Il était une fois le Cinéma : Le Steadicam
LE STEADICAM
Le Steadicam est une caméra portative, équipée d’un stabilisateur pour prises de vues permettant de suivre un sujet, comme la caméra à l’épaule (donc sans rail), mais avec des travellings fluides et sans à-coups.
Le corps de l’opérateur propulse la caméra et lui donne son mouvement, sans lui communiquer les sauts de la marche, grâce à sa désolidarisation du mécanisme.
La caméra est soutenue au niveau du torse par un harnais et un bras articulé, lui permettant d’être plus facilement manipulé et tenu plus longtemps (le tout demeure assez lourd, et doit être porté par quelqu’un d’expérimenté et résistant). Afin d’évoluer sans peine, en pouvant regarder autour de lui, le caméraman dispose aussi d’un écran de visé déporté lui permettant de marcher sans avoir l’œil rivé à la lunette.
Le dispositif a été inventé et breveté par Garrett Brown, un géant de 2m, fils de l’inventeur à qui l’on doit la colle spéciale qui sert à fixer les reliures des livres. Il le conçoit en 1972 pour une publicité qui nécessitait un passage d’un étage à un autre. Puis, en 1974, il tourne un petit film de démonstration avec des plans impossibles à l’époque, afin de le montrer aux producteurs, emballés.
Notez que depuis 1994, le brevet a expiré et de très nombreux systèmes similaires ont alors vu le jour.
LES PLANS STEADICAM
Garrett Brown utilisera le steadicam dans Marathon Man de John Schlesinger en 1976 et Rocky (et ses suites) de John G. Avildsen la même année, afin de suivre les courses de ces deux personnages. C’est même en présentant une démo d’une sportive qui montait les marches 4 à 4 que le même genre de prise fut réalisée, au même endroit, avec Silvester Stallone, puis introduite dans le film.
L’opérateur rencontra Stanley Kubrick qui en fera une utilisation plus complète, dans Shining en 1980, dans trois scènes devenues culte : le parcours à tricycle du petit Danny, Jack poursuivant Wendy dans l’escalier et la poursuite dans le labyrinthe. Le tournage de cette dernière scène, extrêmement exigeante et contraignante, dura 3 mois.
Brian de Palma utilisa de nombreuses fois ce dispositif dans Le bûcher des vanités (1990), Mission to Mars (2000), mais surtout dans L’Impasse (1993), lors d’une sorte de cache-cache entre le personnage incarné par Al Pacino et ses poursuivants, mais aussi dans Snake Eyes (1998), lors du faux plan-séquence de plus de 12 minutes au début du film (notez au passage que, contrairement à tout ce que vous pouvez lire, il s’agit en fait de 8 plans consécutifs, et non pas d’un long travelling).
Dans Les Affranchis (1990), Martin Scorsese utilisa le procédé pour suivre le personnage incarné par Ray Liotta entrer dans une boîte de nuit, un peu comme dans Boogie Nights (Paul Thomas Anderson – 1990).
Quentin Tarantino ne pourra s’en passer dans Kill Bill 1 et 2 (2003-2004 - la scène du restaurant, et le mariage) et dans beaucoup d’autres.
Les scènes de guerre ne sont pas en reste bien entendu : Reviens-moi (Joe Wright - 2007), Il faut Sauver le Soldat Ryan (Steven Spielberg - 1998), 1917 (Sam Mendes – 2019).
Le réalisateur Sam Mendes renouvèlera l’expérience dans la scène incroyable d’introduction de James Bond 007 Spectre (2015).
Plus récemment, des films comme L’Arche Russe (Aleksandr Sokurov - 2002) ou The Magicians ((Song Il-gon - 2005) sont entièrement présentés en longs plans-séquences et le réalisateur Gus Van Sant utilisa la technique très souvent dans ses films. Trop de steadicam tuant le steadicam, cela ne présente pas vraiment d’intérêt, au-delà de l’exercice. Le propos n’est plus tenu et les plans ne veulent plus vraiment dire quoi que ce soit.
Le steadicam est aussi largement utilisé dans les clips et publicité, pour retenir l’attention au plus vite.
On l’utilise aussi dans les séries TV.
The West Wing et Urgences en sont deux exemples flamboyants.
Ces deux œuvres magistrales de la télévision sont des « Walk and Talk », dans lesquels une partie des dialogues sont accompagnés d’un déplacement des protagonistes. Mais il y a tellement à en dire, que je vous en parlerai dans un prochain article.
On pense aussi à l’incroyable scène du raid des forces de police dans le 4ème épisode de la 1ère saison de True Detective.
LE MOT DE LA FIN
L’utilisation du steadicam peut paraître magique et pouvoir s’intégrer dans n’importe quel film pour lui donner une caution de grand cinéaste. Mais son utilisation est rendue difficile (et coûteuse) par le surcroît de répétitions et la multiplication des prises de vues pour un rendu visuellement efficace.
De plus, comme il s’agit d’un plan-séquence plus ou moins long, il nécessite d’être très rythmé par une musique et une action forte (Marathon Man, Rocky…), une écriture de plan précise (Spectre, True Detective, Point Break, Snake Eyes, dans les films de guerre), ou de nombreux éléments entrant dans le plan : la foule dans En route pour la gloire (Hal Ashby - 1976), l’animation du restaurant dans Les Affranchis (Martin Scorsese - 1990), l’appareillage et les sas dans Das Boot (Wolfgang Petersen - 1981), les danseurs dans Boogie Nights (1997), des passants dans Birdman (Alejandro González Iñárritu – 2014)…
Dans Shining, Stanley Kubrick a le génie de se départir de ce corollaire temps, en le suspendant à l’attente du spectateur. Il utilise le suspense pour tenir en haleine pendant les plans-séquences en steadicam.
Il ne suffit donc pas d’utiliser le procédé, mais bien de le faire pour appuyer un propos, comme toujours.
Les grands-maîtres en la matière sont donc Stanley Kubrick, Brian de Palma et Sam Mendes.
EXTRAITS
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