Babylon 5 - The Road Home [Blu-ray / DVD / VOD] : La critique
BABYLON 5
Date de sortie : 14/08/2023
Plateforme de diffusion : Blu-ray et DVD
Épisode : The Road Home
Réalisateur : Matt Peters
Scénaristes : J. Michael Straczynski
Interprètes : Bruce Boxleitner, Claudia Christian, Peter Jurasik, Bill Mumy, Tracy Scoggins, Patricia Tallman, Paul Guyet, Anthony Hansen, Phil LaMarr, Andrew Morgado, Rebecca Riedy, Piotr Michael, Mara Junot.
LA CRITIQUE YR
Un historique chargé
Pour tout connaisseur de SF audiovisuelle, Babylon 5 est un nom de légende devenu culte. Il incarne le mythe par excellence, et son vaste univers occupe une place bien à part...
Tout d’abord, en raison de la profondeur et de la portée inégalée de cette création imaginaire, cumulant un degré de cohérence interne inouï (difficile d’y trouver la moindre rupture de continuité), une qualité d’écriture au spectre infini (touchant à la philosophie, à la théologie, à l’eschatologie, à la politique, au juridique, à la morale, à la stratégie...), un jeu épistémologique virtuose pour embrasser sans entraves toutes les questions existentielles et métaphysiques (Babylon 5 a ainsi dansé au bord du gouffre de la fantasy mais sans jamais tomber dedans), des partis pris artistiques solides (les designs industriels des vaisseaux, les technologies plus fonctionnelles qu’esthétiques, les interfaces très organiques...), bien sûr des galeries de personnages épais et exceptionnellement caractérisés (brisant le manichéisme de la plupart des productions de SF américaines), et d’innombrables civilisations très construites et structurées (prodiguant autant de cultures, d’Histoires, de sciences, de religions, de sociologies, et d’entendements pluriels...).
Ensuite, grâce à son auteur unique, J. Michael Straczynski, qui avait intégralement planifié les cinq saisons de la série principale (début, milieu, fin, ressorts, arcs, synopsis des épisodes) cinq ans avant que le tournage ne soit lancé ! Par la suite, une vingtaine d’épisodes ont été réaménagés par lui et/ou par quelques prestigieuses signatures (Dorothy C. Fontana, Peter David, David Gerrold, Marc Scott Zicree, Harlan Ellison, Neil Gaiman...) en raison des contraintes de production et de plusieurs impondérables, notamment un douloureux changement de cast principal (Michael O’Hare remplacé par Bruce Boxleitner au début de la saison 2), puis une annulation finalement révoquée) au terme de la quatrième saison (ayant obligé JMS à comprimer en une seule quatrième saison ce qui devait à l’origine tenir sur deux, avec pour conséquence de se retrouver un peu en inflation dans la cinquième), et hélas l’annulation (effective) de Crusade dès le milieu de la première saison (alors que ce spin-off fut également pensé sur cinq saisons aussi riches que celles de la série mère). Toujours est-il que l’unité de vision et de développement de Babylon 5 est sans équivalent dans l’histoire audiovisuelle !
Enfin, par sa condition difficile (très "classe ouvrière") qui ne lui valut jamais le privilège de moyens financiers, d’une visibilité médiatique, et d’effets spéciaux (déterminants en SF) à la hauteur de son ambition sémantique et créative. Elle restera pour l’éternité la petite sœur fauchée de Star Trek (alors qu’elle n’a rien à lui envier sur le fond et qu’elle aurait même murmure-t-on en partie inspiré le diamant noir ST DS9), celle qui n’a jamais réussi à sortir complètement de son ombre (car née à une époque où ST était monopolistique sur le petit écran donc placé en concurrence directe), cette dernière grande SF encore méconnue du grand public mainstream ainsi que des plus jeunes. Et pourtant, elle sut fidéliser des générations de fans inconditionnels pour avoir vécu à travers elle des expériences et des sensations de SF absolument uniques. Pour eux, impossible de repenser à Babylon 5 sans être traversés des frissons... tant l’attachement est viscéral et le ressenti parfois incommunicable (façon Ellie Arroway à la fin de Contact de Carl Sagan et Robert Zemeckis).
Il y a dans Babylon 5 le souffle des grands cycles littéraires de la SF, ceux dont l’ambition démiurgique est de construire une Histoire du futur, un univers aussi crédible que le vrai, sur le modèle asymptotique de Foundation d’Isaac Asimov.
Il y a aussi dans Babylon 5 quelque chose du Monde d’Arda de JRR Tolkien... mais en SF audiovisuelle (et non en fantasy littéraire).
Babylon 5 forme un univers homogène et consistant qui comptait en 2022 exactement 130 opus : le pilote B5 : The Gathering (1993), les cinq saisons et 110 épisodes de la série principale Babylon 5 (1993-1998), les deux téléfilms associés B5 : Thirdspace (1998) et B5 : The River Of Souls (1998), le prequel B5 : In The Beginning (1998), le spin off inachevé composé du pilote B5 : A Call To Armes (1999) et des treize épisodes de la série Crusade, et finalement deux pilotes de séries dérivées (restés sans suite) B5 : The Legend Of The Rangers (2002) et B5 : The Lost Tales (2007).
L’appel des multivers
Autant dire que B5 : The Road Home était très attendu... après seize ans d’absence de la scène audiovisuelle (depuis la sortie de l’excellent B5 : The Lost Tales). Car la perspective de pouvoir se replonger dans cet univers à nul autre pareil, même pour à peine plus d’une heure, même de façon hybride ou partielle (au format animé par exemple), cela représente une madeleine de Proust sans égal, une sensation qui n’a pas de prix... Surtout lorsque son auteur demeure encore et toujours le créateur originel, conservant donc toute omniscience envers sa création.
En in-universe, ce dessin animé prend place immédiatement après B5 05x21 Objects At Rest, lorsque le président John Sheridan quitte (avec sa femme Delenn) la station Babylon 5 pour prendre ses fonctions au siège de l’Alliance interstellaire sur Minbar dans la capitale Tuzenor. Donc avant B5 : The River Of Souls, B5 : The Legend Of The Rangers, B5 : A Call To Armes, Crusade, B5 : The Lost Tales, et longtemps avant B5 05x22 Sleeping In Light et bien sûr B5 04x22 The Deconstruction Of Falling Stars.
L’histoire consiste pour l’essentiel en une errance multidimensionnelle (dans la lignée de The Time Tunnel, Quantum Leap, Sliders, ou encore Everything Everywhere All At Once de Daniel Kwan et Daniel Scheinert...), mais qui à l’échelle du Babverse s’inscrit dans les brèches qui furent ouvertes par les mémorables épisodes B5 01x20 Babylon Squared et B5 03x16+03x17 War Without End.
Exposé à une émission intensive de tachyons sur Minbar, le personnage principal (John Sheridan) "décroche" et se remet à "glisser" dans le temps comme durant La guerre sans fin (en l’absence de stabilisateur temporel). Mais cette fois, ses voyages le conduiront également beaucoup plus "loin" (dans des timelines alternatives et au-delà). L’occasion pour lui d’avoir un aperçu du futur (même après sa disparition dans B5 05x22 Sleeping In Light), de revisiter son passé (dans le ranch de son père David)... avant de s’aventurer where no man has gone before, c’est-à-dire dans de fascinants what if (souvent traumatiques). Son "gouvernail" sera constitué des émotions intimes, des angoisses, et des forces de l’ide (ce qu’il ne comprendra que progressivement). Et bien sûr son objectif ultime sera — comme le titre de l’opus l’indique clairement — de revenir dans sa réalité (celle de la série historique) auprès de sa bien-aimée (Delenn), en s’aidant pour cela de l’impayable Zathras sur Epsilon III.
Techniquement, l’animation est sympathique, parfaitement regardable, mais plutôt "cheap" par certains côtés. C’est en quelque sorte la version 2023 de Star Trek The Animated Series (1973-1974). Au nombre des atouts : un superbe sens des perspectives et beaucoup de gigantisme dans les décors (qui mettent à l’honneur la station Babylon 5, le cosmos, les planètes extraterrestres, les technostructures...). Au nombre des faiblesses : des personnages diversement (voire peu) reconnaissables, et animés à l’économie (faible variation de l’expressivité). C’est donc bien un Filmation au standard contemporain, donc dynamisé et recourant à l’ombrage de celluloïd (ou "toon-shading") pour les effets 3D.
Mais à quelque chose malheur est bon : le film animé y gagne en sobriété (voire en austérité) et il échappe ainsi à bien des outrances (voire incontinences) inhérentes à ce média aujourd’hui.
Toujours est-il qu’à la faveur de la dynamique générale, de la direction artistique (souvent inspirée), et de la prégnance des grands espaces... le spectateur s’habituera sans effort au compromis de forme (et l’esprit de compromis est dans l’ADN de Babylon 5 depuis le premier jour).
Tous les acteurs encore vivants (Bruce Boxleitner, Claudia Christian, Peter Jurasik, Bill Mumy, Tracy Scoggins, Patricia Tallman) du main cast historique ont repris leur rôles (respectivement John Sheridan, Susan Ivanova, Londo Mollari, Lennier, Elizabeth Lochley, Lyta Alexander) avec pas mal de conviction, quoique leur temps d’exposition soit souvent faible... hormis évidemment John Sheridan (au centre de toutes les attentions). Bruce Boxleitner est toujours très en forme, Peter Jurasik reste égal à lui-même (donc brillant), Claudia Christian demeure incontournable (mais sous-exploitée), et Patricia Tallman fera des étincelles. En revanche, Tracy Scoggins est assez apathique et Bill Mumy plutôt absent.
Quant aux nouveaux venus (Rebecca Riedy, Paul Guyet, Anthony Hansen, Andrew Morgado, Phil LaMarr), ils ont tant bien que mal remplacé par leur voix les illustres défunts (feue Mira Furlan, feu Michael O’Hare, feu Jerry Doyle, feu Andreas Katsulas, feu Richard Biggs...) dans leurs rôles de légende (respectivement Delenn, Jeffrey Sinclair, Michael Garibaldi, G’Kar, Dr. Stephen Franklin).
Cependant, seuls Paul Guyet (pour Jeffrey Sinclair et Zathras), Anthony Hansen (pour Michael Garibaldi), et peut-être Phil LaMarr (pour le Dr. Stephen Franklin) parviennent à être relativement convaincants par leurs prosodies... réussissant même par moment (grâce à leurs intonations et leurs dictions) à ressusciter les interprètes d’origine le temps de quelques fulgurances.
Une réalité indécidable
Difficile d’évaluer et de juger objectivement Babylon 5 : The Road Home tant cet OVNI audiovisuel est un nexus de paradoxes... laissant une sensation mitigée, tiraillée, voire écartelée.
Il ne fait aucun doute qu’il s’agit-là d’un produit authentique qui n’usurpe à aucun moment son label.
Par bien des côtés, en tentant d’explorer des pans oubliés, méconnus, ou uchroniques de la grande Histoire babylonienne, JMS prolonge B5 : The Lost Tales et renoue même avec le projet abandonné B5 : The Memory Of Shadows...
Mieux encore, il y a vraiment de l’audace et de la grandeur dans cette proposition conceptuelle...
JMS ose par exemple se replonger dans un recoin oublié du Babverse, ce mystérieux flash-forward dans B5 01x20 Babylon Squared où Jeffrey Sinclair et Michael Garibaldi luttaient comme frères d’armes dans une station au bord de l’anéantissement... devenu rétrospectivement un flash-sideway (i.e. la vision d’une réalité alternative) suite au recast brutal en début de la seconde saison (donc une réalité où Sheridan n’est jamais devenu commandant de Babylon 5). Et là, fait impensable, John viendra prêter main forte à Jeffrey et Michael pour un ultime baroud d’honneur suicidaire avant l’autodestruction de Babylon 5 totalement noyautée et envahie par les Shadows.
L’épisode assume également un des passages les plus polémiques de la série quand les "guides" Vorlons employaient des planet killers génocidaires avant la résolution de B5 04x06 Into The Fire. Or là, il sera question d’une réalité où la Terre est en passe d’être détruite pour avoir été historiquement "touchée" par les Shadows, les Vorlons y tenant le pire rôle possible en déviant la Lune vers la Terre (pour une apocalypse convoquant moins le Moonfall de Roland Emmerich que le Melancholia de Lars von Trier), tandis qu’Ivanova et Londo feront face à l’inévitable avec un fatalisme désabusé forgé dans l’humour noir qu’ils ont toujours eu en partage. Comme pour planter les derniers clous dans la tombe du manichéisme...
L’auteur lève aussi le voile sur la polysémie de la locution « G’Kar went with Stephen Franklin to explore beyond the galactic rim » employée dans B5 : The Lost Tales pour entériner en externaliste les décès d’Andreas Katsulas et de Richard Biggs tout en renvoyant en internaliste aux limites du "known universe" vers lesquelles s’étaient exilés les Premiers durant la quatrième saison. Un peu comme l’USS Enterprise parvenu aux confins de l’univers (où l’espace, le temps et la pensée se rejoignent dans ST TNG 01x06 Where No One Has Gone Before), Sheridan rencontrera G’Kar (lui sans être lui) dans les limbes sur la frontière mathématique entre le "tout" et le "rien". Et en mémoire de tous ces échanges passés qui résonneront à jamais à travers les murs de Babylon 5, ils philosopheront sur le sens, l’ontologie, et la question que l’univers se pose à lui-même ("pourquoi ?")
Enfin, le simple fait de pouvoir "revoir" Jeffrey Sinclair et G’Kar (même si ce ne sont pas les voix de Michael O’Hare ni d’Andreas Katsulas), disons qu’il faut être tombé dans la marmite babylonienne pour comprendre ce que cela représente...
Toutes ces scènes portées par la grâce sont du pur Babylon 5, du B5 à son sommet, avec des situations et des interactions que nul n’imaginait plus contempler à nouveau. Autant de 5/5 rayonnants et mérités... mais qui ne figureront hélas pas dans la note finale.
Eh non, parce que Babylon 5 : The Road Home, c’est aussi un anime :
dont l’histoire même repose sur un prétexte assez invraisemblable : un générateur d’énergie minbari civil à base de tachyons (!!!) dans un univers (et au sein de la société humanoïde la plus avancée) qui connaît parfaitement les effets de ces particules supraluminiques ;
qui use et abuse de l’interprétation mystico-New Age (le rôle de l’observateur) de la mécanique quantique (depuis John von Neumann jusqu’au solipsisme convivial...) tout en essayant de la faire cohabiter avec l’interprétation SF (les multivers) de Hugh Everett ; or ces deux interprétations sont alternatives donc non simultanément compatibles dans la réduction de la fonction d’onde, si bien que "quantique" devient le faux nez de "magique" (un filon à la mode permettant à beaucoup d’œuvres contemporaines de se payer de la fantasy sous fausse-bannière SF) ;
qui discrédite un peu John Sheridan durant son "escale" à Z’ha’dum lors de l’atterrissage de l’Icarus, puisque son réflexe immédiat sera de se comporter comme Tony Newman dans The Time Tunnel la veille d’une catastrophe historique au mépris de toute causalité (la présence de son ex-femme Anna Sheridan ne pouvait certes pas le laisser indifférent, mais empêcher cette tragédie revenait pour John à compromettre ses accomplissements majeurs durant la quatrième saison de Babylon 5 ainsi que sa relation cardinale avec Delenn) ;
qui confère à Sheridan un rôle/pouvoir divin au nom d’une incompréhension ou plus probablement d’un détournement de la mécanique quantique au profit d’un illuminisme religieux : en gros l’existence ou l’anéantissement de multivers entiers (et même l’effondrement de toute la création) dépend du fait que l’observateur/témoin John ait posé ou non un regard sur eux ; dans le genre grandiloquent/nombriliste, c’est un record ; un tel héros/VIP-centrisme (avec tous les univers qui gravitent autour de Sheridan) peut même faire penser aux impostures idéologiques de Secret Hideout (en particulier le culte de Mary-Sue Burnham dans Discovery) ;
qui assujettit les sauts temporels puis uchroniques à la seule mécanique du VIPisme : à chaque fois, Sheridan rencontre des protagonistes (même en version alternative) dont il est comme par hasard proche et qui sont surtout des "fan favorite" ; alors certes, le "gouvernail" émotionnel et affectif de l’errance multidimensionnelle du héros peut en partie expliquer ces "coïncidences", mais en internaliste, difficile de ne pas y voir un syndrome typiquement abramsien ou kurtzmanien, non plus seulement de micro-univers, mais désormais de micro-multivers ;
qui abuse du joker Zathras ; ce personnage avait toujours été une variable d’ajustement dans Babylon 5, mais son originalité et ses interventions contenues lui avaient évité de verser dans le deus ex machina ou la facilité scénaristique ; malheureusement ce Rubicon-là a été franchi dans B5 : The Road Home, car le "forçat" d’Epsilon III y devient désormais un être multidimensionnel omniscient, ubique et pluriel ; soit une dérive à fois fonctionnaliste et TGCM que même la qualité ad hoc des running gags attachés à l’inénarrable Zathras ne rédiment guère ;
qui prétend résoudre l’errance multidimensionnelle de Sheridan par le "pouvoir de l’amour" auquel sont assujettis toutes les lois naturelles et cosmiques de l’univers (sérieux ?!), tandis que Delenn est l’apôtre voire l’incarnation de cet amour éternel et transcendant, promue "archange de lumière" venant sauver (et chercher) son bien-aimé à travers l’infinité des multivers (facepalm) ; dès lors l’argument "scientifique" du nouveau stabilisateur temporel 2.0 fourni par Zathras fait office d’effet placebo (faisant alors basculer la SF dans la fantasy) ;
qui est en réalité une composition onaniste surfant sur les acquis et la nostalgie sans rien apporter de fondamentalement nouveau ; l’épine dorsale du film est le fan service, quoique célébré avec autant de dignité et de respect qu’une liturgie au service d’une religion née du chapitre de l’absence (et donc de la mythification inconsciente) ;
qui tombe parfois dans des articulations et des tonalités puériles comme corollaire du format, avec notamment quelques raccourcis trop légers dans certains enchaînements, un humour kikoolol à contremploi lorgnant les droïdes starwarsien, et avec des licences contestables de représentation qui bousculent l’internalisme (par exemple les Shadows qui se comportent comme les Arachnides de Starship Troopers ou les Zerg de StarCraft !).
Il ressort de ces neuf bullet points une difficulté à prendre The Road Home vraiment au sérieux. Entre la divinisation de Sheridan, son errance multidimensionnelle exclusivement VIPique, le TGCQ ("ta gueule c’est quantique") ayant remplacé le TGCM, le deus ex machina Zathras, la force de l’amour surclassant toutes les autres forces de l’univers, le fan service devenu sa propre fin, et les infantilisations humoristiques... faudrait-il croire que la fonction (dessin animé) doive absolument créer l’organe (un ciblage enfant/ado) ? Pourtant les animes pour adultes existent depuis longtemps...
Mais si d’aventure ce parti pris est prémédité (ou imposé par WB), une telle stratégie commerciale n’aurait présentement guère de sens : The Road Home ne sera ni accessible ni appréciable de ceux qui ne connaissent pas déjà à fond Babylon 5 (avec un prérequis de nostalgie). Or cet univers de SF est largement méconnu des jeunes générations biberonnées au MCU et à DC, et ce n’est pas ce dessin animé qui pourra être un vecteur d’appel...
In fine, B5 : The Road Home serait-il un objet (in)animé trop éloigné de l’original, évoluant davantage dans la basse-cour du médiocre B5 : The Legend Of The Rangers que dans les sphères célestes de l’ambitieux B5 : The Lost Tales ?
Chacun y répondra dans son for intérieur selon la hiérarchie accordée aux différents critères…
Mort et réincarnation
Curieusement, Babylon 5 : The Road Home ne se conclue pas par le retour de "notre" Sheridan dans la réalité originelle de la série. Certes, le spectateur peut être rassuré, il revient bien "at home" puisque la "séraphique" Delenn vient le chercher dans son "écrin de lumière".
Mais le point de vue de la mise en scène reste "bloquée" jusqu’au générique final — donc "élit domicile" — dans une autre timeline, en fait la dernière visitée. Une ligne temporelle où un alter-Sheridan très décontracté commande la station Babylon 5 depuis sa mise en service (il n’a donc pas succédé à Jeffrey Sinclair), et où il ne semble y avoir ni Shadows ni Z’ha’dum...
Finir ainsi cet opus est assurément original... mais cela ne doit rien au hasard. Nul besoin d’être grand clerc pour y déceler une "suite dans les idées", un "message", et même une "plateforme de lancement". De là à imaginer que c’est précisément la réalité parallèle du projet de reboot, il n’y a qu’un pas... que chaque spectateur sera libre ou non de franchir.
Mais JMS, lui, l’a déjà (en partie) franchi car il a publiquement déclaré que si d’autres éventuels Babylon 5 animés (?) devaient être produits, ils se situeraient dans la réalité parallèle (sans Shadows notamment) introduite à la fin de The Road Home.
Pour autant, s’agit-il aussi de celle dans laquelle prendrait place l’hypothétique reboot en live action ? Les paris sont ouverts…
Du coup, derrière le bain jacuzzi de nostalgie, Babylon 5 : The Road Home a probablement pour principale finalité diégétique d’introduire — ou du moins de préparer le public à la possibilité conceptuelle de — la nouvelle timeline (ou chronologie) du reboot/remake que JMS rêve d’infliger à sa création... sous les auspices du teen-soap network The CW.
Le créateur originel a certes tous les droits (légaux) et toutes les légitimités (morales), et il se trouve être tellement imprégné de culture comics (DC et Marvel) que le concept même de reboot n’a pour lui rien d’infamant.
Mais pour qui prise un worldbuilding cohérent au long cours, et pour qui en mesure toute la rareté dans le paysage audiovisuel, l’idée même de remake/recast de Babylon 5 a quelque chose de sacrilège... quand bien même un "alibi" internaliste serait bricolé, et quand bien même il serait plus réussi que celui de JJ Abrams dans Star Trek 2009.
Surtout qu’il y avait encore tant et tant à dire, à conclure et/ou à développer dans l’univers originel de Babylon 5 (s’il le faut avec de nouveaux personnages) : la guerre des télépathes non encore relatée, les nombreux événements et enjeux majeurs laissés en suspens dans Crusade… et pourquoi pas l’exploration de périodes ultérieures au sabordage de la station Babylon 5 dans B5 05x22 Sleeping In Light ? Car après tout, quitte à donner tort à Francis Fukuyama, l’avènement de l’utopique Interstellar Alliance n’est pas forcément la fin de l’Histoire… pas plus que ne l’est la non moins utopique United Federation of Planets dans (le true) Star Trek.
Ou à l’inverse, pourquoi pas un prequel un millénaire avant, du temps de Valen ?
Cette somme infinie de possibilités créatives rend le choix de JMS assez incompréhensible. C’est à croire qu’il ne mesure pas son privilège unique d’avoir à sa disposition un gigantesque univers totalement cohérent et qui ne demande qu’à continuer à vivre à travers de nouvelles itérations et générations de héros, tout en assumant l’intégralité de ce qui précède (ou de ce qui suit) avec ce sens nanométré de la continuité qui a toujours caractérisé JMS.
Mais renoncer à la puissance génératrice de l’expansion au profit d’une perpétuelle "time loop" narrant sans cesse des variantes de la même histoire, c’est une pulsion de compression voire de rabougrissement réduisant un univers sans fin à la geste circulaire (ou cyclique) de quelques personnages iconiques... moyennant d’infimes variations, actualisations, ou (ré-)allégeances à la doxa du moment. C’est ainsi que se concevait la dramaturgie dans l’antiquité hellénique et au Moyen-Âge chrétien. Mais en SF au 21ème siècle, difficile de ne pas y voir un tropisme archaïsant et régressif, où le Big Bang céderait la place au Big Crunch, où la créativité s’abîmerait dans la stérilité...
En tout état de cause, l’amour de l’auteur pour sa création transparait dans presque chaque scène de B5 : The Road Home, révélant un vrai désir de farming, l’envie de faire vivre et d’explorer encore un peu cet univers tant que cela est encore possible, retrouver le temps de quelques scènes cette fascinante "magie" babylonienne.
Mais dans cette lettre d’adieu, transparait également l’amour de JMS pour les acteurs qui l’ont fidèlement et loyalement accompagné depuis 1993 tout au long de cette aventure bien incertaine, toujours difficile, et souvent ingrate. Un amour assorti d’une évidence mélancolie voire déréliction en mémoire de tous les amis disparus. Car il faut bien admettre qu’une hécatombe a frappé le main cast de Babylon 5... a fortiori si l’on compare à sa contemporaine et éternelle rivale ST DS9 dont le main cast est presque entièrement en vie et bien portant.
JMS est donc fondé à en avoir "gros sur le cœur", si bien que par-delà ses qualités et ses défauts, Babylon 5 : The Road Home peut être interprété comme un hommage très personnel, un panégyrique in memoriam... ainsi qu’en témoignent avec force les féralies dédiées (l’épitaphe quoi !) à la fin du générique : « To Absent Friends In Memory, Still Bright : Richard Biggs, Tim Choate, Jeff Conaway, Jerry Doyle, Mira Furlan, Stephen Furst, Andreas Katsulas, Michael O’Hare ».
En somme un adieu audiovisuel de Straczynski à ses compagnons d’hier qui ont tant compté pour lui, mais aussi un adieu à un pan désormais révolu de son parcours créatif. Soit la dernière phase du deuil avant de pouvoir renaître... à travers un reboot et un tout nouveau cast, fécondant ainsi une nouvelle vie. Même si cela doit se payer pour les spectateurs fidèles par la plus grande des frustrations : l’enterrement définitif de l’univers originel de Babylon 5 !
Dès lors, ce fan service qui illumine ou plombe (selon le point de vue) ce 131ème opus de la saga babylonienne est surtout à usage privé, à guichets fermés. Le premier fan, c’est peut-être JMS lui-même ! Et l’obsession quantique — propitiatoire en réalité — pour "the eye of the beholder", c’est l’appel non pas du néant mais de l’éternité bouclée (telle la lemniscate ∞) : l’univers Babylon 5 continuera à exister tant qu’il existera quelqu’un pour le regarder ou du moins s’en souvenir.
Cette interprétation — quantique donc — inviterait du coup à l’indulgence (ou aux circonstances atténuantes). Parce que, tout animé qu’il soit, The Road Home serait un pèlerinage intime et donc un… film d’auteur, porté par une incontestable sincérité tranchant sur l’opportunisme ou le cynisme de trop de productions actuelles...
En attendant l’hypothèse — quantique toujours — d’un reboot (être et ne pas être à la fois), la sortie de Babylon 5 : The Road Home directement en Blu-ray et Blu-ray UHD (seulement aux USA et en UK pour le moment) annonce la publication de l’intégralité de la série Babylon 5 en Blu-ray dès le 5 décembre 2023.
Et ça, c’est une excellente nouvelle. Ainsi le Grand Œuvre Babylon 5 n’est pas près de tomber dans l’oubli. Il survivra même par-delà le "galactic rim" à toutes celles et ceux qui ont donné le jour au "Third Age of mankind".
Babylon 5 est mort, vive Babylon 5.
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