For All Mankind : Critique 4.06 Leningrad

Date : 21 / 12 / 2023 à 15h00
Sources :

Unification


FOR ALL MANKIND

- Date de diffusion : 15/12/2023
- Plateforme de diffusion : Apple TV+
- Épisode : 4.06 Leningrad
- Réalisateur : Sylvain White
- Scénariste : Eric W. Phillips
- Interprètes : Joel Kinnaman, Toby Kebbell, Krys Marshall, Edi Gathegi, Cynthy Wu, Coral Peña, Tyner Rushing, Svetlana Efremova, Wrenn Schmidt, Daniel Stern, Jodi Balfour, C.S. Lee, Lev Gorn, Robert Bailey Jr.

LA CRITIQUE YR

FAM 04x06 Leningrad concrétise largement ce que FAM 04x05 Goldilocks annonçait (et qui fut conjecturé dans la critique précédente) : meeting international se déroulant bien à Leningrad, rencontre entre Margo et son ancienne disciple Aleida, manœuvres vengeresses d’Ed contre Danielle, confrontation entre Miles et Ilya...
Mais ce que l’épisode perd en twists, il le gagne en crédibilité et en naturel. Ce qui n’interdit cependant pas quelques surprises...
Pour autant, FAM 04x06 Leningrad est-il un sans-faute ? Un petit décryptage s’impose...

I

Combinant efficacement des vues panoramiques du Saint-Pétersbourg contemporain avec des scènes personnalisées tournées évidemment hors de Russie, ce Leningrad alternatif de 2003 distille une "uncanny valley" ineffable... et pourtant en résonance avec l’actualité. Car bien que la Palmyre du Nord fut rétro-baptisée dans notre réalité en 1991, l’oblast adjacent a conservé sa dénomination soviétique, et récemment (en juin 2023) fut créé (rétabli en fait) — par pur revivalisme — le district militaire de Leningrad...

Se tenant en juillet 2003, donc pendant les fameuses nuits blanches (respectées par l’épisode), Leningrad accueille donc la conférence de Mars-7, dédiée à l’exploitation de l’astéroïde Goldilocks, et présidée par la directrice de Roscosmos. Chaque pays dont les agences spatiales sont membres de l’alliance (donc tous les acteurs spatiaux sauf le Canada et la Chine) voient leurs délégués débarquer solennellement en limousines pavillonnées. Parmi ces nombreuses délégations internationales, la société privée Helios Aerospace — flanquée de son propre étendard — possède le poids astronautique d’une nation à part entière. Et Aleida Rosales est désormais sa représentante officielle — une promotion considérable lui permettant de négocier d’égale à égale avec Irina Morozova et Eli Hobson.

Margo Madison — officiellement Margaret Reynolds — ne pouvait pas ne pas participer aux "festivités". Mais comme sa survie et son exfiltration en URSS sont maintenues secrètes, une apparition publique n’était pas envisageable. Alors elle se retrouve à vivre l’événement clandestinement, depuis un cagibi d’archives derrière des écrans, monitorant les caméras... et transmettant ses expertises et ses conseils en direct à une oreillette discrète portée par Irina. En somme, une déclinaison high tech de la plus célèbre pièce d’Edmond Rostand ou plus exactement de ST DS9 05x03 Looking For Par’Mach In All The Wrong Places (qui fut écrit justement par Ronald D Moore).
En découvrant son ex-protégée et disciple parmi les participants, l’équanimité légendaire de Margo se lézardera pour laisser transparaître quelques fissures émotives...

La production value de FAM est à son comble. La salle de conférence russe (par sa taille et son aspect) et le déroulement des débats (attitudes, postures, langues...) n’auraient pas pu être davantage convaincants dans la forme...
Mais comme c’était à prévoir depuis FAM 04x05 Goldilocks, malgré son absence totale d’expérience dans ce type d’événements, c’est Rosales — qui par ses interventions scientifiques très impactantes — deviendra très vite le point de mire et le point d’orgue de la rencontre au sommet. Elle délivrera une complète étude de faisabilité de l’exploitation de 2003LC (déviation de l’astéroïde, mise en orbite martienne, techniques de forages, création de types d’appareils nouveaux pour le transfert de personnels et de matériels...) impliquant une expansion considérable de Happy Valley (45 modules supplémentaires), mais aussi et surtout la fabrication de deux plateformes orbitales (martiennes), de vingt à trente vaisseaux-cargos à propulseurs ioniques, et de 2 500 véhicules... Le chiffrage de l’ensemble s’élève à une capitalisation de 2 000 milliards d’USD. Inutile de dire que ces annonces auquel nul ne semblait s’attendre — sauf Margo en coulisse — feront l’effet d’une bombe.
La première séance levée, les échanges se poursuivent dans la salle de réception, dans une ambiance très diplomatique. Perpétuellement guidée par Margo via une oreillette (cachée sous ses cheveux), Irina entamera un échange privé avec Eli et Aleida. Signe de réalisme, les deux briscards (Morozova et Hobson) parleront bien vite le même langage (cynique et désabusé) malgré la frontière (d’idéologie et d’allégeance) qui les sépare ; tandis que Rosales apparaîtra presque naïve en comparaison, car n’appréhendant pas pleinement les réalités politico-économiques. Oui, un investissement de 2 000 milliards de $ (qui plus est partagé par le M-7) peut sembler rentable (10% seulement) pour 20 000 milliards de $ de revenus potentiels (en iridium). Cependant, le bât blesse en matière de RSI (retour sur investissement ou ROI en anglais) car très tardif (minimum 30 voire 40 ans d’attente), notamment en raison de l’éloignement de Mars (alors que les besoins en iridium sont essentiellement terrestres). Raison pour laquelle l’agence Roscosmos est décidée à abandonner le projet, talonnée par la NASA... au grand dam à la fois d’Aleida (à l’avant) et de Margo (à l’arrière). Au fil des échanges, sans le savoir, Rosales et Madison réagiront toutes deux de semblable façon aux mêmes problématiques, dévoilant leur degré de parenté et de convergence, maîtres et disciples, compagnes de science, de recherche et d’idéalisme envers et contre tout.
Tandis que de désespoir, Aleida et Margo tenteront — chacune de leur côté — de convaincre respectivement Eli et Irina de ne pas laisser passer une telle opportunité pour l’humanité (qui ne se représentera probablement jamais), c’est Hobson qui sera soudain inspiré par une illumination disruptive. Il est d’ailleurs intéressant que l’idée qui changera la donne provienne ainsi d’un second rôle de la quatrième saison, qui plus est non-scientifique, représentant presque une célébration de l’esprit no-code à la mode.

Et ladite idée est de rediriger l’astéroïde non pas vers l’orbite martienne (si proche de sa trajectoire) mais vers l’orbite terrienne (très éloignée mais où l’extraction de son iridium serait considérablement facilitée) ! Personne n’avait imaginé ça avant, et donc aucun calcul n’avait été réalisé. Mais immédiatement, entrevoyant les potentialités, Margo puis Aleida apportent leur soutien à cette option.
Plus facile à dire qu’à faire malgré tout. Les trois (quatre en réalité) protagonistes se réunissent à huis clos pour étudier la viabilité du projet. Rosales gribouille d’équations un tableau noir, pour finalement admettre son impuissance à faire venir au voisinage de la Terre un astre de cette taille, du moins dans un délai raisonnable. En l’état, il faudrait plusieurs siècles, sachant que XF Chronos ne faisait qu’une fraction de la masse de Goldilocks, or vu comment s’était achevée la tentative de redirection du premier dans FAM 04x01 Glasnost.
De son côté, Margo soufflera dans l’oreille d’Irina la liste de tous les projets historiques de la NASA (en partie communs aux deux réalités) pour dévier les astéroïdes afin de protéger la Terre. L’attention sera surtout portée sur DART qui simulait huit techniques différentes. Mais tout en indignant Rosales par son apparente connaissance de tous les secrets de la NASA (ravivant le douloureux vol des plans du moteur Nerva), Morozova multipliera les erreurs de psittacisme (BART pour DART peut-être en référence aux Simpsons, "cinékitique" pour "cinétique"...).
Durant cette séance de travail, Margo prendra une importance cardinale comme "marionnettiste" d’Irina, au point de tisser des fils invisibles transcendants (et poétiques) avec Aleida, tel un appel inconscient à la collaboration directe. Mais à force d’être comme "possédée" par les éléments de pensée et de langage de sa mentor qu’elle croyait défunte, la disciple n’allait-elle pas soupçonner quelque chose ? Ce fut en tout cas la possible crainte de Morozova lorsqu’elle a unilatéralement interrompu la séance (au prétexte de se sustenter) car Rosales s’était assise à côté de son oreillette et avait commencé à la dévisager avec une insistance inquisitrice troublante...
Le scénariste a probablement pris le risque de décrédibiliser Irina en la transformant en coquille vide, en Christian de Neuvillette de Cyrano de Bergerac... alors qu’elle est tout de même une scientifique de premier plan (sa méconnaissance de certains termes scientifiques pourtant basiques étant le pompon). Malgré tout, la pétillance, la rigueur scientifique, et les niveaux sémantiques multiples de ces échanges propulsent l’écriture dans la cour de Reginald Rose ou de Jean-Claude Brisville.

C’est lorsque Morozova rendra visite à Madison dans son réduit de surveillance que la construction narrative franchira un cap. Huit années de déréliction en terre étrangère, huit années de coupure envers tous ceux qui comptaient pour elle (et qui désormais la croient morte), huit années d’obsolescence forcée puis de participation clandestine à l’aventure spatiale... combinée à l’électrochoc de revoir ainsi presque en live son élève prodige et le supplice de Tantale de ne pouvoir directement travailler avec elle... aura conduit Margo à prendre une pesante décision : faire son coming out ! Certes, pas le même genre de coming out que Will Tyler et Ellen Wilson dans la troisième saison de FAM, mais cependant tout aussi lourd de conséquences...
À savoir renouer avec Aleida pour rebâtir leur complémentarité unique de travail, seule à même de trouver une solution à la déviation de Goldilocks vers la Terre dans le court délai de la conférence internationale de Leningrad. Mais ce faisant, cela contraindra l’URSS à prendre les devants et à révéler au monde que l’ex-administratrice de la NASA est vivante et est passée à l’Est !
Toute la nuance dont est capable FAM se dévoile à travers le comportement d’Irina, qui — malgré son appartenance à l’obédience communiste radicale de Feodor Korzhenko — n’en demeure pas moins d’une grande humanité et empathie envers Margo. Loin de lui interdire quoi que ce soit (alors que l’URSS ne se préoccupe guère des libertés individuelles), elle se contente de sonder ses véritables motivations et de la mettre honnêtement en garde contre les conséquences, et en particulier la perspective selon laquelle la transfuge américaine sera dès lors détestée de tous, non seulement aux USA, mais aussi en URSS (selon le vieil adage « traître un jour, traître toujours »). Un avertissement d’une grande justesse.
Mais qu’à cela ne tienne : la volonté de Madison est de sortir de l’anonymat et de devenir officiellement responsable du projet Goldilocks pour Roscosmos, mais moins par recherche personnelle du pouvoir et de la reconnaissance que... par efficacité dans le travail à venir pour le seul bénéfice de l’humanité. Et cela en passe par le rétablissement d’un canal collaboratif avec Aleida, par-delà les camps et les allégeances politiques, comme il en fut jadis avec Sergei Orestovich Nikulov.
Ce choix de Margo est en parfait accord avec sa personnalité stoïcienne. Elle a toujours sacrifié sa vie (y compris toute possibilité de vie intime) à la science, et par-delà en réalité, à l’essor de l’humanité dans son ensemble. Certes, elle n’aurait probablement pas trahi d’elle-même au profit de l’URSS si le KGB n’avait pas exposé à cette fin la vie de Sergei. Mais elle a trouvé une justification logique à la faire par-delà l’affect personnel : maintenir un équilibre de concurrence entre les deux blocs pour que jamais ne cesse l’effort spatial.
En ce sens, Margo Madison est l’héroïne en titre de FAM, celle qui incarne le mieux le postulat de la série. Mais c’est une aussi une héroïne au sens antique (comme un certain Londo Mollari...), poursuivie par la fatalité et la tragédie. Condamnée à être celle qui aura changé le monde mais que tout le monde détestera.

Et c’est ainsi que FAM 04x06 Leningrad en vient à son point culminant : les retrouvailles entre Margo et Aleida dans la chambre 210. Un moment savamment préparé par les showrunners depuis le frustrant FAM 03x10 Stranger In A Strange Land. Mais dans l’art de la diégèse, la fonction première de la frustration n’est-elle pas de conduire à l’assouvissement cathartique ?
Un qualificatif qui s’applique pleinement à cette scène anthologique où les actrices Wrenn Schmidt et Coral Peña auront livré le meilleur de leur talent...
D’abord l’effroi de Rosales devant un spectre impossible. Puis la question « Tu es en vie ? » comme si Aleida devait écarter l’hypothèse du fantôme (ou de l’hallucination) avant de se jeter sur Margo pour l’enlacer furieusement en pleurant. Cet enlacement viscéral et désespéré, c’est celui de retrouver une mère (spirituelle) décédée et tant lamentée. Madison est tellement sidérée par cette réaction d’affection aussi profonde que démonstrative qu’elle finit à son tour par rendre la politesse, ce qui n’est pas anodin pour une crypto-Vulcaine comme elle.
Du pathos peut-être, mais qui ne mérite pourtant pas d’être qualifié ainsi tant il est ici légitime, en ne se limitant pas à un vecteur de manipulation émotionnelle des spectateurs.
Évidemment, après les effusions inconditionnelles, vient le cruel temps des explications, des justifications, des reproches, de la colère... Telle une rétrospective inversée des cinq étapes du deuil. Brillant. Aleida en veut à Margo de l’avoir laissé souffrir de sa (fausse) mort, elle lui fait la leçon pour n’avoir pas eu le courage de se livrer aux autorités étatsuniennes et assumer ses actes…
L’authenticité psychologique est ici sans faille... Car si l’affection est instinctive, la raison ne conduit pas forcément à l’empathie. Du moins du côté de Rosales. Oh, il serait d’ailleurs tentant de lui reprocher son manque de compréhension envers Madison et ses choix. Elle semble même présenter les caractéristiques des "justes endurcis" (que réprouvait tant Jésus Christ), drapés de vertu et de suffisance, revêtus d’une armure inaccessible à la faiblesse. Aleida est en effet si prompte à condamner — que ce soit au nom du patriotisme, de la rétribution, ou par égo, par concurrence victimaire — comme si tout était simple dans une réalité manichéenne. Elle en perd même de vue que si Margo avait fait ce qu’elle aurait voulu qu’elle fisse, c’est-à-dire rester à son poste comme les 195 autres victimes de l’attentat du Johnson Space Center, elle serait réellement morte aujourd’hui. Or étant donné la façon dont Rosales l’a accueillie, elle devrait s’accorder avec ses sentiments profonds et se réjouir que Madison ait ainsi trompé la mort qui l’attendait. Non pas parce que la justice américaine l’aurait condamnée à mort si elle s’était laissé arrêter par le FBI (l’exécution du couple Ethel & Julius Rosenberg en 1953 était un symptôme maccarthyste, il n’en aurait pas du tout été de même à l’aube des années 2000 et en pleine détente avec l’URSS, sans compter que Margo avait des circonstances atténuantes outre d’être scientifiquement très précieuse pour les pragmatiques USA), mais parce que son bureau était dans une partie d’immeuble qui été proprement désintégrée dans l’explosion. Or vu la description traumatique qu’Aleida en a fait, elle est la mieux placée pour la savoir... Cette dernière serait-elle alors sujette à un égocentrisme tel qu’elle estimerait avoir le monopole de la souffrance, sans pouvoir envisager que Margo a elle aussi souffert, entre les pressions endurées en solitaire, le fait d’être perdue aux yeux de tous ses proches, la nécessité de survivre au totalitarisme soviétique et à ses mauvais traitements...

Mais aussi agaçante que puisse être la seconde réaction (après un premier réflexe affectif si noble) de Rosales, la peinture qui en est donnée par l’épisode est très réaliste. Car au contraire de Madison, son ex-élève n’imaginait rien de tout cela quelques minutes avant. Il lui faudra donc du temps pour traiter et intérioriser un tel flux d’informations remettant en question une bonne partie de tout ce qu’elle endura dans son for intérieur depuis huit ans. Elle est en outre encore jeune avec toutes les simplifications qui en découlent...
Il ne faut pas non plus perdre de vue que d’elle-même, lorsqu’elle croyait Margo décédée, Aleida avait eu la prudence et la fidélité de défendre sa mémoire, seule contre tous (par exemple contre Bill Strausser), et de lui accorder par principe des circonstances atténuantes. Or finalement, les faits lui auront donné ô combien raison. Dès lors, si quelqu’un est en mesure de comprendre à terme en relativisant toute prétention à faire la leçon, c’est bien Rosales ! Mais il faudra du temps. La suspension du jugement s’applique donc à ce stade du récit.
D’autant plus qu’un commencement d’empathie a déjà conduit l’ex-disciple à accepter de retravailler avec l’ex-mentor au nom de l’intérêt général (comme l’avait pressenti cette dernière en amont en prenant sa décision de "sortir du tombeau"). Ce qui est déjà, mine de rien, une avancée significative du côté d’Aleida seulement quinze minutes après avoir découvert l’impensable vérité...
La caméra s’éloigne alors des deux génies scientifiques, pas forcément encore réconciliées, mais ayant renoué sur l’autel de leur passion créative commune. Et off screen, elles trouveront manifestement la solution du problème à trois corps...

Tandis que le meeting du M-7 a pris fin et que Aleida boucle sa valise dans sa chambre d’hôtel, les télévisions du monde entier diffusent à la stupeur générale la conférence de presse de Margo Madison, désormais nouvelle co-directrice de Roscosmos ! Elle récitera une version très soviétisée des raisons de sa défection (« J’ai pris la décision de passer à l’Union Soviétique en 1995 après de nombreuses années d’insatisfaction et de déception vis-à-vis de la NASA et du gouvernement américain. Le programme spatial que j’ai rejoint en 1966 avait changé au fil des ans et fini par placer le profit avant la vie. Il s’efforçait à diffuser sa propagande dans le monde plutôt qu’à améliorer la condition humaine ou à enrichir la grandeur de l’humanité »).
Pour qui connaît le parcours réel de Margo et les véritables raisons qui l’ont conduit à passer à l’est, il est évident que sa déclaration publique n’est pas sincère, du moins pas entièrement. Icelle présente donc les stigmates de la contrainte politique, au minimum de gages d’allégeances. Il s’agit donc d’un pur parangon de propagande, fusionnant indissociablement vérités et mensonges, et où l’idéal verbatim de la série FAM — et de Madison elle-même — se voit ramassée et confisquée par la seule URSS… comme si cette dernière avait davantage eu à cœur que les USA de servir et d’améliorer l’humanité ! Faut-il en rire ou en pleurer ? En sus, cette déclaration de Madison véhicule une telle ambivalence dans la réalité d’aujourd’hui qu’elle en réjouira plus d’un, car si bon nombre de nos contemporains (peut-être même Alain Badiou ?) ne sont plus dupes de la nature réelle de ce que fut l’URSS, l’américanophobie ne s’est en retour jamais aussi bien portée ! Ce qui forme, mine de rien, une vraie dialectique en externaliste.
Mais en internaliste, la haine et le dégoût envers Margo se devinent déjà sur bien des visages, notamment ceux de ses amis et collègues passés, telle Danielle Poole (à Happy Valley). Mais Rosales, elle, restera indéchiffrable en sonnant le clap de fin (par un fondu au noir).
Désormais, c’est au tour de Madison de connaître la condition peu enviable de son ancien mentor Wernher von Braun. Comme maintenant sa disciple Aleida envers elle, Margo fut elle aussi bien prompte à juger (et à évincer) le transfuge allemand (cf. la première saison de FAM). Une forme de justice immanente (« car de la manière dont vous jugez, vous serez jugés »)… ou de malédiction qui se répète.

Dramaturgiquement, cet arc est exemplaire. C’est un modèle du genre et il ne serait pas possible d’être plus élogieux.
En revanche, contextuellement, il laisse quelque peu à désirer. Parce que tout repose sur un postulat… un peu forcé.
En effet, une rencontre internationale de cette importance stratégique ne peut pas ne pas avoir été préparée en amont par tous les participants avec l’aide de leurs équipes scientifiques respectives.
Certes, l’urgence de la fenêtre de disponibilité pourrait expliquer quelques improvisations in situ, notamment que des possibilités impensées (comme rediriger l’astéroïde vers la Terre) puisse naître des échanges. C’est même là tout le bénéfice du brainstorming dont la créativité sera toujours fonction du degré de pluralité (avantage donc aux adversités de camps que tout oppose sur les fausses pluralités au sein d’un même camp). Un nouvel exemple de la pensée latérale d’Edward de Bono...
Néanmoins, en amont de l’idée innovante d’Eli Hobson (développée ensuite par Aleida et Margo), il n’est guère vraisemblable que seuls les ingénieurs de Helios aient réalisé une étude de viabilité et un chiffrage (communiquées par Aleida). En contraste, les représentants de la NASA et de Roscomos semblaient être venus en touristes, sans rien avoir de concret à proposer... ce qui permet commodément de faire porter en intégralité la charge de l’expertise technique aux seules Aleida (officiellement) et Margo (officieusement). Dès lors, leur collaboration transpartisane finale n’en apparaît que plus impérative, telles deux superhéroïnes auxquelles le sort du monde serait suspendu car seules capables de construire ensemble le futur. Autant dire que le VIPisme se devine ici sans fard.
Quant aux représentants des autres nations ou agences, ils se contentent de faire de la figuration durant la conférence, au fond comme leurs délégations sur Happy Valley... C’est à se demander pourquoi l’alliance M-7 a été créée si tout se joue encore et toujours en ménage à trois (NASA + Roscosmos + Helios), soit exactement comme dans la troisième saison.
En réalité, cet assemblage résulte de l’idéologie qui irrigue la série FAM depuis son lancement, possiblement à un niveau inconscient : le libertarianisme. La conviction que ce sont toujours quelques individus d’exception — en l’occurrence ceux sur lesquels la série porte son attention — qui sont les locomotives voire même les artisans exclusifs du progrès. Ce qui permet de mettre en place des effets dramaturgiques sensationnels comme lorsque Margo conclue son "pep talk" à l’attentions d’Aleida par : « On peut changer le cours de l’histoire humaine. Tout de suite, ce soir, dans cette chambre » ! Ça en jette, c’est sûr.
Toutefois, il faut être lucide : le corollaire même de toute fiction reposant sur des personnages récurrents est... la nécessité narrative de personnifier les facteurs de causalité. Tout est affaire de dosage bien évidemment pour ménager la crédibilité, mais il ne faut pas être dupe de certains mécanismes narratifs irréductibles. Et c’est probablement la série Foundation qui aura été la plus confrontée à ce défi conceptuel aporétique : adapter à l’écran une diachronie littéraire fondamentalement collective (la psychohistoire) à travers une poignée de protagonistes icônisés traversant les époques.

II

Sur Mars, l’amiral Edward Baldwin a été dépossédé de toutes ses fonctions par la commandante Danielle Poole. Et pour un esprit viscéralement pionnier comme le sien, qui s’est toujours défini dans l’action, cela revient à le priver de sa raison d’être. Ce n’est pas un hasard s’il n’a jamais quitté le service actif outre-Terre pour profiter d’une retraite médiocre dans un quelconque EHPAD de luxe…
Dès lors, en l’absence de finalité existentielle, rien d’étonnant qu’Ed se laisse soudain totalement aller… jusqu’à s’abandonner aux compulsions primales. C’est ainsi qu’il flairera — tel un chien truffier — à travers tout Happy Valley la fontaine éthylique : un beau matin, rompant avec sa routine oisive, sur un fataliste That’s Life de Frank Sinatra, il quittera sa chambre et se dirigera d’un pas décidé directement au rade clandestin d’Ilya !
L’inquiétude initiale du contrebandier russe en voyant débarquer l’ex-XO en personne dans son repaire secret fera néanmoins rapidement place au soulagement lorsque le "prestigieux" nouveau client réclamera à boire (de la vodka) exactement comme le reste de la compagnie. Breshow ne résistera toutefois pas à la tentation de cuisiner Baldwin, mais la seule explication qu’il obtiendra du commandement en second est son expérience de l’alambic dans les coins les plus reculés où l’humanité s’établit : des prisons aux églises, des porte-avions aux stations spatiales…
Ed ira même jusqu’à délivrer à Ilya des conseils d’expert (changer le filtre de la conduite de condensation) pour améliorer le goût de son "самогон"… en contrepartie de bibine gratis… et de cigarettes.

En apparence, cette analogie a de la gueule, et possède même tous les attributs de l’universalisme détaché (« partout où il y a des hommes, il y a de la gnôle… »). Les accomplissements de la quatrième saison (liaisons Terre-Mars fréquentes et hors des fenêtres de lancement, affranchissement des rigueurs pondérales pour autoriser la contrebande…) résultent de l’hypothèse disruptive de FAM (les nouveaux systèmes de motorisation). Malgré tout, difficile de se départir du sentiment que les scénaristes perdent parfois un peu de vue les implications réelles des environnements extrêmes où leurs personnages évoluent, ou du moins surjouent la banalisation de la vie dans l’espace ou sur Mars. Sorry, mais à ce stade de la chronologie (même uchronique), Happy Valley ne peut pleinement équivaloir à un porte-avion (ni à aucun de ces lieux terriens pittoresques où le vieux baroudeur a traîné sa carcasse).
Quant au pif-détecteur-de-bistouille, il serait élégant d’accorder à l’épisode cette licence poétique sans convoquer le ban et l’arrière ban des super-pouvoirs de la maison des idées. Malgré tout, le recherche de cohérence confirmerait l’hypothèse des épisodes précédents, à savoir une connaissance de la contrebande et de la distillation par les autorités, assortie d’une certaine tolérance, non par mépris de classe, mais par pragmatisme psychologique pour accroitre les performances professionnelles (i.e. en aidant le personnel à supporter l’isolement et l’éloignement en prévenant les pathologies dépressives et autres collapsus). Un écho à la fois de la réalité (même dans les sociétés contemporaines les moins corrompues), mais également d’un des thèmes récurrents de la série BSG 2003 (cf. par exemple BSG 2003 02x14 Black Market).

Mais c’est en le cuisinant à son tour sur le chiffrage précis de son opulent business illégal… que la peur changera momentanément de camp. Après tout, Ed pourrait en effet être en mission d’infiltration pour le compte de l’autorité… dont il fait encore partie.
Baldwin en sera d’ailleurs le premier étonné lorsqu’il recevra la visite dans ses quartiers — entre deux taffes — du responsable des ressources humaines, Palmer James. Celui-là même qui l’avait dénoncé (à contrecœur) à la commandante Danielle Poole (dans FAM 04x05 Goldilocks) et qui, depuis, a comme par hasard hérité de la fonction de XO… Or il apparaît que la sanction opérationnelle infligée par Danielle n’affecte pas la fonction organique d’Ed, toujours "senior project manager" de Happy Valley. Logique effectivement, car les accords entre les diverses agences spatiales internationales et Helios Aerospace ont conduit à la mise en place d’une chaine de commandement unique et commune, mais les décisions opérationnelles ne se substituent pas à l’autorité administrative des employeurs respectifs ; or Poole rend des comptes à la NASA… et Baldwin à Helios ! Par conséquent, ce dernier est toujours tenu de valider et contresigner les bases de rémunération et de primes des employés de la compagnie…
James s’attendait probablement à ce que son ancien supérieur paraphe cet épais document à l’aveugle… sauf que ce ne fut pas le cas cette fois-ci ! À la plus grande frustration de Palmer visiblement, le réflexe d’Ed fut de faire son boulot "by the book", c’est-à-dire de prendre la peine de lire avant de signer. Ce qui est mine de rien le minimum syndical de tout exercice de responsabilité (tant envers soi-même qu’envers les autres). Et bien lui en aura pris, car dans la solitude de sa chambre enfumée, il découvrira le pot aux roses…

En parallèle, le "petit personnel" de Happy Valley — c’est-à-dire la "classe ouvrière" employée par Helios — s’échauffe de plus en plus. Quoique temporairement apaisé grâce aux initiatives de Poole dans FAM 04x02 Have A Nice Sol, l’état de mécontentement général qui sourdait dans les épisodes précédents de la quatrième saison n’a fait que s’accentuer à l’annonce du supplément de travail (et de risque) que va exiger le projet de capture (puis de forage) de l’astéroïde 2003LC (Goldilocks). Des proto-soviets se multiplient à bord de la bourgade martienne à l’initiative de Massey, toujours sur le front lorsqu’il s’agit de défendre la "cause prolétarienne".
Mais les opinions restent divisées : Samantha se préoccupe avant tout des injustices de classe (et partant des conditions de travail et de sécurité) avec un sens stratégique affirmé (la fenêtre de capture est si étroite que jamais Helios ne réussirait à faire venir des personnels de remplacement dans les temps), si bien qu’elle prône la mise à profit de ce contexte d’urgence qui ne se représentera probablement pas (c’est maintenant ou jamais quoi !) pour monter un syndicat (ce qui avait été refusé sur la lunaire Jamestown), quitte à recourir à une grève pour faire céder Helios. Mais d’autres travailleurs conservent un état d’esprit de mercenaires, et ne tiennent donc pas à prendre des risques avec les primes confortables promises en cas de sur-sollicitation intensive 24/7 (et tant pis pour l’exploitation éhontée et les dangers corollaires).

Le coup de théâtre est que Baldwin en personne s’invite d’autorité à la dernière réunion des "salariés en colère". Massey a l’intelligence de comprendre immédiatement (et l’honnêteté intellectuelle d’annoncer à tous ses collègues) qu’Ed cherche juste à se venger pour avoir été viré de sa fonction de XO. Mais matois comme un vieux renard, ce dernier le reconnait bien volontiers, tout en soulignant que sa motivation importe finalement peu, l’essentiel restant la factualité des informations qu’il vient apporter aux employés de Helios.
Et il faut bien dire que lesdites informations sont déterminantes ! Le dossier des dernières grilles de rémunérations & primes révèle en effet que la direction de la société Helios Aerospace a unilatéralement redéfini les conditions d’emploi (les contrats étant modifiables à la discrétion de l’employeur), moyennant en l’occurrence une refonte du système de points (le premier seuil étant désormais à 5 000 et non plus 500) mais aussi de primes (la première est désormais de 5 000 USD et non plus 20 000). Cette réalité s’avère parfaitement documentée puisque le dossier interne destiné au "senior project manager" est livré au courroux populaire.
Comme l’anticipait manifestement Baldwin, ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Certains auront encore le réflexe très américain de se réfugier dans les recours légaux, mais Ed balayera cet espoir : en cas de poursuite, les litiges iront à l’arbitrage privé et Helios pourra choisir l’arbitre (ce sont de telles dispositions qui ont fait capoter le projet du TAFTA/TTIP en 2016). Dès lors, les employés les plus mercenaires n’ont plus aucune raison de demeurer loyalistes. Finalement, en guise de bouquet final, Ed se métamorphosera en tribun populiste, et il motivera les troupes avec quelques mots bien choisis, simulant sa solidarité avec les classes populaires : « Il faut écouter Massey. Faites bloc. Organisez-vous. Syndiquez-vous. Envoyez un message à ces tocards. S’ils veulent leur précieux astéroïde, il faudra vraiment payer ceux qui font le sale boulot. [Et si ça marche pas], alors on bouclera la base ! ».
"Standing ovation" ! Puis le personnel se met à scander en cœur : « Strike ! Strike ! »…

Voilà un retournement de situation qui aura le mérite de surprendre au sein d’une construction pourtant prévisible dans son ensemble.
Et c’est ainsi que débute la quatrième vie d’Ed Baldwin, ce vieux chat aux neuf vies, tel un Raminagrobis inusable, increvable, retombant toujours sur ses pattes.
Il était à l’origine un militaire, officier de la Navy, pilote de chasse, et héros décoré de la Guerre de Corée.
Puis il devint pionnier de l’espace et enfant terrible de la NASA pour avoir incarné son âge d’or au même titre que Neil Armstrong (l’époque des premières missions Apollo).
Contre toute attente, il a magistralement réussi son parachutage dans le privé au début de la troisième saison… en devenant carrément le faire-valoir médiatique de Helios… rien que pour le plaisir de faire ch*** sa rivale Danielle (que Margo avait choisi à sa place).
Et maintenant, voilà qu’il se reconvertit en lanceur d’alerte puis en leader syndicaliste… rien que pour la joie mauvaise d’adresser un pied de nez à la SJW Danielle Poole !
Cette capacité à survivre et même à rebondir, à retourner sa veste au point de prendre le risque de faire capoter ses objectifs précédents (ici la capture de l’astéroïde), à tirer opportunément avantage de n’importe quelle situation (et vent contraire)... c’est en réalité indissociable de la typo de pionnier — et de survivant — de Baldwin dont le tropisme autocentré se révèle servir l’intérêt général (souvent malgré lui). Cela s’apparente à un running gag hilarant, mais c’est en réalité du 100% Ed jusqu’au bout des ongles : écrire la grande Histoire en pensant à sa gueule d’abord... ou plus exactement à son orgueil (a fortiori si celui-ci est blessé). Un exemple à ne surtout pas suivre, mais une exception statistique qui reste indissociable de certaines légendes de la chronologie aéronautique et astronautique.

Évidemment, les puristes de la cause sociale seront choqués que ce ne soit pas une juste conscience (et lutte) de classe, mais le seul revanchisme personnel d’Ed (envers son ex-supérieure) et/ou sa crainte inconsciente de se remettre les pieds la Terre (où l’attendent tant de fantômes)... qui donne un coup de fouet à la cause syndicale des travailleurs de Mars. Cependant, nul ne tente ici de faire passer les vessies pour des lanternes, et la militante Samantha l’a d’emblée compris. Malgré les apparences, Baldwin n’est pas l’insultant col blanc dont la classe ouvrière aurait besoin pour être défendue et "sauvée". Il n’est même pas celui qui réalise l’alliance nécessaire à la révolution, mais simplement l’informateur… qui trahit sa prétendue classe (dont il se fiche d’ailleurs totalement) et se prend au jeu au gré des circonstances. Cette configuration s’inscrit en réalité pleinement dans la culture syndicale étatsunienne, qui contrairement à ses homologues européennes continentales n’est pas née du marxisme mais du contractualisme, des Trade unions britanniques (dans le sillage de John Gast), et en amont du corporatisme médiéval.
Et dans ce continuum, rien d’étonnant à ce qu’il n’y ait pas (encore) de syndicat sur Mars si même sur la Lune, car il demeure difficile d’en créer dans la législation américaine (contrairement à la française). Ce n’est pas un droit garanti par le NLRB (droit du travail US), et le syndicalisme ne s’y pense pas comme un acquis résultant de la lutte des classes. C’est un communautarisme professionnel qui se construit sur des opportunités et des passages en force faisant feu de tout bois — indiscrétions et manipulations comprises (par finalisme). Mais lorsque les "Unions" parviennent à voir le jour aux USA, elles peuvent devenir aussi puissantes que des contrepouvoirs institutionnels.
Du coup, dans ce contexte, peu importe aux travailleurs les motivations d’Ed, l’art et la manière de parvenir à leurs fins, car tous les chemins peuvent mener à la négociation et au rééquilibrage. Cet enchaînement de causalités est donc plutôt réaliste, même s’il est totalement USA-morphe. Mais eh, Helios reste une société américaine (même si elle se dit multinationale), et visiblement, l’alliance M-7 n’aura pas permis aux nombreux contributeurs pseudo-communistes (URSS, Corée du Nord…) d’imposer un moyen terme, ne fût-ce que pour la vitrine.

Certes, une lecture cynique pourrait conduire à un parallèle intentionnel entre Edward Baldwin et un certain leader populiste au centre de toutes les attentions (ou inquiétudes) : c’est-à-dire un "underdog" assurant son "coming back" malgré un âge avancé pour se venger d’un establishment dont il estime avoir été indûment exclu, en s’appropriant hypocritement des "causes" démagogiquement porteuses auxquelles il ne croit pas, et en draguant les voix de classes populaires auxquelles il n’appartient pas. Existe-t-il profil davantage américain (millésime 2023) ?
Et pourtant, pour qui connaît la personnalité rebelle et indomptable d’Ed (lui-même se définissant comme un « an old pot stirrer from way back »), rien ne permet d’exclure l’hypothèse qu’il aurait alerté les employés d’Helios même s’il n’avait pas été mis à pied par Danielle. Baldwin ne possède aucune maturité de classe sociale, il a juste la prétention d’appartenir à une élite pionnière portée par un idéal de dépassement, donc méprisant toute motivation matérialiste (comme il l’avait lui-même avoué dans FAM 04x02 Have A Nice Sol). Mais dans le même temps, il est en partie d’obédience libertarienne comme une frange non négligeable de la vieille Amérique (et comme probablement les showrunners eux-mêmes et notamment RDM), et c’est tout sauf un homme du système (c’est d’ailleurs bien pour cela que la NASA l’avait évincé au profit de Danielle Poole dans FAM 03x02 Game Changer). Dès lors qu’une injustice lui saute aux yeux et/ou l’insupporte, il n’hésitera pas à démolir l’ordre qu’il est supposé servir, à son détriment s’il le faut (à l’exemple du psychodrame de Svetlana Zakharova dans FAM 04x04 House Divided).
Aux USA, la grève et plus généralement la contestation peuvent être davantage des paradigmes libertariens que socialistes — une réalité contre-intuitive pour un Français (tenté d’y projeter ses propres entendements davantage marxistes qu’anarchistes). Cela n’a donc rien d’incompatible avec les valeurs, le parcours, et les évolutions de Baldwin — toujours capable de s’entêter jusqu’à desservir ses convictions originelles et sa propre personne. Si l’étincelle aura été son désir de représailles contre la commandante et/ou sa peur panique de revenir sur Terre, Ed n’en demeure pas moins un libertarien radical, un vrai, donc un rebelle avec ou sans cause, jusqu’à l’autodestruction s’il le faut — ladite cause n’y étant souvent que facultative. De toute évidence, les scénaristes maîtrisent diachroniquement à la fois la caractérisation complexe (et parfois contradictoire en apparence) du personnage vedette de FAM et la sociologie politique américaine.
Chacun possède ses intérêts (collectifs ou personnels) dans cette affaire, et c’est précisément ce qui définit un partenariat (dans la grammaire US). Mais pour qui voudrait sonder les cœurs et les âmes, quel que soit le degré d’opportunisme et/ou d’autocentrisme de Baldwin dans son "ralliement" à la grève, il arrive que l’habit finisse par faire le moine…

Finalement, le seul élément de cet arc qui pourrait accuser une faiblesse scénaristique, c’est la logique — même dans un système profondément capitaliste et libéral — de spolier aussi grossièrement tous les employés de terrain précisément à l’aube d’une opération astronautique vitale, tant pour l’avenir de la compagnie Helios que de l’humanité elle-même (à supposer qu’un gisement aussi massif d’iridium puisse être vraiment un "game changer"). Alors qu’un tel enjeu nécessite de disposer d’un personnel au top de sa forme et de sa motivation, a fortiori devant tous les pays et les médias du monde entier, qui plus est dans le cadre d’une coopération avec des pays dits "communistes", surtout si Helios emploie aussi des Russes (comme le suggère par exemple l’accent de Luka Gurino) depuis l’instauration de l’amitié post-Guerre froide entre USA et URSS (sous Gorbatchev).
La vraie question est donc : est-ce que la révision unilatérale des contrats (au détriment des employés de Happy Valley) résultait d’une décision de l’administration précédente de Helios (antérieure à l’OPA de Dev Ayesa dans FAM 04x03 The Bear Hug, et donc également antérieure à la découverte de l’astéroïde 2003LC ? Car si cette décision a été vraiment prise par la nouvelle direction en pleine connaissance des nouveaux enjeux, cela témoignerait d’un niveau d’incompétence trop contreproductif pour être vraiment crédible (du moins pour une société engrangeant autant de bénéfices et sous le feu de tous les projecteurs). En somme, de quoi suspecter un artifice diégétique uniquement pour permettre à Ed Baldwin de briller et se remettre en selle...
Cette configuration est d’autant plus ubuesque au regard des motivations avouées de Dev... Car autant il ne perd jamais de vue ses intérêts (financiers notamment) tandis que la prétendue horizontalité de son management reste contestable, autant il n’est pas possible de douter de son relatif idéalisme… lui ayant même valu de prendre la décision d’immigrer définitivement sur Mars pour y "bâtir un nouveau monde meilleur" — selon ses propres termes (dans FAM 04x05 Goldilocks). Une perspective où l’intérêt et l’idéalisme pourraient même converger... Du coup, la provocation socio-économique de la baisse des primes des "forçats" martiens fait désordre dans ce narratif. C’est une sacrée dissonance — pour ne pas dire incohérence — entre tout ce qui a été donné à voir d’Ayesa dans les épisodes précédents (en particulier son rêve martien apparemment sincère)… et les conditions de travail de ses employés régressant presque au 19ème siècle (de la seconde révolution industrielle).
Bien sûr, FAM 04x07 Crossing The Line pourra toujours dérouler l’argument commode de quelques technocrates incompétents qui auraient agi dans le dos du PDG éclairé de Helios — quant à lui encore en route vers Mars (avec Kelly et Alex).
Dans tous les cas, au courant ou pas (des décisions de ses prédécesseurs ou de ce que ses subalternes), il est très probable que le grand patron visionnaire va réussir à désamorcer la crise... en distribuant aux grévistes des cadeaux plus ou moins illusoires. Mais si son ambition est de devenir le futur souverain de Mars, il aura tout intérêt à susciter des loyautés qui ne se limitent pas à des portefeuilles d’action...

In fine, aussi consistant que soit l’internalisme, l’obsession de la transposition est trop souvent assortie d’une charge externaliste qu’il est bien difficile de masquer. Et dès lors qu’il est question de grève (à l’américaine) dans un contexte de science-fiction, comment ne pas songer à BSG 2003, par exemple à BSG 2003 03x16 Dirty Hands ? Si ce n’est que par son contexte, FAM possède un meilleur alibi transpositionnel que la précédente série SF de RDM...

III

FAM 04x05 Goldilocks annonçait clairement la couleur quant à l’affrontement qui grondait entre Breshov et Dale. La planète Mars allait-elle accueillir, non pas son premier mort (la troisième saison s’en étant déjà hélas largement chargé), mais sa première victime de meurtre crapuleux ?
Comme dans un bon vieux Scarface des familles, quand et comment la foudre allait-elle s’abattre sur Miles, telle était la seule question en suspens... Parce que l’identité de la victime ne faisait pas débat quant à elle. Entre un chef mafieux expérimenté et un lieutenant encore bleu ayant eu le culot de le doubler (ou plus exactement d’utiliser le réseau du premier sans son accord pour un trafic parallèle), qui aurait osé parier un kopek sur le second ? Et pourtant…
C’est au retour d’une "pêche" à l’obsidienne rouge en rover à la surface de Mars que l’offensive se déclare ouvertement contre Dale. Tout d’abord, son contact Faiza Khatib — manifestement une musulmane portant le hidjab (beau signe d’inclusivité !) — refuse de charger sa cargaison de pierres de Mars (au passage plus lourde qu’à l’accoutumée, Miles est manifestement devenu gourmant et imprudent).
Puis, l’armoire à glace Petros Khorenatsi surprend Dale par derrière, le saisit par le cou, et l’étrangle ! Il aurait pu l’achever sans difficulté, mais il relâche la strangulation in extremis en lui annonçant qu’il est désormais tricard dans l’organisation l’Ilya, ce dernier se refusant même désormais à lui parler !
Miles en ressort profondément ébranlé, aussi bien physiquement que moralement. Il aura vu passer la mort de très près… et il a brutalement tout perdu ! Mais Breshov aura été suffisamment "tendre" (du moins dans la "taxonomie" mafieuse) pour l’épargner, en "se contentant" de lui adresser un message musclé et intimidant puis en le virant sans ménagement.
L’expérience contrebandière de Dale aurait pu s’arrêter là. D’autant plus qu’il n’a finalement pas tellement à se plaindre : en seulement quelques mois, son "business" d’export lui aura permis de gagner assez d’argent pour payer à sa femme Amanda et à ses enfants une maison individuelle.

Oui mais voilà, Miles possède une botte secrète. Les risques fous qu’il aura pris dans FAM 04x03 The Bear Hug pour reconquérir l’estime d’Ilya sont en fait restés un investissement personnel auprès des Nord-Coréens (la redevabilité étant un capital réversible). Et la déloyauté de Breshov envers le lieutenant-colonel Lee Jung-Gil est désormais une arme à double-tranchant...
Dale passe donc à la contre-offensive en rendant une visite discrète à la section nord-coréenne de Happy Valley… où il a désormais ses entrées. Jung-Gil accorde une oreille d’autant plus attentive à sa mésaventure que Dale lui révèle que, par affairisme, Ilya le balade sur sa demande de faire venir son épouse sur Mars. Inutile de revenir sur l’outrance que représente en soi le transit d’une passagère clandestine durant plus d’un mois de voyage spatial, moins pour des questions de surcharge pondérale (le trafic d’obsidiennes représentant probablement bien davantage) puisque cette question semble avoir été résolue par les nouveaux systèmes de propulsion, que pour des questions de support de vie (oxygène, nourriture…) et de détectabilité par les autorités (aussi bien durant le voyage sur Mars). Mais Lee aurait pu s’émouvoir que Miles ne lui ait révélé (avec une fausse componction) cette duplicité qu’au seul motif qu’il n’est désormais plus dans les grâces de Breshov (il est cependant vrai que Dale s’était un peu formalisé en privé de ce double-jeu dans FAM 04x05 Goldilocks).
Qu’importe. Jung-Gi est en fureur contre Ilya, tandis que Miles prend sa relève dans le jeu risqué des miroitages. Ce dernier y gagne une "armée privée" de nervis nord-coréens. Dès lors, les rapports de force ne mettent pas longtemps à se renverser ! L’imposant Petros est rudement molesté de nuit dans une coursive (bras cassé, côtes fêlées, pneumothorax), mais il se garde bien de dénoncer l’agression, imputant son état à une accident d’élévateur. Breshov n’en croit évidemment pas un mot. Mais cette soudaine omerta résulte-t-elle de la présence à l’infirmerie du Dr Dimitri Mayakovsky (certes soviétique mais n’appartenant pas à la sphère d’Ilya) ou, plus inquiétant, d’une commination imposée par les Nord-Coréens ?
Des expéditions punitives au "coup d’état" pur et simple, il n’y a qu’un pas (selon FAM)… que l’épisode franchit allègrement.
Sentant que le sol se dérobe sous ses pieds et que le contrôle de son organisation pourrait lui échapper, Ilya commence à paniquer. Mais il est déjà trop tard pour lui. En arrivant à son tripot clandestin, pas un client.. mais Miles l’y attend, serein et triomphant, comme en terrain conquis. Il faut dire que deux nervis nord-coréens coupent la retraite à Breshov, et celui-ci n’en mène pas large. Dale peut alors entonner un discours faussement généreux et faussement reconnaissant : « Tu as envoyé un homme m’étrangler. (…) Toute la base va crouler sous les billets. C’est une chance pour tout le monde. Une chance que je peux pas laisser passer. Je veux toujours que tu participes. (…) Je sais que tu tiens à ce bar. Il représente beaucoup pour toi. Alors passe quand tu veux. Tu m’as aidé quand j’en avais besoin. Je l’oublierai jamais. »

Et c’est ainsi que le trafiquant Russe se fait tout bonnement expulser de son propre réseau de contrebande et de son propre bar (désormais tout juste toléré comme client) par cet Américain ne payant pas de mine, gauche et maladroit, à peine affranchi. L’élève a manifestement très vite appris au contact du maître, puis l’a dépassé. Et le vizir n’a pas mis longtemps à prendre la place du calife avec les propres méthodes de ce dernier. Un monde qui ne connait et comprend que les rapport de force brute.
Ce dénouement fait bien sûr l’effet d’un coup de poing, d’autant plus édifiant qu’il a pour cadre une fragile colonie martienne. Il serait possible d’y voir une tentative de transposition martienne (très abrégée et simplifiée) de la Trilogie du temps de Sergio Leone, et en particulier Once Upon A Time In America (1984)… voire même de la trilogie USA : Land of Opportunities de Lars von Trier. Décidément, l’humanité transporte dans ses colonies ce qu’elle a de meilleur… et de pire.
Pour une cité extraterrestre multiculturelle, Happy Valley apparait finalement bien étatsunienne. Certes, rien d’incohérent, car à ce stade de la chronologie, la domination américaine coule de source, surtout au regard des postulats de FAM. Mais du coup, l’utopie Star Trek semble ici aussi loin de l’uchronie de FAM que de notre dystopie contemporaine ! Pour tenter d’atteindre l’inaccessible vitesse de la lumière dans le vide, la route est encore bien longue…

Si la symbolique est assurément éloquente, et s’il serait prudent de ne pas trop préjuger de l’issue finale (des rebondissements dans cette "guerre des gangs" sont toujours possibles dans les épisodes suivants pour ne pas dire souhaitables en matière de réalisme), la démonstration manque hélas d’assise pour être pleinement convaincante.
Trop de raccourcis ont été pris, on screen du moins. Parce que pour réussir vraiment un putch dans une organisation mafieuse, il ne suffit pas de débarquer avec une paire de séides baraqués. C’est auprès de toutes la chaîne d’intermédiaires qu’il faut réussir à doubler le parrain. Et le réseau d’Ilya est probablement composé en majorité de compatriotes soviétiques, ce qui pourrait largement disqualifier Miles dans son "OPA".
De plus, si les Nord-Coréens ont un tel monopole de la force sur Happy Valley pour retourner la situation au profit de Dale en un simple claquement de doigts, pourquoi ne se sont-ils pas d’eux-mêmes emparés du marché noir bien avant ? Du coup, Lee Jung-Gil et ses compatriotes s’apparentent à des personnages-fonction au seul service du VIP Miles. De nouveau, ce manque de plausibilité n’est-il pas à l’image de BSG 2003 02x14 Black Market ?
Dommage, car le potentiel thématique est aussi présent que prégnant. Ce sixième épisode ne souffre-t-il pas d’avoir embrassé trop de sujets ambitieux sans s’accorder le temps de traiter chacun d’eux à la mesure de leur ambition ?

Conclusion

FAM 04x06 Leningrad sera possiblement considéré par une partie du public comme le point culminant de la quatrième saison, ou du moins le meilleur épisode de la saison en date.
Il est incontestable que ce sixième opus est impressionnant par sa construction, par sa charge émotionnelle (moyennant un pathos suffisamment légitimé par l’histoire pour ne pas apparaître comme tel), par sa maestria internaliste, par sa façon d’emboîter à la perfection tous les chemins de vie qui avaient été disséminés au gré des épisodes précédents (les retrouvailles entre Margo et Aleida, l’increvable Ed se recyclant dans le syndicalisme à l’américaine et non à l’européenne, Miles supplantant Ilya avec ses propres méthodes), par son écriture très psychologique des dialogues (capables de gérer les divergences d’entendement ou d’intérêt sans prendre parti), par sa rigueur technique (l’inventaire des méthodes de déviation des astéroïdes et les implications réelles d’une exploitation industrielle des gisements d’iridium), par son authenticité contextuelle (Leningrad, le sommet international, la russophonie...).

Et pourtant, FAM 04x06 Leningrad est diégétiquement moins solide qu’il ne le semble en première lecture...
Paradoxalement, l’arc en apparence le plus bancal (l’appropriation par Baldwin de la lutte syndicale des grévistes) est peut-être le plus crédible à l’aune du monde réel (outre de véhiculer un humour inattendu de running gag à l’échelle de la série).
Tandis que l’arc en apparence le plus inspiré et vraisemblable (le meeting du M-7 à Leningrad) est peut-être le plus artificiel dans le champ internaliste.
Quant à l’arc mafieux, il demeure allégoriquement marquant, mais hélas trop simpliste dans sa concrétisation.
Mais qu’il s’agisse des quelques pertes de vue contextuelles (la vie hors de / sur la Terre sont trop homothétiques), du monopole VIPique (favorisant trop les seuls protagonistes de la série sur une démographie pourtant très riche), d’une individualisation excessive de la sociologie et des moteurs historiques (la vision libertarienne de RDM), des rebondissements précipités ou téléphonés (les showrunners semblent si pressés de faire avancer la grande Histoire alternative), et de la visibilité occasionnelle de la main externaliste des scénaristes (le pesanteur des transpositions)... est-il légitime d’en faire vraiment grief à FAM 04x06 Leningrad dans la mesure où la plupart de ces "limites" sont inscrites dans l’ADN — et le contrat même — de la série depuis son lancement ? Quand bien même davantage détectables ici que dans d’autres épisodes, ces imperfections participent au fond des inévitables biais autocentrés de toute uchronieœuvre à thèse par construction.

En tout état de cause, FAM 04x06 Leningrad demeure un exercice fascinant de SF aussi ambitieuse que sophistiquée. Mais il n’est ni waterproof ni à toute épreuve, et quelques tropes typiquement mooriens — fleurant bon BSG 2003 — transparaissent çà et là...

NOTE ÉPISODE

BANDE ANNONCE



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