For All Mankind : Critique 4.01 Glasnost

Date : 14 / 11 / 2023 à 14h00
Sources :

Unification


FOR ALL MANKIND

- Date de diffusion : 10/11/2023
- Plateforme de diffusion : Apple TV+
- Épisode : 4.01 Glasnost
- Réalisateur : Lukas Ettlin
- Scénaristes : Matt Wolpert & Ben Nedivi
- Interprètes : Joel Kinnaman, Toby Kebbell, Krys Marshall, Edi Gathegi, Cynthy Wu, Coral Peña, Tyner Rushing, Svetlana Efremova, Wrenn Schmidt, Daniel Stern, Jodi Balfour, C.S. Lee, Lev Gorn, Robert Bailey Jr.

LA CRITIQUE YR

Entre For All Mankind 03x10 Stranger In A Strange Land (un final cataclysmique diffusé le 12 août 2022) et For All Mankind 04x01 Glasnost (10 novembre 2023), l’univers polynomial de la série sera quant à lui passé du 1er octobre 1995 (explosion terroriste au Johnson Space Center) au… 17 mars 2003 (Ranger 1 au voisinage de Mars).
Soit presque huit ans d’Histoire contrefactuelle que balaye cet épisode d’ouverture — il en fut de même dans les deux précédentes saisons — en 3’30 et six pastilles combinant des images d’archives authentiques, des coupures de presse fictives, des enregistrements audio tweakés, des deep fakes vidéo échantillonnés en superposition ou en fondu enchainé, des reportages TV respirant l’authenticité d’une autre réalité... et d’innombrables Easter eggs réservés aux plus attentifs (souvent décelables seulement via des arrêts sur image) mais annonçant pourtant chirurgicalement les ressorts de la quatrième saison. Cette fenêtre alter-documentaire ouverte sur un autre monde, si semblable et pourtant si différent, induit une sensation méta-dissociative directement sortie des Ailes du désir de Wim Wenders (1987). Il s’agit probablement des meilleures séquences du genre uchronique à ce jour dans FAM. Lorsque l’effet papillon donne littéralement le vertige...

Alors voici tout ce que FAM n’aura pas mis en scène :
- Le procès des fomenteurs de l’attentat à la bombe du Johnson Space Center s’est tenu durant plus de deux ans. Les terroristes ("sociaux" ou conspirationnistes selon la perspective) Harold Goodman et Sunny Hall ont finalement été condamnés à mort après avoir été reconnus coupables de complot et d’assassinat de 195 personnes. Mais "l’idiot utile" Jimmy Stevens, dont la colère stérile anti-NASA avait été instrumentée, réussit à sauver sa peau en négociant avec les procureurs une remise de peine — à savoir douze ans de prison ferme et une amende de 200 000 USD — au prix d’un témoignage à charge contre ses "co-conspirateurs".
- Après l’évacuation orbitale spectaculaire de Kelly Baldwin à la fin de FAM 03x10 Stranger In A Strange Land, le Phoenix réussira à la rapatrier sur Terre. Elle survivra à sa pré-éclampsie et mettra au monde son fils "martien", Alex, sous haute couverture médiatique. Mais le prix de leur salut à tous deux fut d’encalminer sur Mars les pionniers de Happy Valley, condamnés à se rationner drastiquement jusqu’à l’arrivée d’une incertaine relève quelque deux ans après. C’est dans la seconde moitié de 1997 que les astronautes/cosmonautes/taïkonautes seront de retour sur Terre sains et saufs. Sains et saufs ? Cela reste à voir, car la photo de groupe se limite à seulement neuf survivants (au lieu de dix), dont Grigory Kuznetsov, Danielle Poole, Edward Baldwin, William Tyler… et Lee Jung-Gil (qui sera quant à lui accueilli triomphalement par les Nord-Coréens au travers des habituelles chorégraphies orwelliennes des pays pseudo-communistes). Mais aucune trace de Danny Stevens, ni en image ni en paroles. Aux dernières nouvelles, le responsable de la catastrophe martienne avait été "emprisonné" dans le module nord-coréen de type Soyouz à 89 km de la base. Cette inquiétante omerta suggère une inavouable tragédie qui se dévoilera probablement au fil de la quatrième saison.
- Suite à son coming out fracassant de 1995 (cf. FAM 03x09 Coming Home), la présidente Ellen Wilson a fait prévisiblement l’objet d’une procédure d’impeachment, soit la première depuis un siècle (Andrew Johnson en 1868 ?) — donc en quelque sorte "à la place" de Bill Clinton dans notre réalité (durant le second mandat de ce dernier). Mais à la fois pour avoir été acquittée par le Sénat, pour sa gestion exemplaire des conséquences de l’attentat terroriste ayant frappé le Centre spatial Johnson (cf. FAM 03x10 Stranger In A Strange Land), et pour avoir reçu le soutien inattendu de George HW Bush Sr. (avec à la clef un ticket de colistier à la vice-présidence en remplacement du réactionnaire homophobe James Bragg qui s’estimait trahi), Wilson remporte à nouveau l’investiture républicaine, est réélue à la présidence en 1996 face à Jerry Brown, puis est réinvestie en 1997 (toujours en lieu et place de Bill Clinton de notre côté du collapse du Ψ). Durant son second mandat, elle signera le "Landmark Marriage Inclusion Act" légalisant le mariage homosexuel à un niveau fédéral dès 1998… alors que dans notre chronologie, il faudra attendre le 26 juin 2015 pour sa légalisation par la Cour Suprême (arrêt Obergefell v. Hodges). Mais la présidente ne s’autorisera à bénéficier personnellement de cet acquis social qu’après son retour à la vie civile au terme de son mandat, épousant ainsi la professeure Pamela Horton le 15 juin 2001 (sa fidélité forçant le respect). Manifestement, Ellen Wilson aura concentré l’essentiel de la praxis woke à travers le parti républicain, ce qui aura permis à la série de rester à l’abri de récupérations électoralistes évidentes, en évitant ainsi de flatter l’agenda contemporain du parti démocrate (tout en rendant hommage au GOP qui fut historiquement l’acteur d’avancées progressistes majeures comme l’abolition de l’esclavage en 1865). Pour autant, cette distribution croisée (pour ne pas dire inversée) pourrait manquer de réalisme à la fin des années 90 étant donné le campisme idéologique des électorats, mais également l’aversion des élus républicains envers tout "jacobinisme" fédéral.
- À Bruxelles, Ellen Wilson et Mikhaïl Gorbatchev auront signé un traité d’exploration spatiale, baptisé Alliance Mars-7 (et abrégé en M-7), réunissant les USA, l’URSS, l’ESA (agence spatiale européenne), l’Inde, le Japon, la Corée du Nord, et un coalition de pays communistes. M-7, priorité absolue sous le second mandat de Wilson, met un terme à la compétition spatiale au profit d’opérations conjointes, et réunit des centaines de milliards de dollars pour étendre la base martienne de Happy Valley, passant alors d’une modeste station de recherche à une installation minière industrielle et autosuffisante en capacité d’héberger des centaines d’astronautes. De même, la Terre dispose désormais d’un port spatial international. Cependant, deux pays pourvus de programmes spatiaux ont choisi de ne pas se joindre à Mars-7 pour poursuivre leurs propres opérations spatiales en toute indépendance : la Chine communiste et le Canada ! De là à en déduire que la série se ménage des concurrents structurels pour le futur, il n’y a qu’un pas… étant donné que la rivalité demeure le moteur même de l’essor spatial selon le postulat de FAM — une rivalité dont M-7 représente justement le dépassement (donc la négation). Un scénario à la We Stand On Guard de Brian K Vaughan ?
- Après la tragique disparition de Margo Madison (exfiltrée par le KGB vers l’URSS juste avant d’être arrêtée par le FBI mais officiellement considérée comme décédée dans l’attaque terroriste du Johnson Space Center), l’administration de la NASA est passée entre plusieurs mains pour finalement être confiée à Eli Hobson, ex-PDG de Chrysler ayant sauvé cette industrie en misant sur les véhicules électriques dès 1999 (lorsque cette technologie ne s’imposera commercialement dans notre réalité qu’à partir de 2010 même si le premier prototype remonte à 1834). Quant à Helios Aerospace, le décès (sacrificiel) de Karen Baldwin ne lui aura pas permis d’en devenir la CEO effective, c’est donc Richard Hilliard qui en reprit la direction. Et il développera en 1999 une technologie disruptive, à savoir un nouveau type de propulseur (incomparablement plus puissant) permettant de s’affranchir de toute fenêtre de lancement (et donc des conjonctions/oppositions orbitales entre la Terre et Mars). S’agirait-il de moteurs plasmas ou de moteurs ioniques à accélération constante (donc simulant la gravité sans rotation), réalisables en théorie (des prototypes miniatures existent), mais encore loin d’être concrétisés dans notre ligne temporelle ? Quant au génial co-inventeur de la fusion contrôlée, Dev Ayesa, bel et bien évincé de sa propre société, il s’est désormais lancé dans un vaste projet robotique... Enfin, si Helios fut contrainte par décision judiciaire de partager l’exploitation minière (Hélium 3) de la Lune avec plusieurs sociétés ex-pétrolières (Exxon, Shell et Halliburton), elle a remporté auprès de Mars-7 le contrat exclusif du développement des infrastructures martiennes.
- Le très progressiste et écologiste Al Gore est élu 42ème président en 2000. Les deux mandats faussement conservateurs d’Ellen Wilson lui auront (pour ainsi dire) préparé le terrain, tout en permettant de "venger" symboliquement une grande frustration historique pour l’électorat étatsunien (pas seulement démocrate) du monde réel. En effet, le vice-président de Bill Clinton (dans notre timeline) avait remporté le vote populaire (à plus de 550 000 voix), et pourtant la victoire lui fut "volée" par George W Bush Jr ! Mais pas ici, car FAM fournit décidément toujours une meilleure copie. Faut-il alors s’étonner qu’il n’y ait pas non plus eu de 9/11 ? Que les causalités soient à chercher du côté de l’élection d’Al Gore (à l’attention des complotistes qui soupçonnent l’implication de l’administration W), de la révolution à Riyad où des insurgés se sont emparés des bâtiments officiels durant l’été 2001 (or les liens entre Al-Qaïda et les élites saoudiennes ne font guère de doute…), ou plus vraisemblablement d’années 90 et 2000 de FAM qui ne furent pas unipolaires (sous l’égide de la toute puissance américaine) mais bipolaires (du fait de la survie de l’URSS)… force est de constater que les USA auront été épargnés par le traumatisme du 11 septembre, et partant, l’Occident ne sera probablement pas plongé dans plus de deux décennies de névrose et de déclin…
- Logiquement, pas d’ascension politique revanchiste de Vladimir Poutine à déplorer à l’aube des années 2000 (celui-ci étant probablement resté un cadre obscur du KGB). En outre, la Guerre froide est définitivement enterrée en 2003 tant l’entente entre Al Gore et Mikhaïl Gorbatchev s’avère grande et tant les USA et URSS sont désormais amis et partenaires rapprochés. Serait-ce un hommage dédié à la fin idéaliste de 2010 : The Year We Make Contact de Peter Hyams (1984) que la série FAM aurait devancé de sept ans dans son internalisme propre ?
- Il advient alors le plus étonnant (et stimulant) des faits alternatifs : l’URSS connait un essor économique fulgurant à partir des années 2000 au point de talonner de très près les USA sur leur propre terrain (tandis que la Chine végète) ! Somme toute, "ce qui ne tue pas rend plus fort" : ayant passé (on ne sait comment...) le cap de l’effondrement du début des années 90, l’Union Soviétique de FAM parvient à rentabiliser (à l’américaine) ses forces productives et son économie, et elle réussit sa mutation à la place de la Chine de Deng Xiaoping puis de Jiang Zemin. Voilà qui, paradoxalement, donnerait presque raison au narratif de Vladimir Poutine, persuadé que sans le sabordage de 1991, l’URSS aurait pu prospérer économiquement à la façon de l’Empire du milieu... Sauf que pour concrétiser cela, FAM réhabilite et glorifie Mikhaïl Gorbatchev, certes réputé pacifiste et idéaliste en Occident, mais considéré généralement dans son pays comme le fossoyeur de l’imperium russe. Savoureuse ironie.
- Avec l’avènement du nouveau millénaire, l’exploration spatiale est devenue un authentique phénomène de société, investissant tous les secteurs professionnels, s’enracinant dans la culture la plus mainstream. Même le phénomène nouveau de la téléréalité s’en est emparé — les émissions lunaires Moon Miners et Survivors venant concurrencer la célèbre The Ousbornes. Et ce conditionnement de masse permet à des sociétés comme Helios Aerospace de massivement embaucher du personnel civil dans le cadre des efforts d’implantation et d’exploitation (à des fins minières notamment), initiant ainsi une ruée vers l’or… spatial. Les campagnes de recrutement font rage, entre affiches publicitaires et flyers, rachetant les prises de risque par la générosité des émoluments et par la promotion de l’aventure humaine, de l’ultime frontière, de l’esprit pionnier… Somme toute, par la diversification des compétences et des métiers requis, l’espace s’ouvre progressivement aux citoyens lambda, aux gens normaux, aux hommes de la rue... et pas seulement aux pilotes et aux scientifiques.
- Cette récapitulation à la fois dense et hyperconductrice sera traversée par diverses informations mineures quoique jalonnantes d’une perspective uchronique (sport, people…). Le plus frappant est peut-être l’abondance des références culturelles, et notamment audiovisuelles, toujours ambianceuses et ad hoc, jamais gratuites (ni grossière). On y croisera notamment au détour d’un insert ou d’une alcôve : Pulp Fiction de Quentin Tarentino (1994), Jerry Maguire de Cameron Crowe (1996), The English Patient (1996), Shakespeare In Love de John Madden (1998), Cast Away de Robert Zemeckis (2000), Ellen (1994-1998)… Mais celui qui se taillera la part du lion des hommages, c’est un certain Stanley (qui de plus légitime ?) avec Dr. Strangelove Or : How I Learned To Stop Worrying And Love The Bomb (1964), 2001 : A Space Odyssey (1968) (quoi d’autre ?), A Clockwork Orange (1971), Shining (1980) et même AI Artificial Intelligence (2001) dont FAM dévoile que dans sa réalité, Kubrick l’aura achevé avant son décès !

Contrastant avec l’écrasement asséné par cette marche forcée de l’Histoire, à la fois fascinante et excluante pour le spectateur, la diégèse de l’épisode s’accorde en revanche le temps de la respiration Hard SF, comme pour permettre au spectateur de se ré-arrimer à cette chronologie alternative pour une dizaine d’épisodes… avant d’être à nouveau largué. Un procédé narratif qui n’est pas sans rappeler celui de Foundation et dont chaque saison — quasi-antologique — est en quelque sorte une nouvelle série…
Tels des phares ou des boussoles quasi-invariantes (modulo leur vieillissement au demeurant très convaincant à l’image), une poignée de personnages encore indéboulonnables (Ed Baldwin, Danielle Poole, Aleida Rosales, Kelly Baldwin, Margo Madison, Will Tyler… et probablement aussi Ellen Wilson) maintiennent une continuité affective (au risque d’y perdre en réalisme de turn-over) lorsque de nouvelles générations (l’administrateur Eli Hobson, Samantha Massey, le mineur Miles Dale, et de nombreux autres encore à "apprivoiser"…) viennent succéder aux fameux (ou infameux) absents (feus Karen Baldwin, Danny Stevens, bientôt Grigory Kuznetsov, mais aussi Jimmy Stevens à l’ombre pour 12 ans, Sergei Nikulov disparu des radars, Dev Ayesa passé à autre chose mais qui devrait réapparaître…). Le passage de témoin se fait donc en douceur. Et avec ces nouveaux visages, l’ère spatiale sort du clubisme et de l’élitisme, elle se démocratise et se grandit par un élargissement et une diversification du spectre sociologique.

Si la base martienne de Happy Valley — devenue une véritable bourgade modulaire florissante — est administrée par le colonel George Peters pour le compte de la coalition internationale post-guerre froide M-7, le vaisseau Ranger 1 (pourvu d’une section rotative comme le Phoenix de la saison 3) est commandé par le colonel soviétique Grigory Kuznetsov tandis que son second (XO) n’est autre qu’Ed Baldwin.
Quoique toujours en concurrence viriliste, ces deux pionniers de légende auront développé une amitié aussi viscérale que fusionnelle par-delà le fossé culturel et idéologique, tant à la faveur des nombreuses années d’isolement survivaliste sur Mars (valant bien une fraternité d’armes) qu’en compensation roborative de la mort de Karen (ayant ravagé psychologiquement Ed).

L’objectif opérationnel de For All Mankind 04x01 Glasnost sera de modifier la trajectoire de l’astéroïde XF Chronos (une première historique) pour le placer en orbite de Mars (rejoignant ainsi les lunes non moins astéroïdiennes Phobos et Deimos) afin d’en faciliter la riche exploitation minière (dans le cadre du partenariat entre le M-7 et diverses sociétés privées dont notamment Helios Aerospace désormais administrée par Richard Hilliard). La méthode employée consiste à amarrer le Ranger 1 à l’astéroïde au moyen d’une tour-harnais solidarisée par des piquets d’ancrages et douze câbles "enveloppant" XF Chronos tel un filet, puis le propulser via 24 réacteurs relevant des "game-changer engines" signés Richard Hilliard.
Malheureusement, un défaut d’ancrage de l’un des câbles provoquera une désolidarisation en cascade puis une dislocation des structures. N’écoutant que son héroïsme, Kuznetsov prendra alors l’initiative de sortir en combinaison pour retendre lui-même le premier câble à l’aide de treuils. Mais à peine "dehors", il sera surpris par la réaction en chaîne — son coéquipier Tom Parker "empalé", son pied coincé, et son réservoir d’oxygène percé — et il suppliera alors Baldwin de l’abandonner ("good bye my friend" les larmes aux yeux) pour sauver l’équipage du Ranger 1 de l’inévitable collision avec XF Chronos.
Magnifié par un visuel à tomber ("effet wow" garanti), cette tragédie déchirante — replongeant Ed dans les affres de For All Mankind 03x10 Stranger In A Strange Land (consécutivement à la mort de sa femme) — est assurément un parti pris anti-hollywoodien.
Néanmoins, malgré l’issue fatale, l’esprit "blockbuster catastrophe" de For All Mankind 03x01 Polaris imprime une partie de l’intrigue de For All Mankind 04x01 Glasnost au point de lézarder la vraisemblance de l’édifice. Difficile en effet de croire qu’un tel niveau de technicité et d’expérience ait pu se traduire par autant de légèreté et d’empressement à "ceinturer" l’astéroïde (au regard des conséquences tragiques de la moindre erreur dans un pareil contexte). Comment se fait-il que la solidité de chaque point d’ancrage n’ait pas été dûment éprouvée avant d’activer l’ignition les tuyères ? En amont, pourquoi aucune redondance n’a été prévue (faut-il que l’architecture de cet assemblage soit précaire pour que le détachement d’un seul câble provoque un effondrement général….). En aval, l’empressement de Kuznetsov à faire le kéké le héros en solo en duo alors que la situation était déjà hors de contrôle témoigne d’un amateurisme impardonnable à ce niveau de professionnalisme et de responsabilité…
De toute évidence, cet enchaînement spectaculaire mais frappé au coin de l’impréparation et de l’inconséquence a surtout pour objectif démagogique d’attirer le chaland pour lancer la nouvelle saison (mais eh, faut bien ré-engager les spectateurs après de si longues interruptions...). En internaliste, la finalité est de plonger Ed dans une de ces névroses dont BSG 2003 (du même showrunner RDM) était si coutumier… et surtout de faire reprendre du service à Danielle Poole. Revenue à la vie civile depuis sept ans, elle sera sollicitée presque à genoux par le nouvel administrateur de la NASA, le sympathique Eli Hobson, afin de remplacer le colonel Peters (jugé responsable de ce fiasco retentissant) et sauver le programme martien peu soutenu par le nouveau président démocrate Al Gore. Configuration où les objectifs externalistes se devinent par trop derrière un internalisme fragile voire artificiel...

Malgré tout, pour l’essentiel, For All Mankind 04x01 Glasnost s’affirme comme un épisode intimiste et contemplatif sur fond de mutations profondes (et parfois violentes) inhérentes à une société accomplissant des pas de géants et des révolutions paradigmatiques, avec des secteurs d’activité entiers (en rapport avec les énergies fossiles comme les plateformes de forage offshore) abandonnés du fait des technologies nouvelles (et dont Miles Dale aura fait les frais), avec des multinationales pétrolières reconverties en prospectrices lunaires de 3He... L’une des finalités avouées de FAM est d’étudier la manière dont les technologies peuvent radicalement métamorphoser les sociétés humaines, et c’est là le cœur battant de la meilleure SF littéraire, notamment celle du Golden Age. Ici, la course à l’espace se transforme imperceptiblement en course aux ressources, unissant dans un productivisme commun le capitalisme libéral (USA) et le capitalisme d’état (URSS), comme pour donner tort au postulat décliniste du Monde sans fin de Jean-Marc Jancovici (2021). En attendant de pouvoir atteindre la mine d’or que constitue la Ceinture d’astéroïdes (peut-être durant la cinquième saison de FAM ?) puis les lunes de Jupiter, l’esprit du Outland de Peter Hyams (1981) hante déjà la série...
Qu’il s’agisse :
- du désespoir de Kelly Baldwin de ne jamais voir revenir son père désormais septuagénaire (préférant se perdre dans l’espace depuis cinq ans) pour se retrouver à élever seule son fils Alex (avec sa pénible belle-mère russe),
- du PTSD inassumé d’Aleida suite à l’attaque terroriste huit ans avant (la conduisant à déserter sauvagement son emploi à la NASA),
- du majestueux monument aux morts à l’entrée du Johnson Space Center (rebaptisé Molly Cobb Space Center) qui déroule son interminable liste de victimes sous l’égide de la nouvelle devise latine de la NASA « Non est ad astra mollis e terris via » (« Il n’y a pas de chemin facile entre la Terre et les étoiles ») venant ainsi compléter le « Ad astra per aspera » (en hommage à l’équipage d’Apollo 1 à Cap Canaveral),
- de la culpabilité inavouable enfouie dans la psyché de Danielle Poole (visiblement responsable de la mort de Danny Stevens sur Mars),
- du "working class" Miles Dale, vétéran des plateformes offshore (interprété par l’excellent Toby Kebbell mémorable dans Black Mirror et surtout dans Servant) prenant tous les risques (quitte à mentir sur son CV) durant deux ans à 233 millions de km (et non durant quatre mois à 380 000 km) pour nourrir sa famille (et tenter de sauver son couple en péril),
- ou encore de la déréliction indicible de Margo Madison (devenue Margaret Reynolds) — car écartée de toute activité spatiale en URSS et donnée pour morte aux USA — errant comme une âme en peine dans les rues enneigées de Moscou...
... l’épisode est d’une justesse psychologique sans faille, flirtant même (fait rare) davantage avec la Nouvelle Vague qu’avec le soap opera ! Une facette de l’épisode méritant un 5/5 haut la main.

Aussi étonnant que cela soit, l’exfiltration de Margo des USA par le KGB n’a pas été assortie d’une mise à contribution (forcée ou consentie) de ses talents mais à l’inverse d’une mise à la retraite anticipée (cachée derrière une nouvelle identité). L’URSS a ainsi honoré son engagement envers Madison pour "services rendus", mais visiblement sans intention de continuer à en exploiter les compétences. Que la gratitude altruiste ait ainsi pris le pas sur l’opportunisme cynique est plutôt inhabituel dans ce contexte. Ou alors c’est à croire que Margo n’avait aux yeux des Soviétiques de l’intérêt que comme espionne professionnellement bien placée et non comme scientifique...
Mais paradoxalement, c’est de se retrouver soudain totalement exclue des enjeux spatiaux — d’un côté ou de l’autre du rideau désormais déchiré — qui coûte moralement tant à celle qui fut la cheville ouvrière et l’âme de la NASA depuis l’éviction de Wernher von Braun dans FAM 01x02 He Built The Saturn V. Avec l’ère nouvelle qu’inaugure l’exploitation de l’astéroïde XF Chronos et l’accident du Ranger 1 où le héros soviétique Grigory Kuznetsov a trouvé la mort, Madison a toutes les raisons du monde de ronger son frein. Quel gâchis pour l’URSS — et même pour l’humanité — de ne pas l’employer ! Son esprit créatif et bouillonnant mériterait tant se reconnecter aux affaires (spatiales), y reprendre une part active, même symboliquement, même anonymement. Hélas, ses tentatives répétées de prises de contact avec l’agence spatiale soviétique demeurent désespérément lettre morte, même Lenara Catiche — qui fut sa "référente" lorsque les Soviétiques l’avaient contraint à l’espionnage — ne répond plus à ses appels et à ses messages. Alors n’y pouvant plus, Margo décide un jour de se rendre (en bus) au siège de Roscosmos à Звёздный Городoк (la Cité des étoiles) dans la banlieue nord-est de Moscou. Mais elle se voit éconduite par le très altier ingénieur Kirill Semenov... qui lui fait comprendre d’un air hautain qu’elle est devenu "obsolète" après huit ans d’inactivité, tout ayant parait-il tellement changé !?
La vie de cette pionnière géniale de l’astronautique se réduit désormais à une routine bien maussade, confinée entre un triste appartement solitaire (mais heureusement pour elle non communautaire) et la boulangerie locale (où elle échange quelques banalités en russe avec le chaleureux artisan), entre le kiosque à journaux (autour duquel s’agrège des échanges-de-café-du-commerce hostiles à la politique atlantiste de Gorbatchev) et le banc d’un square contigu à une église orthodoxe (où Madison s’assied quotidiennement pour y savourer une viennoiserie).
Mais un jour, ce rituel circulaire rencontre un imprévu. Une femme est déjà assise sur ce même banc et jette des graines aux oiseaux. Puis elle entame un échange phatique en russe avec Margo. Certes, rien de bien étrange jusque-là. Mais ça le devient en revanche lorsque le monologue bascule spontanément en langue anglaise. Ce n’est probablement pas un hasard. Et le doute n’est plus permis dès lors que la mystérieuse inconnue appelle Madison par son vrai nom. Les bouvreuils pivoines (ou "bullfinches") venus du nord permettent de transmettre un message allégorique : « Ils sont patients, ces oiseaux. Ils savent que le dégel précède l’éclosion des fleurs. (...) Nous sommes en hiver, Mme Madison. Mais le printemps sera bientôt là ». Limpide.
En partant, elle lui laisse une carte contenant seulement un numéro de téléphone (au format soviétique à dix chiffres).
Superbe scène, superbe ambiance... que n’aurait pas renié un The Third Man (Le Troisième Homme) de Carol Reed (1949). Ou comment utiliser les codes contemplatifs de la Nouvelle Vague pour attiser subtilement l’intérêt (et même l’impatience) du public...
Dans les prochains épisodes, faut-il s’attendre à une éviction de Lenara Catiche (qui avait eu tant besoin de Margo aux USA et qui désormais la snobe indignement en URSS) ? Faut-il s’attendre à un changement de politique et/ou direction à Roscosmos ? Faut-il même s’attendre à un changement de pouvoir à la tête de l’URSS voire de régime ?
En tout état de cause, malgré les apparences, Madison est loin d’être hors-jeu...

Par surcroît, la forme de FAM 04x01 Glasnost est digne de tous les éloges. Les effets spéciaux de l’épisode — constamment frappés d’une exigence photoréaliste — représentent le "state of the art" de la crédibilité. Jay Redd, le superviseur VFX, témoigne d’une attention peu commune aux détails, ce qui mérite les félicitations du jury. Mention spéciale aux sorties spatiales en EMU de feu Grigory Kuznetsov, donc la vérité saisissante témoigne du défi que fut la réalisation en amont. C’est visuellement du 2001 mais millésimé 2023 (l’épisode rendant d’ailleurs abondamment hommage à Stanley Kubrick, aussi bien explicitement qu’implicitement). Kudos également aux maquilleurs, car rarement des vieillissements non numériques (Ed Baldwin et Danielle Poole notamment) auront été aussi convaincants. Donc cinq étoiles aussi pour le contenant.
En outre, la valorisation de tous les attributs culturels russes est impressionnante (authenticité de la langue parlée par tous les acteurs, respect de la graphie, justesse d’un cadre alter-soviétique en plein boom économique…), à plus forte raison sachant que le tournage n’a pu se faire en Russie pour des raisons évidentes — l’équipe de production a ainsi dû recourir aux astuces de Jean-Marie Poiré dans Twist Again à Moscou en 1986. Les slavistes reconnaîtront par exemple dans la charmante église orthodoxe supposément moscovite (aux abords de laquelle Margot vient tuer son ennui quotidien) l’église Св. Николай Чудотворец de Sofia (Bulgarie)... Un tournage dans les pays de l’Est, c’est Byzance pour une série américaine ! Et cela donne un impressionnant cachet à la quatrième saison de FAM.

La scène finale se déployant sur une vue nocturne de Happy Valley — véritable ville-frontière coloniale extraterrestre — est une apothéose poétique où la Hard SF tutoie le merveilleux (même si Ed Baldwin a toutes les raisons personnelles d’y déprimer).
De même, lorsque la vétérane Danielle Poole et le "bleu" Miles Dale s’embarquent (séparément) à bord du vaisseau Unity du M-7 en partance pour Mars, c’est là un pur fantasme pour tout amoureux de SF ! L’appareil est gigantesque (selon nos standards), il dispose d’au moins 48 hublots, il est bondé (nombreux contractants civils résultant des vastes campagnes de recrutement public de Helios), et il s’apprête à quitter l’orbite terrestre pour entamer son injection transmartienne ainsi que l’annonce la voix feutrée d’une hôtesse... Autant dire qu’Unity remplit la fonction d’un long courrier, d’un "astronef de ligne" presque banal pour un transit Terre-Mars qui pourrait se réduire à un mois (au lieu de deux ans) !
Difficile de ne pas éprouver de sérieux complexes devant cette timeline qui aura tout mieux réussi que la nôtre (hormis pour ce qui est de la Chine certes), tant socialement (merci le wokisme) que technologiquement (merci la perpétuelle rivalité avec "l’URSS magique"). Disposer dès 2003 de pareils moyens dont notre morne 2023 ne pourrait rêver, c’est pour le moins... intimidant.

Il faut dire que la divergence croissante d’avec notre réalité était inscrite dans l’ADN même de la série — dont les linéaments de l’écriture furent planifiés dès son lancement. Histoire contrefactuelle dans la première saison (collant au plus près de la réalité), puis science conjecturale dans la seconde, puis science spéculative dans la troisième, c’est à une science-fiction plus profonde que FAM commence à s’atteler dans la quatrième saison (chaque saison ayant valeur de décennie). La prémisse de la série est ainsi consacrée, et l’écart uchronique est appelé à croitre inéluctablement, laissant notre monde sur le carreau... pour mieux l’inspirer (un regain d’intérêt pour l’espace dans le monde réel ?). Mais sans pour autant sacrifier l’ancrage dans la réalité et la rigueur scientifique, comme en atteste l’implication proactive du conseiller scientifique Garrett Reisman, vétéran de la NASA et de SpaceX, mais aussi le scrupule des auteurs à considérer toutes les conséquences physiologiques des séjours prolongés hors du berceau terrestre et de l’habitat naturel de l’humanité (radiations cosmiques, faible gravité...). Et preuve que l’intrication quantique de la réalité avec FAM demeure inébranlable : le rhème de la quatrième saison est l’étude, le minage et l’exploitation d’un astéroïde (cf. ST ENT 01x08 Breaking The Ice et plusieurs épisodes de The Expanse) ; or presque simultanément (le 13 octobre 2023) dans le monde réel, la sonde Psyche a été lancée par la NASA dans la cadre d’une mission d’étude de (16) Psych, un astéroïde métallique de type M !
For All Mankind persiste ainsi à demeurer une "SF en temps réel".

Pourtant, comme l’ont avoué à demi-mot Ronald D Moore dans une récente interview mais aussi Matt Wolpert et Ben Nedivi dans un long entretien antérieur, le désir de développer un pré-prequel implicite à Star Trek (Enterprise étant déjà un prequel) irrigue l’inconscient collectif des showrunners de FAM.

NOTE ÉPISODE

BANDE ANNONCE



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