For All Mankind : Critique 4.10 Perestroika

Date : 18 / 01 / 2024 à 22h00
Sources :

Unification


FOR ALL MANKIND

- Date de diffusion : 12/01/2024
- Plateforme de diffusion : Apple TV+
- Épisode : 4.10 Perestroika
- Réalisateur : Sergio Mimica-Gezzan
- Scénariste : Matt Wolpert & Ben Nedivi
- Interprètes : Joel Kinnaman, Toby Kebbell, Krys Marshall, Edi Gathegi, Cynthy Wu, Coral Peña, Tyner Rushing, Svetlana Efremova, Wrenn Schmidt, Daniel Stern, Jodi Balfour, C.S. Lee, Lev Gorn, Robert Bailey Jr.

LA TURBO-CRITIQUE YR

Nous voici donc parvenus sur la ligne d’arrivée, et l’heure du bilan sonne au carillon uchronique...
FAM 04x10 Perestroika est l’épisode où tous les fils convergent, où tous les secrets se dévoilent, où toutes les tensions se résolvent. L’épisode (de près de 1h17 !) dans lequel la quatrième saison mérite enfin pleinement de son affiche symbolique : un astronaute prenant, depuis la planète Mars, vaillamment d’assaut un astéroïde à l’aide d’une pioche.
En effet. Mais l’attente fut subjectivement longue et le prix élevé ! Que de vicissitudes, de stratégies, de duplicités, de sacrifices, de souffrance, et de sang pour en arriver là. Et puis, il s’en est fallu d’un cheveu (enfin d’une sangle)...
FAM demeure fidèle à une formule bien établie durant les seconde et troisième années de production : le premier épisode de la saison s’érige en vecteur d’appel blockbusterien, les huit suivants se consacrent aux coulisses et au back office à des fins de crédibilisation, tandis que le dernier, d’une durée presque double, offre un rappel à grand spectacle et porte surtout l’essentiel de la charge diégétique résolutive, quoique en partie déchargée sur la saison à venir sise environ une décennie après (soit une frustration délibérée comme plateforme de lancement).
Cependant, cette quatrième itération de FAM tranche sur les précédentes par quelques différences notoires, tant en matière de construction que d’ambition...
Mais avant de dresser les comptes, faut-il encore que réussisse le plus gros casse de l’Histoire humaine. Or celui-ci était potentiellement compromis à la fin de FAM 04x09 Brazil...

(...)

Nul doute que FAM 04x10 Perestroika est un final de haute tenue. Il rachète le décevant FAM 03x10 Stranger In A Strange Land pour se hisser au niveau du référentiel FAM 02x10 The Grey.
Quant à cette dernière saison, elle ne démérite pas face aux trois précédentes. Elle prend même l’ascendant à bien des titres. Moins spectaculaire et tendue peut-être que la troisième, le worldbuilding et la largeur de scope de la quatrième décade permettent à FAM d’atteindre une forme de maturité contrefactuelle.
L’exercice n’est certes pas parfait, en raison essentiellement de raccourcis causaux (laissant transparaître la main des scénaristes) en milieu de saison (l’histoire contée aurait probablement nécessité deux fois plus d’épisodes pour n’être à aucun moment forcée), et accessoirement de quelques accrocs dans le micro parsemés çà et là. Mais rien qui puisse vraiment hypothéquer la suspension d’incrédulité dans le macro tant la construction reste solide sur l’essentiel... et tant l’uchronie cumule les audaces.

Tout d’abord, durant sa quatrième année de développement, For All Mankind a enfin réussi à se doter d’un nouveau moteur évolutionniste, à savoir une irrésistible source de profit loin de la Terre (l’astéroïde 200SLC Goldilocks placé en orbite de Mars) poussant à normaliser l’effort spatial partagé. Une configuration qui aura permis à l’URSS de s’affranchir progressivement du rôle-fonction (seul aiguillon à l’innovation spatiale étatsunienne) dans lequel elle fut enfermée durant les trois premières saisons. Mais au lieu d’en profiter pour la faire sortir du champ narratif (ce qui aurait été le signe d’un cynisme d’écriture), FAM a eu la consistance internaliste de lui faire gagner pour la première fois une existence à part entière, l’élevant au rang de véritable acteur des événements et non plus seulement d’actant, transcendant ainsi l’utilitarisme narratif puisque désormais non subordonné à lui. Cet accomplissement fut également rendu possible grâce à l’authenticité accrue de la reconstitution intra-soviétique (des idiosyncrasies qui se prolongent par bien des côtés dans la Russie contemporaine), d’un casting plus massivement russophone (y compris pour de nombreux seconds et troisièmes rôles), et — fait rare dans une série américaine — de tournages dans les pays d’Europe de l’Est. Dès lors, FAM y a gagné en vraisemblance géopolitique, et pas seulement pour le bénéfice de sa quatrième saison, mais aussi rétroactivement.
Avoir associé à la colonisation de Mars le concert des nations (du moins celles pourvues d’agence spatiales) à travers l’alliance M-7 (réunissant les USA, l’URSS, l’ESA, le Japon, l’Inde, une coalition de pays communistes, et la Corée du Nord, fors le Canada, la Chine, et le Brésil) aura également été une belle initiative, faisant honneur au nom même de la série (et à l’explicit de la plaque commémorative lunaire d’Apollo 11). Néanmoins, ce ressort aura été très sous-exploité puisque, hormis le duopole historique de FAM, aucune autre nation n’aura joué un rôle actif durant la saison, ni sur Terre ni sur Mars. Seule la Corée du Nord — le plus inattendu des outsiders dans la course spatiale (mais eh, c’est une autre timeline…) — tire quelque peu son épingle du jeu, mais seulement via plusieurs de ses ressortissants (peu représentatifs), puisque la contribution globale de leur pays est restée figurative. Mais là encore, il faut y voir le symptôme de la brièveté de la saison. Il n’aurait en effet pas été possible de visibiliser d’avantage de contributeurs internationaux en seulement dix épisodes.

Ensuite, le "game changer" disruptif aura été une alliance inattendue entre la classe ouvrière et le patronat contre le régalien — du moins si l’on s’en tient à un niveau symbolique dans un paradigme marxiste (que la saison a plus d’une fois convoqué au fil des épisodes tout en le tweakant selon une grammaire étatsunienne/libertarienne). Car en réalité, il ne s’agit pas de n’importe quelle "classe ouvrière" mais d’une élite triée sur le volet et ultra-qualifiée pour risquer sa vie dans l’espace, et il ne s’agit pas non plus de n’importe quel "patronat" mais du scientifique visionnaire ayant repris le contrôle d’Helios Aerospace pour agir contre son conseil d’administration. Quant au "régalien", il a surtout été confronté à une traditionnelle crise de succession souverainiste, lorsqu’une communauté nouvelle tente de proclamer son indépendance quand bien même relative (dans le cadre d’une forme de sécession ou de séparatisme).
Mais la vraie singularité ici est que FAM n’a à aucun moment tenté d’idéaliser les forces en présence en servant une quelconque propagande autosatisfaite. Bien que chaque acteur du changement se soit rattaché tôt ou tard à la "cause identitaire martienne" (par rationalisation, par opportunisme, par intérêt, par alibi, par survivalisme…), les motivations profondes demeuraient plurielles mais toujours autocentrées… comme c’est en général le cas dans le monde réel contemporain. Dev Ayesa était animé par une soif de revanche sur la société libérale terrienne ayant causé la mort de son père (puis l’ayant viré de sa propre boîte) ; Ed Baldwin n’avait de cesse de faire la nique à Danielle Poole (et à ses prétentions autoritaires) tout en instrumentalisant n’importe quel moyen pour échapper à sa plus grande peur (revenir sur Terre et disparaître dans l’anonymat d’un EHPAD) ; Lee Jung-Gil cherchait désespérément à échapper au totalitarisme de la Corée du Nord et à en sauver sa femme ; les grévistes voulaient faire plier une direction d’entreprise qui les exploitaient, les plus modérés (comme Miles Dale) pensaient surtout au pognon, les plus radicaux (comme Samantha Massey) à une sanctuarisation durable de leurs conditions de travail ; Sergei Nikulov était animé au péril de sa vie par un amour jamais tari mais aussi par une gratitude que le temps n’aura pas réussi à estomper ; Margo Madison voulait contrarier le projet d’Irina Morozova en lui faisant payer l’assassinat perpétré par le KGB tout en honorant les dernières paroles méta de Sergei ; Aleida Rosales était sous le choc et sous influence, la culpabilité et la mauvaise conscience l’auraient conduit à n’importe quelle oblativité pour reconquérir sa mère spirituelle…

En somme, une masse critique de "mauvaises" raisons, ou plus précisément de raisons si communes, si psychanalytiques, si tragiquement humaines… et qui pourtant, par les voies les plus inattendues, par-delà les cultures et les parcours de chacun, sur Terre comme sur Mars, sans forcément de concertation préalable (comme l’illustre le renfort distant inespéré que Margo apporte spontanément à Dev/Ed/Samantha)… ont été autant de ruisseaux convergeant comme des affluents vers un même confluent pour faire naître un nouveau fleuve. Et celui-ci dessinera un meilleur lit historique et un futur prometteur. Le progrès résultera donc en quelque sorte d’une sérendipité télique, faisant presque écho à l’incipit (goethien) du Мастер и Маргарита (Le Maître et Marguerite) de Mikhaïl Boulgakov... dont Michael Lockshin s’apprête d’ailleurs à sortir une nouvelle (et brillante) adaptation sur les grands écrans russes...
Dans leurs parcours individuellement imprévisibles et pourtant collectivement cohérents, tous les protagonistes aux motivations diversement égocentriques se sont découverts héroïques, au sens antique ou au sens moderne selon les cas, parfois même magnifiques, malgré eux ou par effet cliquet. Oui, comment ne pas être béat d’admiration devant l’abnégation sacrificielle de Samantha, devant la logique stoïcienne de Margo, devant l’évolution repentante d’Aleida, devant la loyauté altruiste de Sergei, devant le courage face à la torture de Miles, devant la résilience increvable d’Ed ?
Pour une série qui accorde une place aussi centrale à ses personnages (au point de s’être complu dans le soap opera pendant les trois premières saisons), être parvenu à les grandir de façon aussi naturaliste tout en les effaçant devant la marche de la grande Histoire, c’est proprement bluffant. Cette sociologie uchronique de l’épopée spatiale dépasse désormais les trajets individuels de ses personnages récurrents et les perpétuels défis scientifiques pour jeter l’embryon d’une geste civilisationnelle. N’est-ce pas à sa façon une variation de la psychohistoire d’Isaac Asimov, voire un harmonique (en base hilbertienne) de la série Foundation (produite aussi par Apple) ?
Rarement le sens tragique n’a aussi bien propulsé un projet idéaliste, à plus forte raison que jamais la dialectique n’a déclaré forfait. Il faut en effet souligner l’opposition institutionnelle nourrie, argumentée et nuancée de personnages aussi épais qu’Eli Hobson et Irinia Morozova, portés par les formidables Daniel Stern et Svetlana Efremova, et incarnant l’un comme l’autre la voix de la realpolitik (respectivement économique et stratégique), jusqu’à s’appuyer sur le cynisme combinée de la CIA et du KGB dans une alliance surréaliste de... naturel ! Et que dire de l’antagonisation constante de Danielle Poole, vétérane de la série, icône SJW, ex-sœur d’arme des rebelles, mais se métamorphosant au fil de la saison en vrai Javert, paroxystiquement antipathique… et servant pourtant loyalement — avec humanité mais avec zèle — les autorités terriennes, jusqu’à la mort si nécessaire. Une configuration qui exclut intelligemment tout alibi ou lantern de convenance, et qui finalement refuse l’axiologie du manichéisme pour privilégier l’inconfort de la tragédie.

Enfin, le scrupule acribique de la puissante continuité internaliste de FAM se rappelle ici dans toute sa maestria, car la série possède la cohérence (et le courage) d’assumer tout ce qu’elle a précédemment mis en scène, le meilleur comme le pire.
Ainsi, même la laideur ingrate du comportement de "juste endurcie" de Margo envers son mentor Wernher von Braun durant la première saison de FAM lui est revenue en pleine poire via sa propre disciple Aleida — cette dernière lui infligeant même l’opprobre de se révéler davantage perfectible et empathe que la première. Et ce Principe de Lavoisier karmique ne se contente plus de se déduire du script (comme dans FAM 04x06 Leningrad), il est cette fois explicitement assumé par les lignes de dialogue de FAM 04x10 Perestroika durant un échange entre Madison et Rosales d’une maturité saisissante, au point de véhiculer le souffle d’une péroraison dans la vallée de l’ombre de la mort.

Soit autant de leçons d’écriture qui rédimeront largement les quelques faiblesses de la saison... et de ce final — faiblesses qui ne peuvent toutefois pas être ignorées par une analyse exhaustive. Ainsi :
- par consensualisme (un petit côté "beurre et argent du beurre"), le final s’autorise un rabotage ou un dumping abusif des effets dramatiques de l’épisode précédent (survie de Cho alors que tout laissait penser que Lee l’avait tué, violence finalement contenue envers Miles durant les interrogatoires CIA/KGB…) ;
- il y a une certaine inconséquence (chez Ed comme chez Lee) à vouloir confier immédiatement Cho blessé à l’infirmerie au risque de compromettre le détournement de 2003LC ; la vie du commandant nord-coréen était peut-être en danger, mais de tels scrupules une paire d’heures avant le début de l’opération suggère une difficulté (des personnages ou des auteurs ?) à assumer les implications de la dissidence, a fortiori après s’être si bien accommodé des précédentes victimes (dans l’usine à argon de FAM 04x07 Crossing The Line…) ;
- l’épisode sous-estime beaucoup le décalage minimal des communications Terre-Mars pendant la "fenêtre de poussée", même en considération de la conjonction historique d’août 2003 (la latence aurait dû être au mieux d’un peu plus de trois minutes et non pas de moins de deux minutes) ;
- l’aveu spontané de "sabotage" par Madison est un sacrifice — très bushido en esprit — lui ayant permis de préserver la carrière et la liberté de sa fille spirituelle retrouvée (Aleida) ; mais la levée immédiate par l’URSS de son immunité diplomatique reste stratégiquement peu vraisemblable... si ce n’est bien sûr que ce subterfuge narratif sauve commodément la vie à Margo en lui valant d’être légalement arrêtée par le FBI (puis probablement emprisonnée) plutôt que de se retrouver à la merci de l’arbitraire soviétique (avec la déportation ou la mort pour seul horizon) ;
- alors que Poole n’avait cessé de faire montre d’un excès d’autoritarisme dans les épisodes précédents, elle a commodément fermé les yeux sur beaucoup de dérives durant le final (ignorance naïve ou tartuffe des méthodes barbouzes du duo complice CIA/KGB, étonnante priorisation de la recherche des saboteurs sur Happy Valley et non sur le Ranger alors que c’est bien ce dernier qui était visé, et puis pourquoi avoir si tardivement et si soudainement soupçonné Ed et non avant ?) ;
- la survie improbable de Danielle à la balle perdue offre un happy end inattendu mais néanmoins factice... qui jure un peu après la grandiloquente scène de tétanie collective qui dramatisait son trépas (ayant stoppé l’émeute martienne) ;
- l’accueil émerveillé par Poole de son petit-fils venant de naître (enfin du fils de son beau-fils) dès son atterrissage sur le tarmac terrestre donne lieu à une scène muette gorgée de pathos soapesque largement HS dans la diégèse (arrivant comme un cheveu sur la soupe) ; alors que paradoxalement, ladite scène prétend porter symboliquement l’un des "messages" de la série (i.e. la relève générationnelle), suggérant par la même occasion une fin de parcours pour Poole (comme ce fut le cas pour Ellen Wilson dans FAM 04x01 Glasnost) ; l’increvable Ed lui aura donc narrativement survécu ;
- la révélation dans l’épilogue musical de l’impunité de Dev (il a su se tenir à l’écart et il reste le principal employeur du personnel de Happy Valley) et aussi de celle de Lee (qui voit son vœu exaucé en accueillant sa femme) ne permet pas forcément d’en déduire le sort pénal des "mutins" identifiés et assumés comme Ed, Samantha, et Miles : seront-ils rapatriés les fers aux pieds sur Terre ou vont-ils devenir "citoyens d’honneur" de la nouvelle Mars souveraine ? (cette indécidabilité est bien sûr celle des showrunners eux-mêmes qui se réservent ce "joker de procrastination" en attendant de développer la saison suivante) ;
- la plaidoirie en voix off délivrée par Madison durant son procès (en guise de péroraison) est formellement très belle (convoquant même le discours de Delenn à l’endroit de l’humanité dans Babylon 5), mais elle comporte aussi une légère dimension sophistique (le rapport entre l’ingénierie et la justice est tiré par les cheveux) et elle s’abîme quelque peu dans le feel good.
Certes, rien que des détails pour ne pas dire des vétilles, mais qui — par effet de cumul — privent malgré tout FAM 04x10 Perestroika de la note maximale auquel il aurait pu sinon prétendre…

En dépit de leur qualité générale, les trois précédentes saisons de FAM étaient parfois un peu frustrante sur leur contenu strictement SF. Du coup, entre les "bangers" de début et de fin, les mitans étaient parfois des "ventres mous" condamnés à une part de délayage pour tenir sur la durée. Or ledit délayage prenait la forme d’un soap autotélique axé sur la vie privée des personnages... et servant souvent de support au wokisme.
En revanche, la quatrième saison aura été confrontée au phénomène inverse : elle déborde de contenu ! Avec des projets spatiaux révolutionnaires qui n’étaient pas acquis dès le début du "run" (mais en constituait l’objet même) et des enjeux géopolitiques plus sophistiqués et plus réalistes (mirrorant et commentant le monde d’aujourd’hui), dix épisodes étaient bien insuffisants pour tout traiter et surtout tout amener de façon naturelle.
Le bon côté est que cela a poussé la quatrième saison à essentialiser tout le volet interpersonnel et interactionnel (hormis quelques bouffées de chaleur très ponctuelles). Le mauvais côté est que la diégèse a dû prendre quelques chemins de traverses (passages scriptés de JdR, objectifs externalistes se devinant trop derrière le voile un internalisme fragile) et même s’accorder une petite "triche" (dans FAM 04x07 Crossing The Line) pour réussir à tout empaqueter dans le délai imparti.
Malgré tout, selon la tradition des séries à contenu et/ou anthologiques de l’âge d’or, entre trop peu et trop, le choix coule de source. La solution de facilité aurait consisté à partir de la "capture" réussie d’un astéroïde pour consacrer la plus grande partie de la saison à son exploitation minière, moyennant quelques drames et beaucoup de mélo à la façon d’un cop show. Mais la quatrième saison a choisi la voie de la difficulté en suivant une approche plus ambitieuse : faire de la nouvelle étape de la conquête spatiale l’enjeu même de la saison ! Soit du worldbuilding en work in progress.
Frustrant peut-être pour ceux qui avaient pris l’affiche publicitaire à la lettre et qui rêvaient d’un Dallas sur un skin de space opera. Mais tellement plus courageux diachroniquement d’avoir évité cet écueil… même si ce n’est pas sans contrepartie...

Fait symptomatique, les scénaristes perdent parfois de vue les attendus du contexte tant ils se laissent emporter par leur enthousiasme pour leur timeline aux stéroïdes et leur goût conscientisé pour la transposition. Qu’il s’agisse des grèves (à l’américaine), des négociations salariales, des révoltes populaires récupérées, des velléités de sécession, des détournements de gisements, de l’immigration clandestine massive sur Happy Valley (comme le suggère la fin de la saison)… tout cela ferait puissamment sens dans un écosystème terrien. En revanche, n’est-ce pas un poil trop "like home" dans une colonie martienne moins de dix ans après le premier amarsissage, durant une ère spatiale embryonnaire où les ressources restent encore rationnées (malgré plusieurs technologies disruptives majeures) ?
La vérité est que FAM prend résolument le pli de Battlestar Galactica 2003, avec une SF au service de la dramaturgie et non l’inverse (à tel point d’ailleurs qu’il ne subsiste parfois plus que la dramaturgie). Même s’il n’a directement participé à aucun des dix derniers scenarii (officiellement du moins), Ronald D Moore imprime décidément plus que jamais sa marque sur chacun des atomes de cette quatrième saison.

Qu’il s’agisse des extérieurs du Ranger durant la procédure de freinage de l’astéroïde, du crapahutage de Samantha en surplomb des seize réacteurs à plasma nimbés d’un blanc aveuglant, de la splendeur de Happy Valley durant les nuits martiennes (se dévoilant davantage à chaque épisode), de la poésie au bord de l’immaculé Cratère Korelev trônant depuis l’orbite, de la transition temporelle suivant le fil invisible d’une contemplation étoilée (et satellitaire), ou de la plongée dans les abysses chtoniennes de 2003LC... la forme est une perpétuelle master class.

S’ils n’ont pas totalement déserté le terrain, le soap et le pathos ont néanmoins subi une sérieuse cure d’amaigrissement et de sobriété, perdant ainsi le superflu de gras et de sucres. Somme toute, la salubrité d’un bon Nutri-Score. Si bien que la quatrième saison de FAM flirte dans ses meilleurs moments avec le naturalisme de la Nouvelle Vague et avec le dépouillement de Stanley Kubrick, les expressions émotionnelles demeurant au minimum toujours justifiées par la narration — une narration dont la colonne vertébrale reste malgré tout invariablement adossée aux destins porteurs et générateurs de protagonistes récurrents. Mais cet inévitable VIPisme, bien moins indécent et cultuel qu’ailleurs, est imposé par construction depuis le lancement de la série.

Quant au wokisme de pointe, il a cette année quasi-intégralement disparu de l’horizon diégétique, tel un visiteur du soir qui se serait éclipsé à pas de loup par le soupirail aussitôt sa pieuse mission SJW achevée. Ainsi, le cadre sociologique de FAM fut bâti — au pas de course le plus déterministe — dans les saisons précédentes, et la fable progressiste woke a achevé sa mue intersectionnelle et tokéniste dès la fin de la troisième saison, tel un sacrifice contractuel au Moloch de la doxa des temps. Dès lors, la quatrième saison aura eu le champ libre pour s’atteler à un progressisme davantage universaliste (et situationniste), à la croisée du libertarianisme et du marxisme, en prise avec les problématiques sociales, les inégalités de classes, les attendus du néolibéralisme, la critique du salariat, les rapports de domination, les enjeux de ressources, les moyens de production. Finalement, cette praxis aura eu un effet aussi inattendu que logique : l’émancipation décoloniale et la naissance d’une nation nouvelle (Mars) en mesure de se faire respecter et d’imposer ses conditions à l’ancien monde (la Terre). Soit un harmonique de notre réalité contemporaine, mais magnifié par une dynamique centrifuge (pleine de promesses) plutôt qu’étouffé par un carcan centripète (décroissantiste et décliniste).

En tout état de cause, la vraie force, la véritable originalité, l’authentique audace de cette quatrième saison de FAM, ce n’est pas seulement de sortir l’URSS de son rôle-fonction, mais c’est aussi d’avoir découplé le point de vue du spectateur de la messianique et indispensable USA.
Oui, la société américaine demeure statistiquement plus séduisante et vivable que la société soviétique, mais dès lors que leurs intérêts vitaux sont en jeu, les objectifs et les méthodes des USA et de l’URSS convergent et se confondent. Ainsi les deux blocs, le capitalisme libéral et le capitalisme d’état, se retrouvent unis main dans la main comme deux larrons... avant d’être renvoyés dos à dos par la quatrième saison !
Autant dire que derrière les destins individuels se dessine une peinture géopolitique pleine de lucidité et de malice, à la fois cruelle et ironique. En faisant entrer en scène un nouvel acteur géopolitique, Mars et sa final frontier, le public ne regarde plus en direction de la bannière étoilée mais des étoiles (des vraies). Et mine de rien, c’est là une bien belle rupture épistémologique.

Dans un Yi King cosmique, l’Histoire est toujours en marche et son mouvement perpétuel permet à la narration de zapper la plupart des destins individuels — laissés à l’imagination des spectateurs. Comme à chaque fin de saison, FAM ose l’incomplétude in media res. Mais les fins ouvertes ne sont-elles pas dans l’ADN de la Hard SF ?
Et par le regard visionnaire de Dev qui semble exhaler la démiurgie de pouvoir donner vie à ses rêves, sur un envoûtant Midnight City de M83, l’épilogue bondit déjà de neuf ans dans le futur pour un focus sur le troisième satellite "naturel" de Mars... en alter-2012 ! Avec Phobos et Deimos, Goldilocks complète désormais la troïka. Ses entrailles illuminées forment la Station Kuznetsov dont les technostructures minières d’une profondeur vertigineuse (dédiées à l’extraction de l’iridium) semblent annoncer les vastes implantations minières des Belters au sein de la Ceinture d’astéroïdes dans The Expanse.
Troublant... et fascinant.
Le calendrier combiné (2003 et 2012) des saisons 4 et 5 de FAM ne doit probablement rien au hasard car il s’apparente à un miroir alternatif des missions spatiales du monde réel : Deep Impact de la NASA (2005-2013) visant à étudier la comète Tempel 1... et surtout Rosetta de l’ESA (2004-2016 mais dont le lancement était initialement prévu pour 2003) culminant par l’atterrissage de Philae (en 2014) sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Même si l’exploit de Rosetta est historique (quatre assistances gravitationnelles pour matcher une orbite elliptique à forte excentricité par-delà la Ceinture d’astéroïdes au voisinage de Jupiter !), il fait pâle figure face à la chronologie de FAM avec l’édification dès 2012 de la cyclopéenne Station Kuznetsov... qui n’aurait pu mieux légitimer et fructifier le "vol d’astéroïde" en 2003. De quoi laisser subséquemment songeur sur le développement de Happy Valley (et d’éventuelles nouvelles colonies martiennes) durant ce gap supplémentaire de neuf ans...

L’évolution s’accélère donc exponentiellement. La série For All Mankind infère en définitive une loi de Moore spatiale ("pun intended")... avec le rêve fou d’entraîner notre morne réalité dans son sillage par effet d’intrication quantique.
Un vœu prométhéen peut-être en passe de se réaliser de part et d’autre du Pacifique... via Chang’e 4 en 2019, Chang’e 5 en 2020, IM-1 dans un mois, puis XL-1, Nova C IM-2, Griffin, VIPER durant l’année 2024, et bien davantage dans les années suivantes dans le cadre de l’ambitieux programme Artemis (avec à la clef la station spatiale Lunar Orbital Platform-Gateway)…
Moyennant un implication toujours croissante de ce secteur privé tant mis à l’honneur par les troisième et quatrième saisons de FAM et dont CLPS, IM-3, Blue Ghost Mission 1, Griffin Mission 1 pourraient bien devenir les échos transdimensionnels (en différé).

Même si ce n’est qu’une "modeste" étape — quoique essentielle — dans la geste cosmique sans fin, cette quatrième saison de FAM a momentanément abandonné l’exploration au profit de la construction, la course au profit la fructification, la conquête au profit de la consolidation. Son esprit ressuscite donc les ambitions de Rick Berman et Brannon Braga pour la première saison de ST Enterprise avant que les studios ne les obligent à ré-intégrer des rails plus normés. Difficile alors de ne pas regretter que le plus ancien partenaire d’écriture de Ronald D Moore n’ait pas contribué à l’aventure FAM pour prendre une revanche méta-prequelle si méritée.

« ♫ It´s been a long road (...) It´s been a long time... ♫ ». Et cette longue route de FAM vers Star Trek passerait-elle finalement par The Expanse ?

NOTE ÉPISODE

NOTE SAISON

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