For All Mankind : Critique 4.02 Have A Nice Sol

FOR ALL MANKIND
Date de diffusion : 17/11/2023
Plateforme de diffusion : Apple TV+
Épisode : 4.02 Have A Nice Sol
Réalisateur : Lukas Ettlin
Scénaristes : David Weddle & Bradley Thompson
Interprètes : Joel Kinnaman, Toby Kebbell, Krys Marshall, Edi Gathegi, Cynthy Wu, Coral Peña, Tyner Rushing, Svetlana Efremova, Wrenn Schmidt, Daniel Stern, Jodi Balfour, C.S. Lee, Lev Gorn, Robert Bailey Jr.
LA TURBO-CRITIQUE YR
For All Mankind 04x01 Glasnost aura offert à la quatrième saison un démarrage uchroniquement ambitieux et psychologiquement subtil (flirtant même davantage avec la Nouvelle Vague qu’avec le soap opera), mais non exempt de facilités inhérentes aux films d’actions (certainement dans le but de re-motiver le public après une assez longue interruption à laquelle la grève de la WGA ne fut d’ailleurs pas étrangère) quoique en partie rédimées par des VFX d’un photoréalisme stupéfiant.
En abaissant quelque peu ses ambitions spectaculaires, FAM 04x02 Have A Nice Sol produit quant à lui un quasi sans faute.
L’originalité de sa construction est de faire adopter à (une partie de) la diégèse le regard du néophyte Miles Dale, incarnant cette nouvelle génération de "travailleurs de l’espace", qui ne sont ni astronautes, ni pilotes, ni scientifiques. Ainsi, cela "re-virginise" la perspective des spectateurs qui — par identification — redécouvrent d’un œil neuf (et frais) ce qui leur était devenu familier au fil de la saison précédente (un procédé qui n’est pas sans rappeler celui des deux premières saisons de la série Enterprise voire de l’épisode ST TNG 07x15 Lower Decks). L’occasion de revivre d’envoûtantes expériences de "premières fois" : l’émerveillement du newbie à son arrivée en orbite martienne d’Unity, durant la descente atmosphérique en Hopper 4, lors de la traversée en Rover 7, et enfin à la découverte de la ville martienne... tout en restant à l’affut du site d’amarsissage historique de Sojourner 1.
Dès lors, ces découvertes subjectivement exacerbées n’en révèlent paradoxalement que davantage le professionnalisme et la maîtrise des procédures établies et éprouvées, rendant désormais fiable et banal ce qui était dangereux et exceptionnel durant la troisième saison.
En outre, ce parti pris narratif prolonge astucieusement en live la superbe séquence alter-récapitulative (en 3’30 et six pastilles) de For All Mankind 04x01 Glasnost. De quoi découvrir in situ, à travers le ressenti de Miles, ce que les ressortissants de l’uchronie savaient (au contraire de public "exclu" de l’Histoire durant huit ans), à savoir l’ampleur de la transfiguration de Happy Valley (depuis la fondation de M-7), qui plus est sous un angle pratique ("you are there’). En commençant par le briefing introductif de Palmer James (peu ou prou façon Quaritch au début d’Avatar de James Cameron en 2009) avant d’entamer la visite non pas touristique mais formatrice de la cité, l’épisode immerge brutalement (à la première personne) le spectateur dans une réalité qu’il était bien loin de soupçonner, mettant comme jamais à profit la longue ellipse temporelle pour produire des contrastes saisissants. Toutes les facettes de la vie sur Mars sont abordées : l’étendue de Happy Valley déployée sur cinq niveaux (dont deux en construction) interconnectés par des ascenseurs, la ville martienne désormais quasi-autosuffisante et reproduisant un micro-biotope (avec une horticulture permettant de produire 75% de la nourriture consommée), les tempêtes de sable, la pâleur solaire, les radiations létales, la poussière félonne, l’eau au goût d’urine (car elle en est issue), les SMIGI individuels, une monnaie locale (!), les frontières entre quartiers privés selon les nationalités, les fléchages et les légendes systématiquement bilingues (en anglais et en russe), les chambrées collectives et mixtes (!), et même la contrebande et au moins une distillerie clandestine de vodka ("grâce" au Russe Ilia) dans un embryon de "bas-fonds" (pour aider le personnel atrabilaire à supporter la monotonie et les désillusions).
Enfin, en accompagnant ainsi le quotidien d’un "lower deck" qui ne possède pas le privilège d’appartenir au "club" des pionniers héroïques de la conquête spatiale, l’épisode se paye une séance de "conscientisation" fidèle au "cahier des charges" woke de la série. En effet, l’ingénu Miles découvre rapidement l’envers du décors : il y a quelque chose de pourri dans la vallée heureuse ! Parce que cette "utopie martienne" à mine de rien reproduit — presque de façon parodique — une hiérarchie de classes ! Et pour forcer le trait (au cas où ça ne serait pas assez clair), l’épisode a même recouru à des splits d’écran clipesques pour souligner les inégalités, à la façon d’un manifeste politique ! Ce n’est certes pas le 19ème siècle cruel des deux révolutions industrielles qui avaient inspiré à Karl Marx son capital, mais plutôt Upstairs, Downstairs (1971-1975) ou son épigone Downton Abbey (2010-2015).
Dale avait signé pour un travail de minage spatial, mais suite à l’accident mortel dans For All Mankind 04x01 Glasnost, l’exploitation de l’astéroïde XF Chronos a été reportée sine die. Du coup, aussitôt débarqué, le vétéran des plateformes pétrolières à été assigné aux tâches de maintenance (allant du nettoyage des toilettes aux réparations des cafetières...).
Or ces personnels subalternes, pourtant indispensables, sont les victimes d’une différence de traitement systémique. Ils sont en gros considérés comme des "laquais" par les "seigneurs". Et selon le modèle de l’immeuble haussmannien, on ne se mélange pas : la noblesse en haut dans des suites confortables, et le petit peuple entassé en bas ! Les vies ne semble pas non plus avoir la même valeur : le décès de Grigory Kuznetsov ne cesse d’être commémoré tandis que la mort de Tom Parker est largement ignorée (quoique ce point précis soit peut-être davantage un corollaire de la vedettisation). La panne d’un satellite dédié aux retransmissions des programmes télévisés terriens et des communications personnelles ne fera qu’accentuer "l’injustice sociale" : les astronautes élitaires se réservent sans complexe les bandes passantes prioritaires, tandis que les serviteurs captifs se voient privés de tout contact avec leurs familles. Cerise sur le gâteau : en l’absence de sorties spatiales, exit les primes, si "bien" que le salaire de Miles — amputé de 30% pour diverses charges participatives — s’avère inférieur à ce qu’il aurait gagné sur Terre ! Et pas question de repartir avant l’échéance contractuelle des deux ans, sans quoi Helios facturera la formation et le voyage à hauteur de 150 000 USD...
La vallée (mal)heureuse n’a donc pas attendu une décennie pour devenir un monument dédié à la domination de classe, comme s’il s’agissait de l’inhérence première de l’humain où qu’il s’établisse par-delà tout système politique. Deux "peuples" qui cohabitent par nécessité dans une oasis de vie entourée d’un univers de mort, deux communautés qui se croisent mais qui s’ignorent pour une métaphore de la solitude dans la foule.
Si au premier abord cette configuration semble briller par son réalisme sans complaisance (enfin quelques ombres au "conte de fées" uchronique !) et courageuse (c’est bien la "caste" des héros historiques de la série qui se voit ainsi ontologiquement épinglée), il y a malgré tout de quoi être perplexe. Même dans une chronologie spatiale accélérée, huit ans suffisaient-ils pour que l’humanité importe aussi littéralement ses pires travers sur une autre planète et au sein d’un écosystème qui reste malgré tout survivaliste et homéopathique (quelques centaines de personnes triées sur le volet et exposées à un même environnement sans pitié) ? Comme en témoigne l’Histoire aéronautique, les solidarités face à l’extrême ne s’effondrent généralement pas aussi vite, sauf en cas d’explosion démographique (ce qui malgré tout est loin d’être le cas). D’empressement à vouloir se trouver une nouvelle "noble cause" (et son pendant de "dénonciations"), FAM n’aurait-elle pas sauté une bonne décennie de sa chronologie ?
De surcroît, le caractère international de M-7 et la forte implication des communistes dans le développement de la ville martienne aurait dû limiter un pareil écueil, quand bien même la firme Helios serait l’employeur principal du personnel subalterne. Car même en ne se faisant aucune illusion sur la réalité soviétique (très inégalitaire de facto), l’URSS soignait les apparences pour les vitrines de prestige...
Alors certes, aussi choquant que cela soit, entendre Ed Baldwin se moquer ouvertement de la condition infériorisée des contractants civils (au point de ne pas lever le moindre petit doigt pour améliorer leur ordinaire) renvoie avec réalisme au complexe du héros, à la difficulté pour un pionnier d’exception (qui avait pris tous les risques par vocation jusqu’à changer le monde) de devoir dorénavant s’accommoder de la démocratisation et accueillir le vulgum (i.e. des travailleurs ordinaires qui cherchent simplement à gagner leur vie et nourrir leur famille). Toujours difficile de renoncer à un entre-soi élitiste pour s’ouvrir aux autres...
Il est cependant curieux qu’il ne se soit trouvé personne parmi les "cadres" de la colonie martienne pour s’émouvoir de la situation. Faut-il alors s’étonner — dans une logique intersectionnelle — que le rôle de SJW soit endossé "comme par hasard" par Danielle Poole (seule en rupture envers une société indifférente) ? Dès sa prise de commandement de Happy Valley (moyennant un très beau discours au passage), elle s’avérera sensible et "éveillée" à l’iniquité patente entre le "monde d’en haut" et le "monde d’en bas". Alors, à défaut de pouvoir changer "l’ordre naturel" (du moins pour le moment), elle n’aura de cesse de restaurer le "droit aux communications personnelles pour tous" en donnant l’ordre impérieux de réparer le "satellite des pauvres" en orbite. Mais la réussite de cette opération tiendra presque du miracle... tant ledit satellite n’était pas conçu pour être réparable ! Un symbole en lui-même plutôt éloquent (pour ne pas dire militant)...
Avec un peu de sarcasme, en entérinant puis en filant la métaphore que FAM 04x02 Have A Nice Sol s’emploie à (im)poser (au forceps si nécessaire), la série serait encore dans la soupe prébiotique (ou primordiale) de l’indécidabilité quantique, moyennant un égal potentiel à devenir la prequelle de l’utopique Star Trek ou de la dystopique The Expanse (selon le modèle social qui prévaudra sur le temps long).
Malgré tout, même si l’épisode s’est fait plaisir en succombant à une inclination plus allégorique que réaliste sur ce segment (à la façon de tant d’opus de ST TOS dont Ronald D Moore raffole, au hasard ST TOS 03x21 The Cloud Minders), la peinture chorale de Happy Valley n’en demeure pas moins remarquable de finesse et d’authenticité de bout en bout, qu’il s’agisse : des retrouvailles d’Ed Baldwin et de Danielle Poole chargées d’un insondable passé que la quatrième saison n’a pas même commencé à égratigner,
du deuil de Grigory Kuznetsov qui unit la première génération de "Martiens" jusqu’à l’hommage à "Kuz" porté par Ed sur son torse telle une décoration en lettres cyrilliques,
du retour de Lee Jung-Gil sur Happy Valley mais au prix d’une "fraternité d’armes" (avec les protagonistes étatsuniens) qui lui est déniée par les commissaires politiques nord-coréens,
du désespoir croissant du "naïf" Miles Dale et de ses tentatives "pathétiques" (en enregistrement visio) pour cacher la vérité de son sort à sa femme Amanda et à ses deux filles,
de l’étonnant équilibre idéalisme/pragmatisme de la touchante Samantha Massey qui fait figure de "boussole morale" du prolétariat,
ou encore du russe Ilia qui est une illustration vivante du rôle social de la "mafia de proximité" telle qu’elle fleurissait durant les dernières années du soviétisme (et dont pas mal de Russes sont aujourd’hui nostalgiques).
L’arène terrienne n’est qualitativement pas en reste...
(...) [Complément d’analyse à venir] (...)
Le versant russe des événements (les dix dernières minutes) impressionne toujours autant, notamment grâce à un tournage dans les pays de l’Est (la Bulgarie se devine une nouvelle fois en filigrane...) et la présence de nombreux acteurs nativement russophones (y compris pour les scènes de rue, toutes plus vraies que nature).
Mais le plus fascinant est la justesse avec laquelle l’épisode figure une crise de pouvoir en URSS, en distillant une angoisse sourde qui s’exprime d’abord par l’omerta populaire, puis par des répressions gratuites contre les civils. Comment ne pas songer à Don Camillo en Russie de Luigi Comencini (1965) qui avait lui aussi très bien croqué — par l’entremise d’une population angoissée (d’un kolkhoze) car maintenue dans l’ignorance — la destitution de Nikita Khrouchtchev et la période de flottement avant que Leonid Brejnev ne soit intronisé premier secrétaire du parti communiste. Mais ici, c’est de toute évidence Mikhaïl Gorbatchev qui est sur la sellette... Et l’issue pour l’héroïne est bien plus inquiétante, car Margo Madison — en bonne étatsunienne qu’elle reste malgré ses huit années d’exil — n’a pas su réprimer ses réflexes libertaires face aux violences policières arbitraires, ce qui lui a valu d’être raflée (un voyage parfois sans retour...).
De tels changements opaques d’ambiances sur fond de points aveugles où les sorts individuels demeurent bien incertains sont très caractéristiques des régimes totalitaires, quel que soit leur coloration politique. FAM 04x02 Have A Nice Sol offre donc une salutaire piqûre de rappel sur la réalité soviétique dont la nature n’aura pas fondamentalement changé en dépit de l’essor économique USA-like. Toute similitude avec la réalité contemporaine ne serait bien sûr que pure coïncidence...
FAM 04x03 The Bear Hug viendra assurément apporter une réponse, mais il est déjà possible de suspecter un écho cross-timelines — avec treize ans de retard — du putsch de Moscou de 1991 lorsque Guennadi Ianaïev, Dmitri Iazov, Boris Pougo, Valentin Pavlov, Vladimir Krioutchkov, et Anatoli Loukianov avaient tenté de renverser Mikhaïl Gorbatchev pour restaurer un "communisme conservateur". Ce ne seront probablement pas ici les mêmes visages, mais d’autres (de la génération Vladimir Poutine) qui tenteront d’endiguer le rapprochement URSS-USA, percevant cela comme une vassalisation (impérialiste et/ou idéologique). Soit une façon pour FAM de rester en prise étroite avec l’actualité du monde réel en dépit de l’écart uchronique croissant...
Il faut dire que la divergence croissante d’avec notre réalité était inscrite dans l’ADN même de la série — dont les linéaments de l’écriture furent planifiés dès son lancement. Histoire contrefactuelle dans la première saison (collant au plus près de la réalité), puis science conjecturale dans la seconde, puis science spéculative dans la troisième, c’est à une science-fiction plus profonde que FAM commence à s’atteler dans la quatrième saison (chaque saison ayant valeur de décennie). La prémisse de la série est ainsi consacrée, et l’écart uchronique est appelé à croitre inéluctablement, laissant notre monde sur le carreau... pour mieux l’inspirer (un regain d’intérêt pour l’espace dans le monde réel ?). Mais sans pour autant sacrifier l’ancrage dans la réalité et la rigueur scientifique, comme en atteste l’implication proactive du conseiller scientifique Garrett Reisman, vétéran de la NASA et de SpaceX, mais aussi le scrupule des auteurs à considérer toutes les conséquences physiologiques des séjours prolongés hors du berceau terrestre et de l’habitat naturel de l’humanité (radiations cosmiques, faible gravité...). Et preuve que l’intrication quantique de la réalité avec FAM demeure inébranlable : le rhème de la quatrième saison est l’étude, le minage et l’exploitation d’un astéroïde (cf. ST ENT 01x08 Breaking The Ice et plusieurs épisodes de The Expanse) ; or presque simultanément (le 13 octobre 2023) dans le monde réel, la sonde Psyche a été lancée par la NASA dans la cadre d’une mission d’étude de (16) Psych, un astéroïde métallique de type M !
For All Mankind persiste ainsi à demeurer une "SF en temps réel".
En dépit d’une emblématisation de la lutte des classes (marxiste) un poil trop marquée (voire presque parodique ou HS), FAM 04x02 Have A Nice Sol reste un opus hautement psychologique, finement intimiste, et pourtant dépourvu de soap (fait si rare !). Il relate la grande Histoire au travers des petites (histoires) avec une vérité existentielle et une pesanteur viscérale. L’uchronie respire et saisit sur le vif les mécanismes de basculement... tout en restant pertinente pour les spectateurs contemporains. Fascinant.
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