L’homme qui répare les femmes : La critique

Date : 17 / 02 / 2016 à 07h34
Sources :

Unification


Ces dernières années, vous avez peut-être déjà entendu parler du Docteur Denis Mukwege qui est invité un peu partout dans le monde pour parler des femmes violées de la République Démocratique du Congo et a déjà fait l’objet de reportages.
Ce médecin a orienté sa carrière vers les soins à porter à des femmes, non seulement violées mais souvent mutilées, parfois de façon irréversible. Il a fait de sa vie de médecin un véritable sacerdoce soignant aussi bien les corps que les cœurs et les âmes de ces femmes battues, torturées, outragées. Et devant le désintérêt politique de son pays vis-à-vis de ce problème endémique, plus de 20 ans de guerre et donc de viols, il a choisi de porter le sujet devant la scène internationale. Un engagement complet qui lui a valu de nombreuses récompenses, et depuis 2015 une certaine polémique concernant des sommes non versées au fisc par l’hôpital de Bukavu, après tout l’homme dérange beaucoup son gouvernement.

Toujours est-il que cet homme se bat infatigablement pour sa cause, que ce soit sur le terrain, dans une salle d’opération ou devant un parterre de politiciens internationaux malgré une tentative d’assassinat qui lui vaut d’être quasiment cloîtré dans son hôpital de Bukavu.

L’homme qui répare les femmes retrace le parcours de ce médecin investi, à travers sa parole, mais aussi celle des femmes qu’il a soignées. Ces femmes qui après sa tentative d’assassinat et son exil en Europe, se sont cotisées pour lui payer son billet d’avion de retour. Un geste fort qui a convaincu le praticien de revenir dans son pays et de regagner son hôpital.

Le documentaire donne la parole à de nombreuses femmes, dont les témoignages forts et puissants sont d’autant plus terribles que certaines d’entre elles les racontent sans haine ni colère, presque comme une histoire qui n’a pas d’importance malgré les mots horribles qui franchissent leurs lèvres.

Le Docteur Mukwege le dit fort bien lui-même, ce sont elles qui ont un véritable courage car si c’était lui qui s’était trouvé à leur place, s’il avait vécu les atrocités qu’elles ont subies, il ne pourrait pas s’en remettre de cette façon.

Fillettes, adolescentes, femmes d’un certain âge, toutes témoignent avec dignité de ce qui leur est arrivé. Certaines jeunes filles s’effondrent aussi en pleurs en reconnaissant avoir tout perdu : rejetées par leurs familles, ostracisées par la société, condamnées à ne plus pouvoir faire d’étude, en ayant une estime de soi en miette. C’est la grande force du Docteur Mukwege de savoir leur parler avec cœur et leur montrer que ce qui est perdu peut être regagné et qu’elles n’en sortiront que plus grandies.

Le documentaire donne aussi la parole à des personnes ayant vécu, ou survécu, à des massacres, patients sans défenses dans des hôpitaux, croyants dans des églises... Dans ce pays aux ressources minières très riches, les tribus Hutu et Tutsi, les militaires congolais et les bandes d’hommes s’affrontent continuellement depuis 20 ans et les premières victimes de cet état de non droit, dans lequel le crime n’est pas puni, en sont les femmes.

Car l’une des choses les plus terrifiantes dans ces viols est souvent l’absence de soulagement sexuel recherché. Le viol s’est imposé depuis deux décennies comme arme de guerre permettant de détruire la famille et la communauté à travers la désacralisation de la femme. Un phénomène qui touche indifféremment les femmes qu’elles soient pubères ou non. Ainsi il n’est malheureusement pas rare pour le docteur Mukwege de devoir opérer des fillettes de moins de 8 ans dont le viol a aussi pu servir dans le cadre de magie noire. Les scènes d’opérations sont quelquefois difficiles à regarder et les médecins paraissent même parfois désemparés devant certains cas rencontrés. Quand on sait que la plus jeune patiente du médecin est un bébé de 2 mois, on peut légitimement se demander où la barbarie peut s’arrêter.

Et si cette quête de justice du Docteur Mukwege semble sans fin, elle semble commencer à porter ses fruits. Les femmes soignées se prennent en charge et s’investissent dans l’hôpital, qu’elles ont nommé « La cité de la joie ». La parole des femmes commence à se libérer et elles n’hésitent plus à parler de leur condition devant les hommes dans un pays ou elles n’ont pas leur mot à dire devant des assemblées masculines. Les hommes eux-mêmes, mis devant leur lâcheté, sont poussés à prendre le parti des femmes (et l’un des discours fait devant une assemblée en partie masculine rappelle étrangement deux des pièces d’Aristophane, La Lysistrata et L’assemblée des femmes). Après tout, dixit le Docteur Mukwege, cette situation perdure depuis 20 ans et ils n’ont jamais essayé vraiment de défendre leurs mères, sœurs, femmes, filles.

De plus quelques timides procès commencent à voir le jour. En effet, la pacification de certaines zones, qui a poussé les combattants à se rendre, s’est fait sous la condition de ne pas entraîner de poursuite en justice. Il est d’ailleurs édifiant d’entendre un homme politique dire qu’il faut tourner la page et pardonner pour recommencer sur de nouvelles bases. Mais l’impunité complète ne semble plus être totalement imperméable et les procès pour viol, notamment sur mineures, voient le jour.

C’est aussi incroyable de découvrir ces hommes qui ne semblent pas conscients de la gravité de leurs actes s’agacer contre le jugement et se plaindre d’avoir dû venir au procès pour être mis en prison.

Le documentaire est interdit en République Démocratique du Congo, la présentation de l’armée congolaise étant jugée trop négative. Une interdiction qui trouve un bel écho dans les paroles des différents politiciens congolais interrogés et qui préfèreraient qu’on ne parle plus du sujet de ces femmes violées. Le Docteur Mukwege avait d’ailleurs dû annuler une de ses conférences au parlement américain sous l’effet de menaces à peine voilées d’un haut dirigeant du pays à l’encontre de lui et de sa famille.

Outre un propos dérangeant et d’une grande actualité, les femmes sont violées dans tous les pays du monde, le viol de guerre et l’esclavagisme sexuel se sont malheureusement étendus dans le monde entier, c’est aussi un acte militant que d’aller voir un documentaire que l’on veut occulter. Car c’est souvent la vérité qui dérange et celle montrée par L’homme qui répare les femmes est froide, terrifiante et sans concession. Les horreurs dont parle le film sont durement mises en abîme en opposant drames atroces à des paysages magnifiques et à des femmes (et quelques hommes) courageuses et fières qui se battent pour leurs droits et leur avenir.

L’homme qui répare les femmes est un magnifique documentaire sur un grand homme et un magnifique combat pour l’humanité et contre la barbarie, le mercantilisme et l’indifférence. La photographie très belle tranche durement avec certaines scènes insoutenables et quelques paroles plus que poignantes. Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, j’ai le sentiment très vif que depuis quelques années la condition de la femme régresse dans le monde. Il serait temps qu’en République Démocratique du Congo la femme puisse retrouver sa dignité et qu’on lui offre enfin la justice qu’elle mérite, celle notamment de la fin de l’impunité des violeurs.

Passionnant, poignant, édifiant, épouvantable, les superlatifs pourraient continuer à s’égrainer, mais ce documentaire mérite bien sa place dans les grands documentaires sociétaux du 21ème siècle.

Un très beau film à découvrir pour écouter les paroles de celles que l’on n’entend pas et pour voir le combat quotidien d’un médecin en colère qui rêve de paix et de joie.

Magnifique.

Le documentaire a d’ailleurs été couvert de prix dans des festivals internationaux :
Golden Butterfly A matter of fact au Festival International des Droits de L’Homme - A matter of fact, Prix Spécial des Droits de l’Homme et Prix du Public au Millenium 2015 - Festival International du Film Documentaire, Prix des Droits de la Personne et Prix du Documentaire au festival Vues d’Afrique 2015, Prix Télévision au Avanca Film Festival 2015, Prix du Public au Ciné Droit Libre 2015, Grand Prix du Jury au FIDH Guadeloupe, Mention Spéciale au Festival International du Cinéma Documentaire de Mexico 2015.

SYNOPSIS

Prix Sakharov 2014, le Docteur Mukwege est internationalement connu comme l’homme qui répare ces milliers de femmes violées durant 20 ans de conflits à l’Est de la République Démocratique du Congo, un pays parmi les plus pauvres de la planète, mais au sous-sol extrêmement riche. Sa lutte incessante pour mettre fin à ces atrocités et dénoncer l’impunité dont jouissent les coupables, dérange. Fin 2012, le Docteur est l’objet d’une nouvelle tentative d’assassinat, à laquelle il échappe miraculeusement. Menacé de mort, ce médecin au destin exceptionnel vit dorénavant cloîtré dans son hôpital de Bukavu, sous la protection des Casques bleus des Nations unies. Mais il n’est plus seul à lutter. A ses côtés, ces femmes auxquelles il a rendu leur intégrité physique et leur dignité, devenues grâce à lui de véritables activistes de la paix, assoiffées de justice.

BANDE ANNONCE


FICHE TECHNIQUE

- Durée du film : 1 h 52
- Titre original : L’homme qui répare les femmes : la colère d’Hippocrate
- Date de sortie : 17/02/2016
- Réalisateur : Thierry Michel
- Scénariste : Colette Braeckman, Thierry Michel, Christine Pireaux
- Photographie : Michel Téchy, Thierry Michel
- Montage : Idriss Gabel
- Musique : Michel Duprez
- Producteur : Christine Pireaux, Thierry Michel pour Les Films de la passerelle
- Distributeur : JHR Films

LIENS

- SITE OFFICIEL
- ALLOCINÉ
- IMDB

PORTFOLIO

L'homme qui répare les femmes



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