace en VO) évoque curieusement l’architecture des cités pré-antiques Sumer ou Ur. Mention spéciale au visuel écrasant durant l’entrée atmosphérique du vaisseau de l’empereur, découpant sa sévère silhouette épéiste dans la lignée des vaisseaux minbaris de Babylon 5...
Ce système stellaire est le berceau de ce qui semble être la plus importante (mais pas forcément la seule) religion de l’Empire (rien de moins que trois billions de fidèles !), antérieure même à la fondation de ce dernier, sachant que n’ont apparemment subsisté dans ce futur lointain (à plus de 24 000 ans de nous) aucune des religions contemporaines ni passées.
Avec une myriades de détails mythologiques, Surah symbolise le voyage des trois déesses, la Vierge (Maiden), la Mère (Mother) et l’Ancienne (Crone), dont le luminisme s’articule autour des thèmes de cycles, d’Ouroboros, et de nature en quête d’achèvement. Difficile de ne pas remarquer dans cette autre trinité un écho de la dynastie génétique des Cleon… à la manière d’une divinisation par la postérité d’un contrepoint féminin des Brothers Dawn, Day et Dusk. La société de Surah s’apparente d’ailleurs à une matriarchie comme les affectionnait Frank Herbert dans le cycle de Dune (l’ordre du Bene Gesserit, les Révérendes Mères, les Honorées Matriarches...).

À l’instar de Cleon XIV qui sortira des rails à sa petite échelle, Cleon XIII dévoilera tout au long de cette expérience inédite pour lui une étonnante humanité, telle une illustration vivante de la narration de Gaal quant à l’empire du doute seldonien sur l’empereur. Grâce à la belle polyvalence de l’acteur Lee Pace, et loin de l’image du pouvoir absolu qu’imposait par la terreur son prédécesseur (dans le pilote de la série), le nouveau Brother Day sera successivement l’humble étudiant qui apprendra de sa première ministre Demerzel tout ce qu’il ignore sur Surah et le luminisme, le politicien maladroit qui tente d’influencer des décisions souveraines par des cadeaux électoraux (la promesse de construction d’un système de désalinisation sur la lune pour prévenir les pénuries d’eau douce), et finalement l’ambassadeur impuissant de la lointaine Trantor qui n’a que peu d’emprise réelle sur le cours des événements de l’Empire...
Tel un retour en force du réel.

Et le réel est incarné ici par Zephyr Halima qui, par un discours politico-religieux aux accents très populistes, écrase littéralement sa très conformiste rivale et "femme du système" Zephyr Gilat, ralliant par sa prose luministe tous les suffrages, y compris celui de Demerzel, dans une authentique séance de subjugation collective faisant froid dans le dos. L’épisode n’a d’ailleurs pas manqué d’audace en confiant ce rôle ambivalent (et exposé à bien des transpositions) à T’Nia Miller, assurément impressionnante. On devine déjà se profiler un adversaire de poids pour Cleon XIII qui, en comparaison (de la nouvelle Proxima), passerait presque pour une coquille vide, dépourvue effectivement d’âme (comme le prétend Halima). Mais c’est là le lot de celui qui hérite du pouvoir par un droit de naissance face à celui qui le conquiert par n’importe quel moyen...
Le propos est à la base ambitieux, mais davantage à la manière d’une extension du Choc des civilisations de Samuel Huntington (1996) que du paradigme asimovien.
La mise en scène cultive ici une puissante théâtralité, qui plus est au connoté antique – bien rare dans les productions actuelles – aux résultantes de grandiloquence et de hiératisme, ce qui emphatise bellement la solennité du propos et l’ambiance de cet rituel plurimillénaire presque liturgique. Il en résulte un dépaysement de forme, véhiculant une alien touch.

Cependant, il faut aussi endurer les interminables discours néo-pythagoriciens, proto-christique, et crypto-New Age du luminisme, combinant foi et science dans un patchwork tendancieux, soit une approche très à la mode aujourd’hui mais dont la pertinence demeure douteuse (cf. par exemple le récent Dieu, la science, les preuves de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies).
Ainsi parle Zephyr Halima : « Nous exprimons notre reconnaissance envers l’Empire. Tandis que nous célébrons le passage de Proxima Opale vers sa nouvelle vie, accordons-nous un moment pour apprécier le don que la Mère à fait, le don de la résurrection/renaissance ("rebirth" en VO). Car il fut une époque, il y a des millénaires, où nos âmes étaient telles des chandelles. Elles brûlaient une fois et s’éteignaient pour toujours. Mais la mère s’est rendu compte que cela n’était pas suffisant. Une seule vie dans un seul corps, évoluant sur une seule planète. Dans ces conditions, une âme ne dispose d’aucune chance de s’extirper des abimes de l’ignorance et d’accéder ainsi à la sainteté. Donc la Mère, s’est saisie de la ligne droite de notre vie et l’a repliée pour en faire un cercle, offrant à ses fidèles le don de la résurrection/renaissance. Que cela signifie-t-il ? Certains pensent que le but de réincarnation est de s’élever jusqu’aux sphères les plus hautes de l’éveil spirituel. On sait que c’est faux. Il n’existe pas de fin à ce grand voyage. Car notre capacité à grandir est infinie. Et même une âme sui semblerait sainte il y a de cela 400 ans, ne le serait surement plus aujourd’hui. Ceci est l’enseignement de la Mère. La galaxie change, et nous devons changer avec celle. Nous devons embrasser les vertus de la transformation, de l’évolution, de la différence. Et le plus grand échec de l’humanité, son plus grand péché à la l’égard de la Mère, c’est la stagnation. Alors réjouissons-nous que l’âme de Proxima Opale se soit pas vouée à stagner, rongée par la corruption. Que son corps ne soit pas enchaînée à un seul corps immuable. Réjouissons-nous que son âme soit changeante et en perpétuelle évolution. Nos corps l’abritent nos vies que pendant un bref instant, mais nos âmes, elles, sont éternelles. Tandis que nous façonnons nos âmes dans notre quête sans fin de sainteté, n’oubliez jamais. Vous ne vivrez pas éternellement cette vie. Mais il s’agit de votre vie en cet instant. De vos choix en cet instant. De votre évolution en cet instant. Donnez-lui un sens ! »
Ce discours-bouteille-à-l’ancre fait d’ailleurs un peu penser au gloubi-boulga mystico-scientifique qu’affectionne tant Alejandro Jodorowsky dans certaines de ses BD...
Mais que cela parle ou non à certains croyants contemporains, cela a dans tous les cas le défaut d’obérer comme jamais ce rejeton audiovisuel de Foundation d’une dialectique lourdement religieuse totalement incompatible avec l’univers très Hard SF d’Asimov.

Mais le plus choquant probablement pour un lecteur et un connaisseur de l’œuvre littéraire du grand Isaac, c’est de découvrir à l’occasion de cette histoire B que la robotique Eto Demerzel est elle-même une grande croyante de cette religion luministe ! Et la façon dont elle en parle avec les larmes aux yeux fait penser à une nouvelle convertie évangéliste ou baptiste : « Dès que vous venez au monde, vos frères et vous connaissez votre raison d’être. Nous autres devons le découvrir par nous-mêmes. (...) Je m’accomplis dans ce travail. Mais dans la quête de sens, la réponse n’est pas tout. C’est la quête elle-même qui éclaire. Les déesses n’ont pas choisi d’être séparées en trois. Elles aspirent à ne refaire plus qu’une. Les terres salées de la Vierge seraient nées de leurs larmes. C’est leur sacrifice qui nous a permis d’accéder à la plénitude. À chaque moment de notre vie, nous pouvons choisir notre voie. Les déesses nous guident à chaque étape vers le devoir et la vérité, comme vers le centre d’une grande spirale. »
Et là, Demerzel fond en larmes !
Mais le spectateur ne sait pas s’il faut en rire ou pleurer. C’est surtout fort embarrassant...
C’est même bien davantage que cela. Car quitte à convier le registre de la sacralité, R Daneel Olivaw, le méta-personnage fondamental du "greater Robot/Empire/Foundation universe" est littéralement profané dans ce sixième épisode !
Une petite recherche externaliste fournit cependant un éclaircissement à cet outrage de la part des showrunners. En effet, voilà ce que David S Goyer à déclaré dans une interview : « To clarify another issue - R Daneel Olivaw is part of the ’I, Robot’ rights, which Skydance/Apple do not have access to. We have access to the Demerzel side of the character, if that makes sense. (...) As I’ve said in earlier interviews, I regard this show as a remix. Another way to approach the show is to think of it like the MCU in relation to the comics. For those who have read the books, as surmised, a number of the show characters are composite characters. Gaal is a combo of two characters (the other of which book readers may well guess). » [« Pour clarifier une autre question, R Daneel Olivaw fait partie des droits de "I, Robot", auxquels Skydance/Apple n’ont pas accès. Nous avons accès au côté Demerzel du personnage, si cela a du sens. (...) Comme je l’ai dit dans des entretiens antérieurs, je considère cette série comme un remix. Une autre façon d’approcher la série est de penser à cela comme le MCU par rapport aux comics. Pour ceux qui ont lu les livres, comme conjecturé, un certain nombre de personnages de la série sont des personnages composites. Gaal est un combo de deux personnages (les lecteurs des livres pourront aisément deviner quel est l’autre). »]
Ainsi, tout devient limpide ! Pour des questions de droits audiovisuels, l’Eto Demerzel de la série n’est en réalité pas R. Daneel Olivaw et ne le sera jamais ! Dès lors, elle n’est plus qu’un nom mythique, mais assorti d’une coquille vide... que les showrunners ont pris l’initiative de remplir à leur façon.
C’est effectivement une explication. Mais pas une excuse. Car rien n’obligeait pour autant Goyer à trahir sciemment la philosophie d’Asimov et multiplier les contresens par démagogie ou par suivisme.

Signalons par ailleurs un très bel échange de pure SF qui tutoie l’indicible entre Cleon XIII et Demerzel sur l’expérience de transcendance que représente les "jumps" en FTL, et que la conscience humaine n’est pas capable d’appréhender ni même de supporter : « C’est le saut. Les Spatiens sont conçus pour ça, mais pour moi, ce ne sont pas des humains / Ça peut être déconcertant, je sais. / Ça fait quoi d’être éveillée durant le saut ? / Quand l’espace se replie ? Un humain ne peut tolérer la discontinuité / Mais… toi si. / Si je pouvais l’expliquer, vous n’auriez pas à dormir pendant le saut. »
Joli.
Et confirmant au passage que ces femmes effilées et dégingandés (probablement sous l’effet de la perpétuelle apesanteur) qui veillent sur les voyageurs dans cet environnement FTL (évoquant l’expérience de Dave Bowman dans la dernière partie du 2001 : A Space Odyssey (1968) d’Arthur C Clarke et Stanley Kubrick) sont en fait des androïdes nommés Spatiens (ou Spacers en VO).
Toutefois, indirectement, cela entérine les super-pouvoirs et le messianisme de la Mary Sue n°1, Gaal Dornick, puisqu’elle est la seule humaine à pouvoir mentalement résister à l’expérience en plein éveil.
Et cela confirme l’incohérence du voyage subluminique (non FTL) du vaisseau Deliverance de la Fondation qui n’aurait jamais pu parcourir 50 000 années-lumières en seulement cinq ans et deux mois dans l’espace normal selon le modèle standard respectueux de la relativité générale.

Pour finir, il ne faut pas faire l’économie de l’intentionnalité : de quel côté sont vraiment les showrunners ?
L’idéal serait bien sûr qu’ils conservent une parfaite neutralité épistémologique entre les deux futures têtes de proue de l’Empire, l’empereur Cleon XIII et Proxima Halima... Par exemple en donnant tort aux deux... pour faire émerger d’autres voies (au hasard celles des deux Fondations). Ou alors en cultivant des paradoxes dans la balance des charges et des causalités... par-delà le bien et le mal en somme (comme savait si bien le faire Asimov).
En revanche, si l’objectif des auteurs est d’exonérer (voire de valoriser) cet espèce de trumpisme mystico-religieux au seul motif du beau sexe et de la couleur de peau de Halima, pour lui attribuer une fonction dynamisante, morale et progressiste... tandis que Cleon XIII resterait l’affreux causasien WASP (alias "mâle blanc") dépassé, conformiste et réactionnaire... alors cette histoire B ne serait que la plateforme de lancement d’un wokisme redoublé... où l’être et l’identité importeraient bien davantage que l’acte et l’idéologie.
Mais n’anticipons pas et ne préjugeons pas. Tout est encore possible...

NOTE HISTOIRE B

(C) Trantor ou le grain de sable dans un monde faussement parfait

L’histoire C conduit le spectateur au sein de la prison dorée impériale où le cruel Brother Dusk tente d’initier de sensible Brother Day aux deux plus nobles attributs de la virilité : la chasse d’abord, la fornication ensuite.
Si Cleon XIV dépasse largement son ainé au premier exercice (cumulant pour sa toute première expérience cynégétique un gibier de six ghillie raptors alors que de sa vie durant, jamais Cleon XII n’a dépassé trois proies à son tableau de chasse), le second exercice le motive bien moins... et même le dégoûte assez.
Le système génétique de succession impérial n’autorisant aucune forme de descendance, il proscrit également par voie corollaire les passions sentimentales. L’abstinence n’est cependant pas de mise. Le sexe est même encouragé mais dans sa dimension strictement dionysiaque, c’est-à-dire qu’il est réduit à ses fonctions hédoniste, thérapeutique, hygiéniste, ou exutoire. À cet effet, le palais impérial dispose d’un vaste harem – et wokisme oblige – bisexuel comme il se doit.
Apprécions à cette occasion comment Hollywood, sous couvert de neutralité, réussit à rendre lisse et presque politiquement correct ce qui est foncièrement abject. Car comme dans le lupanar infernal de la série Sky Rojo, les femmes sont ici réifiées, réduites à des marchandises consommables. Mais le tout augmenté d’un "bonus" qui frappe la notion de consentement d’une surcouche d’ambivalence et upgrade la définition même d’esclave soumis : en effet, avec le renfort de la technologie de l’Empire, les prostituées sont également violées mentalement pour perdre toute mémoire des ébats, ces souvenirs-là étant la propriété exclusive des empereurs.
Sauf que tout le monde semble content de son sort car le cadre est celui du jardin d’Éden. Et surtout, le grand bordel impérial emploie aussi des hommes, la parité est donc sauve. Ouf, ainsi, cet esclavage-qui-ne-dit-pas-son-nom passe tout de suite mieux...

En parfait gentleman, Brother Dawn se limitera à faire la conversation, et surtout à ne pas traiter en objet ni réclamer l’effacement mémoriel de la belle-de-jour que les circonstances (c’est-à-dire Brother Dusk) l’obligeront à choisir... pour sa ressemblance avec la botaniste dont il est secrètement épris.
Finalement, par réaction de rejet envers un système qui l’indigne, Cleon XIV franchira le pas en invitant de son très haut balcon Azura Odili à le rejoindre dans ses quartiers. Et tels deux adolescents faisant l’expérience des premiers émois, ils contempleront le vaste horizon de Trantor, avant de partager ensemble le risque d’une chute mortelle – Brother Dawn lui cédant le bracelet générant son champ de force inertiel, qu’elle déclinera tant que l’empereur partagera les mêmes risques qu’elle...
Et c’est sur cette corniche au bord du monde que le jeune empereur lui confiera alors son plus grand secret, un secret dont même ses deux clones vivants n’ont pas connaissance, à savoir qu’il souffre de daltonisme ! Une marque de confiance qui, dans sa position, est aussi un acte d’abandon et de soumission à l’autre...
Parfaitement consciente de cet honneur qui représente aussi un risque considérable, Azura suggérera avec un aplomb sacrificiel à Cleon XIV de la pousser dans le vide pour éliminer une perpétuelle menace qu’elle représente pour son prestige et son infaillibilité de dimension galactique.
Mais l’empereur lui rétrocédera ce don de soi en retour, à la façon d’un potlatch symbolique. Ce sera alors le point de départ d’une romance qui, quoique très adolescente dans sa quête de pureté et d’absolu, s’est tout de même construite à sa façon sur la rencontre entre Éros et Thanatos.

Bien entendu, dans les coulisses, les menaces sourdent et des ombres s’affairent : Brother Dusk surveille de très près les moindres faits et gestes de Brother Dawn (allant jusqu’à interroger la demi-mondaine qu’il n’a pas consommé) comme s’il se doutait d’une anomalie dans la techno-palingenèse ; tandis que derrière un écran d’invisibilité personnel, l’inquiétant exécuteur de basses œuvres Shadow Master Obrecht collecte des pièces à convictions (i.e. les trois ghillie raptors abattus que Cleon XIV avait cachés derrière un buisson pour ne pas heurter l’orgueil de Cleon XII).

La série vient ainsi de franchir un pas de géant dans la divergence tricéphale...
Foundation 01x04 Barbarians At The Gate suggérait que c’était l’attaque terroriste sur le Star Bridge suivie des criminelles représailles contre Anacreon et Thespis qui avaient séparé les trois empereurs – comme autant de timelines distinctes au sein d’une même boucle temporelle. Et comme pour enfoncer le clou, la narratrice Gaal dit au début de Foundation 01x06 Death And The Maiden à propos de Cleon XIII « On m’a dit que l’empereur pouvait créer ou détruire des mondes, qu’il avait réussi à vaincre la mort elle-même et qu’il vivrait éternellement. Mais en le regardant dans les yeux, j’ai vu un homme qui, dans toutes ses existences, n’avait jamais connu le doute… jusqu’à ce qu’il croise la route de Hari Seldon. »
Oui, à la façon de Star Trek Nemesis (2002), il s’agissait d’une brillante réaffirmation de la prévalence de l’acquis sur l’inné... réussissant même à se glisser là on l’attendait la moins, dans le parfait mécanisme bien huilé de l’Ouroboros de la succession impériale... tel un écho de l’impraticabilité d’une utopie allant contre le nature humaine dans The Village de M Night Shyamalan (2004).
Sauf que, désormais, l’acquis n’explique pas tout. Il pourrait certes expliquer une sensibilité accrue, une exacerbation des émotions ou des vertus morales, la prise de conscience des injustices dans un système quand bien même multimillénaire, un choix d’existence différents, une volonté réformatrice... Mais il ne saurait en revanche expliquer les talents cynégétiques très supérieurs de Cleon XIV, et encore moins son daltonisme (encore que les deux sont peut-être liés, le daltonisme pouvant être une immunité contre les "ruses" caméléones des ghillie raptors).

L’inné est donc également de la partie. Ce que le beau système mis en place par Cleon Ier a rendu techniquement et socialement impensable (mais pas impossible pour autant). Voilà qui constitue donc un vrai fil rouge, et un bon.
Au nombre des hypothèses possibles : une dégénérescence progressive dans le processus de clonage (la photocopie de la photocopie qui finit par se dégrader) comme le suggéraient les propres différences de Cleon XIII, un bug de duplication dans le seul cas de Cleon XIV... ou bien, plus vraisemblablement (du moins si la série tient à rester crédible), un "sabotage" intentionnel en amont provenant de quelque "force" voulant introduire un zeste d’imperfection dans ce "meilleur des mondes" crypto-huxleyien afin que l’évolutionnisme reprenne ses droits après avoir été gelé durant 400 ans.
Inutile de préciser que lorsqu’une civilisation est suffisamment avancée pour maîtriser aussi bien le clonage des êtres humains, alors n’importe quelle altération génétique chirurgicale est à sa portée. Or si Eto Demerzel conserve bien un minimum de filiation avec le personnage éponyme des romans (qui travaillait en bonne intelligence avec Hari Seldon), alors ça lui ressemblerait bien d’être à l’initiative d’une pareille inflexion causale, quasiment imperceptible à l’échelle d’une vie humaine, mais cataclysmique à l’échelle d’un régime politique ou d’une civilisation.
À supposer bien sûr qu’il ne s’agisse pas seulement d’une incohérence (de plus) dans la construction de la série...
Mais il est encore trop tôt pour se prononcer...

Reste une pensée annexe : si l’Empire dispose d’autant de facilités pour effacer chirurgicalement les souvenirs des individus, lorsqu’il était encore question de faire disparaître le "témoin gênant" Azura Odili, pourquoi cette solution n’a-t-elle pas été d’emblée privilégiée par Cleon XIV et Master Obrecht plutôt que la perspective d’un meurtre ?

L’histoire C est avant tout une tranche d’éducation sentimentale dans un monde qui a totalement aboli cette possibilité. Et si ses relents soapesques convoquent de pénibles shows pour ados, elle n’en demeure pas moins assez finement menée, tant par sa poésie inattendue, que pour dévoiler les zones d’ombre de la mascarade impériale et, en filigrane, des détails apparemment insignifiants qui pourraient conduire à des tsunamis dans le futur... Avec en toile de fond ces intrigues de cour prisées par les reconstitutions historiques en costume, mais augmentées ici d’une composante SF.

Si elle survit à la pression des interdits du système, la simple possibilité de cette bluette entre Cleon XIV et Azura pourrait bien être le germe d’une révolution copernicienne...
Dès lors, la capacité des plus infimes détails à influer sur la grande Histoire deviendrait assez asimovien en esprit...
Mais n’anticipons pas, et ne confondons pas les possibles répercussions futures avec le contenu effectif – au demeurant limité – de cette histoire C.

NOTE HISTOIRE C

Conclusion

Curieusement, les deux notes du sixième épisode sont presque parfaitement symétriques à celles du cinquième.

Foundation 01x06 Death And The Maiden est le prototype d’épisode "aimable", à condition de revoir à la baisse son niveau d’exigence, et de s’accommoder d’une rupture franche envers l’œuvre littéraire d’Isaac Asimov, non seulement sa lettre comme précédemment, mais également cette fois son esprit.

En termes de construction narrative et de logique des enchainements, les trois histoires constitutives de l’épisode sont de qualité une nouvelle fois très inégales, quoique à tendance baissière...
Le volet terminusien (A) est à nouveau plombé par trop d’incohérences et de facilités, sans toutefois encore atteindre une masse critique qui tuerait toute suspension d’incrédulité.
La négation philosophique d’Asimov revient en force dans les volets de Surah (B) et de Terminus (A), qui plus est de manière décomplexée (façon "and so what ?") pour laisser une place toujours plus large à la doxa hollywoodienne du mysticisme, de la fantasy, de l’électivité, du messianisme, du super-héroïsme… et bien sûr du wokisme.
Seul le volet de Trantor (C) serait presque un sans-faute poétique et sociologique, au bémol près de son empreinte teen-soapesque qui ne sera pas du goût de tous·tes et qui pourrait même apparaître comme le ciblage démago d’une part d’audience (les ados et les midinettes).

Il reste cependant indéniable que la forme (effets spéciaux, scope, décors, costumes, atmosphère SF) demeure toujours à son sommet (à tel point qu’elle pourrait même constituer un argument suffisant pour une partie des spectateurs), tout en étant accompagnée de dialogues nombreux et en eux-mêmes plutôt bien écrits, du moins dans le champ de la caractérisation des personnages et de leurs interactions.
Car par-delà la "pollution" mystique et religieuse qui jure dans un univers de Hard SF prétendument rattaché au plus éminent Big Three du Golden Age, il faut tout de même reconnaître aux protagonistes des histoires A, B et C d’avoir pour point commun de se poser d’innombrables questions existentielles sur leur raison d’être, sur le sens de la vie, et sur les enjeux civilisationnels. L’épisode brasse des notions au spectre large couvrant l’ontologie, l’essentialisme, le libre arbitre, le déterminisme, le finalisme, la palingenèse, l’eschatologie, la sotériologie... C’est ainsi qu’il subsiste tout de même quelque chose d’Asimov, un questionnement à défaut d’un esprit. D’où une note adaptation qui échappe tout de même au zéro pointé.

Ironiquement, alors que Hollywood n’a cessé de clamer depuis des décennies que l’œuvre littéraire d’Asimov était trop vaste, trop complexe et trop dense pour être adaptable à l’écran, comment se fait-il alors que David S Goyer se soit senti obligé de lui ajouter d’innombrables éléments (largement inutiles) qui ne figuraient pas dans les livres, tout en étirant en longueur (jusqu’à l’absurde) certaines sous-intrigues ?
"Inadaptable" signifierait-il en réalité "incompatible" avec la bienpensance et le formatage hollywoodiens ?

En définitive, la série glisse progressivement vers l’écueil le plus médiocre de trop de productions TV : sacrifier l’histoire, le sens, le fond, la réflexion, le worldbuilding, l’ambition épistémologique aux seuls personnages VIP et aux liens affectifs forcés avec le public. C’est-à-dire au "facteur soap" (avec ses inévitables corollaires de mélo et de pathos) !
Ainsi, désormais, le spectateur sera surtout motivé à voir la suite pour découvrir le sort des deux belles Mary Sue – Gaal et Salvor – ainsi que de leurs nombreux faire-valoir masculins, ou encore pour savoir où va conduire la liaison transgressive entre le jeune Cleon XIV et Azura Odili...

Et si, toute premium qu’elle soit, Foundation était simplement appelée à devenir une série calibrée, dépersonnalisée, triviale et quelconque ? À la façon d’une production The CW, quoique de (grand) luxe.

NOTE ÉPISODE

NOTE ADAPTATION

YR

ÉPISODE

- Episodes : 1.06
- Titre : Death And The Maiden
- Date de première diffusion : 22 octobre 2021 (Apple TV+)
- Réalisateur : Jennifer Phang
- Scénariste : Marcus Gardley

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