Utopiales 2013 : Spirou, l’éternel aventurier

Date : 07 / 11 / 2013 à 20h05
Sources :

Source : Unification France


Pour sa première journée, le festival des Utopiales accueillait le dessinateur Yoann (à gauche) et le scénariste Fabien Wehlmann (à droite), les actuels auteurs des aventures de Spirou qui fête cette année ses 75 bougies. Les deux compères étaient conviés à un panel animé par Georges Mérel (au centre, si vous avez bien suivi).

GM : Spirou, personnage créé en 1938 par les Editions Dupuis par rapport à pas mal de choses. Ce n’est pas un personnage qui a été créé par des auteurs mais par une demande de l’éditeur.
Yoann : En 1938, Jean Dupuis à Marcinelle (Belgique) est imprimeur. Il fait des cartes de visite pour des pharmaciens et des médecins et souhaite offrir à la jeunesse de l’époque une revue de bandes dessinées qui véhicule certaines idées positives d’humanisme et un peu chrétiennes.

Fabien Wehlmann : Il avait envie d’éduquer la jeunesse en réaction à des publications plutôt américaines. Il trouvait ça honteux que ça ne soit pas fait sur place. Il est étonnant de constater que ça n’a pas changé aujourd’hui, on est encore en train de courir en vain après les américains. On met des capes (rires)

GM : Votre Spirou, il est donc fait pour éduquer la jeunesse ?

Y : Bien sûr, il est édifiant au sens premier du terme. (rires) Il faut bien préciser qu’à l’époque Jean Dupuis avait déjà la soixantaine bien passée. C’était une nouvelle aventure dans laquelle il voulait se lancer en tant qu’entrepreneur, et il a fait ça très bien. C’était son idée, et ensuite, il est allé chercher des auteurs.

M : Il n’y avait pas l’envie de concurrencer un autre personnage belge, Tintin ?
Y : Tintin n’avais pas encore son magazine. Le journal de Tintin est né dans les années 50. Le personnage de Tintin vivait ses aventures dans le petit Vingtième mais c’est vrai qu’il avait une place importante à l’époque.

W : Je ne pense pas que Jean Dupuis ait cherché à concurrencer Tintin qui régnait en maître. Il l’est d’ailleurs resté longtemps par la suite. La seule compétition entre les magazines Tintin et Spirou était en fait une invention éditoriale destinée à amuser le lecteur. Tintin est aujourd’hui encore plus populaire que Spirou. Par contre, Spirou est un personnage qui a survécu et qui a été repris par d’autres auteurs pendant 75 ans avec de nouveaux albums. Le journal de Spirou existe encore depuis 1938 et c’est, je crois le seul exemple dans la BD Franco-belge.

GM : Et Mickey peut être ?

W : Lui, il est d’origine américaine...

GM : Le personnage est d’abord confié au dessinateur Français Robert Velter (ou Rob-Vel) qui va le dessiner pendant un an ou deux, puis, le journal s’interromps pendant la Guerre. Spirou va ensuite connaître une renaissance après la Guerre quand Jijé le reprend dans ses premières aventures parues en album. Je ne crois pas me souvenir qu’il y ait eu des albums de Spirou par Robert Velter avant ça.
Y : Pas avant-Guerre, non.

W : Les éditions Dupuis les ont d’ailleurs réédité en album il n’y a pas très longtemps et ce n’est vraiment pas évident à lire car ça part dans tous les sens.

Y : Ce qui est drôle, c’est de voir que les aventures de Spirou signées Rob-Vel sont complètement hallucinées. Spirou se retrouve dans des pyramides avec des Pharaons géants, il voyage à travers le monde, il lui arrive des trucs pas possible. Il doit aider un milliardaire à dépenser 5 milliards de francs belges de l’époque par jour...

W : Et quand je pense qu’on nous a dit que notre Spirou mutant sur la Lune du 52 était légèrement excessif... J’ai envie de dire "retournez aux sources, les amis". D’ailleurs, c’est ce que j’ai fait...

GM : Jijé passe ensuite Spirou à un autre dessinateur important, Franquin, qui donnera à Spirou ses lettres de noblesse en enrichissant son univers de personnages secondaires. C’est pour vous une des inspirations principales dans votre reprise ?
Y : Avant Franquin, Spirou vivait plus des péripéties que de véritables aventures. C’était des histoires courtes la plupart du temps qui devaient prendre place au sein même du journal de Spirou. Toutes les semaines Jijé ou Rob-Vel devaient imaginer une suite aux petites histoires qui démarraient. Il faut aussi préciser qu’à l’époque Jijé dessinait aussi plusieurs séries. Il était un peu le dessinateur à tout faire du journal. Pendant la Guerre, la plupart des autres dessinateurs étaient soit en prison, soit invalides. Après la Guerre, Jijé était sur Buck Danny, Tanguy et Laverdure, Jerry Spring, Blondin et Cirage en plus de Spirou... Au bout d’un moment, il n’en pouvait plus et choisit de confier Spirou en 1946 à son élève qui était André Franquin. C’est lui qui va offrir ses premières grandes aventures.

GM : Des récits sur 44 planches. L’aventure durera jusqu’en 1969 où il laissera Spirou à Jean-Claude Fournier qui va lui donner une autre tonalité, puis par Nic Broca puis Tome et Janry qui vont apporter un nouveau souffle et moderniser tout ça.
W : Tome et Janry qui ont énormément compté pour des auteurs comme nous. On a évoqué Franquin car pour des auteurs comme nous, ça représente l’âge d’or. Quand je lisais la revue, j’étais pré ado, c’’était l’époque de Tome et Janry et à l’époque c’était extrêmement novateur. Tous ceux qui ont repris la série ont apposé leurs patte et qu’elle était contemporaine du moment où la reprise était faite. Franquin faisait un Spirou des années 50/60, Fournier un Spirou des années 70... Tome et Janry étaient vraiment dans les années 80, l’époque des Indiana Jones et des choses comme ça, on avait l’impression d’entrer dans une nouvelle ère et c’est probablement pour ça que la série a connu ses plus grands succès commerciaux à ce moment là en mêlant le passif de l’âge d’or de Franquin et cette patte ébouriffante pour les gamins et ados de l’époque. Nous essayons de faire le grand écart entre ceux qui ont connu et aimé la série auparavant et les nouveaux lecteurs. C’est difficile de plaire aux deux. Avec Yoann nous essayons de faire des intrigues avec deux niveaux de lecture. Un qui puisse satisfaire le lecteur adulte qui s’attend à des chose qu’il connaît et a apprécié, et la nouvelle génération de lecteur qui ne sait plus trop qui est le personnage de Spirou en dehors du dessin animé.

GM : Après Tome et Janry qui ont marqué leur époque, on a eu Morvan et Munuera qui ont fait 4 albums, vous arrivez derrière. Comment avez-vous découvert Spirou ?
Y : J’ai découvert Spirou tout petit en lisant Gaston Lagaffe. Le personnage de Spirou apparaissait parfois. Il avait un rôle tout à fait secondaire, un peu énigmatique. Un type en uniforme qui se promène dans une rédaction comme ça et qui vient de temps en temps assister impuissant aux frasques de Gaston. Je m’aperçoit qu’à la fin des albums de Gaston, il y a un récapitulatif de toutes les séries des éditions Dupuis et il y a une petite icône avec la tête du héros (Dr Poche, Natacha...) et on y voyait Spirou. A priori donc ce personnage a des aventures à lui en dehors de Gaston Lagaffe. J’ai commencé à lire Spirou en allant avec mes parents au supermarché le samedi après-midi. Ils me laissaient au rayon BD le temps de faire leurs courses, ils avaient la paix et on avait une bonne heure pour lire les albums. J’ai découvert Spirou "à rebours" avec les albums qui ressemblaient à ceux de Gaston. Le dernier en date, il y avait le Marsupilami dedans, c’était Panade à Champignac et il y avait en plus de ça Gaston dans cet album. L’histoire qui suivait, Bravo les Brothers se déroulait, elle, intégralement dans la rédaction avec les gaffes de Gaston. J’ai donc lu le 19 puis le 18, le 17...

W:Il faudrait faire une étude sociologique sur les les enfants laissés au rayon BD dans les supermarchés. Je crois qu’effectivement il y a toute une éducation qui s’est faite là. Je pourrais rajouter Manara et Martin Veyron dans les grandes découvertes car le rayon adulte était souvent juste à coté. ça a été quelques chocs assez frontaux. J’ai découvert pas mal de Spirou dans ces conditions. Gaston était le biais principal. C’est le grain de folie de l’oeuvre de Franquin en général. J’ai tout découvert en même temps car mes parents avaient tous les albums de Gaston, un grand nombre de Spirou et aussi les Idées Noires. Et c’est cet ensemble qui m’a marqué car j’ai pris conscience qu’un seul et même auteur pouvait avoir des univers très différents, et qui plus est, des univers qui paraissaient diamétralement opposés.

Y : Un peu comme Denis Bajram.

W : Oui, Denis Bajram, ce génie capable de nous faire passer du rire aux larmes en quelques secondes, parfois involontairement,certes. Mais ne nous égarons pas car il est présent dans la salle... Le fait que Franquin soit un dépressif qui s’assumait complètement avec les Idées Noires et qu’il puisse avoir à la fois une vision pleine d’humanisme du monde avec Spirou et Gaston me frappait. L’un des tout premiers souvenirs vraiment lié à l’enfance, c’est l’album Le nid des Marsupilamis qui reste pour moi un choc et qui est encore important de nos jours car il contredit tout ce qu’on raconte sur les grandes règles de dramaturgie où on nous dit qu’il faut un personnage central, un enjeu, des obstacles... On prend Le nid des Marsupilamis et les héros ne sont pas dans l’histoire. Ils sont passifs. Ils sont dans une salle de cinéma où Seccotine leur projette un documentaire animalier sur cet animal qui n’existe pas. C’est l’un des chocs de mon enfance et ça reste un des meilleurs albums de Franquin. Il était capable par cette espèce de magie de créer un univers où il n’y avait pas d’obligation d’efficacité narrative et pourtant, c’était efficace.

GM:Vous êtes maintenant sur Spirou. Vous aviez commencé avec un Hors Série, Les Géants pétrifiés qui avait est sorti dans une collection à part de one-shots où les auteurs sont chargés de faire une histoire de Spirou à leur convenance. Comment avez vous eu l’idée de faire ça ?
W : C’est une longue histoire assez pénible pour tout le monde mais on va la résumer assez rapidement. On m’avait contacté en 2002 avant la reprise par Morvan et Munuera parce que j’avais commencé à travailler dans le journal de Spirou depuis 98, que ça se passait bien et que Tome et Janry avaient annoncé depuis quelques temps vouloir arrêter leur reprise. On m’avait chargé de penser à des dessinateurs capables de prendre la relève. Yoann s’est imposé assez vite pour moi, mais ça n’a pas été si évident en interne chez Dupuis parce que c’était plusieurs éditeurs à la fois et qu’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur qui devait reprendre. Au final, nous avons fini par jeter l’éponge Yoann et moi et laissé la place à Morvan et Munuera qui ont fait quelques albums. On avait cependant abordé à l’époque la possibilité que des auteurs fassent un unique album dans le cadre de cette recherche de successeurs. Beaucoup d’auteurs étaient intéressés pour dessiner des aventures de Spirou mais pas au point d’abandonner tout le reste pour ne plus faire que ça. L’idée était de faire des One Shots sur le modèle des américains comme Frank Miller. Ce qui a souvent donné les meilleures histoires avec des gens qui n’avaient pas d’obligation envers la série qui s’accaparaient le héros le temps d’un album assez marquant. Comme nous avions été gentiment évincés de la reprise mais qu’on avait soumis cette idée de one-shots, nous avons été logiquement les premiers à nous y mettre avec Les Géants pétrifiés. On a réfléchi là dessus en se disant que ce serait le seul qu’on ferait et qu’on pourrait se lâcher et aller dans la direction qu’on voulait, y compris graphiquement.

Y : Le gros avantage de ce one-shot c’est qu’il nous a permis très vite de discuter et de tracer les rails de ce qui allait devenir notre reprise (même si à ce moment là, on n’imaginait pas reprendre la série classique). Quitte à faire un seul album, autant faire celui qu’on aurait voulu lire étant gamin, faire un album qui montre la vision que nous avons de Spirou. Qu’est ce que Spirou à l’heure actuelle. C’est un Spirou contemporain qui a des préoccupations très actuelles. c’est quelque chose sur laquelle avec Fabien nous avons énormément discuté et qui nous ont servi par la suite de ligne directrice pour la reprise. Il se trouve que cet album a très bien marché même s’il a un dessin très différent de la série classique. Il n’avait pas son costume de groom car on se disait "un type qui se promène en costume de groom dans la rue, c’est ridicule, ou alors il va à un bal masqué ou un cosplay..." ça nous semblait un peu déplacé. Les critiques ont été très bonnes et certains y voyaient même un esprit plus fidèle à la série d’origine que les albums de Morvan et Munuera. Quand leur contrat n’a pas été reconduit, l’éditeur s’est redirigé vers Fabien pour lui proposer de reprendre la série classique. Il a dit "D’accord, à condition que ce soit avec Yoann." (Je l’avais fait beaucoup boire avant). Le gros du travail était déjà mâché suite aux Géants Pétrifiés. On trouvait tout de même ça dommage de faire disparaître le costume de groom. C’était comme enlever son costume à Batman.

W : ça ne devait pas être ça mais Les Géants Pétrifié à été le moyen de poser un curseur et ensuite et ensuite de se demander comment serait fait la reprise. Si on avait du faire la reprise en 2002, on aurait fait un album comme Les Géants pétrifiés. Mais avec le retour des lecteurs qui disaient "Votre album il est super mais c’est pas vraiment Spirou.", on s’est dit qu’il y avait une certaine attente de la part des aficionados et nostalgiques de la série de ce que devait être Spirou. Nous avons décidé avec Yoann de revenir à un dessin plus proche des origines Franquiniennes (même si Yoann se l’est accaparé) et cette réflexion sur le costume qui est passé par une discussion dont je me souviens très bien où on était devant un poster dessiné par Yoann de Spirou dans la jungle. Le personnage était dans un cadre à la Indiana Jones mais en costume de groom et je me suis dis que c’est l’image de notre enfance, quand on lisait Franquin et qu’on voyait un groom dans la jungle avec le Marsupilami. C’est complètement absurde mais jamais ça n’a fait se poser la moindre question à un enfant qui se dit "C’est le héros ! Il est en costume !" On a pris le problème dans l’autre sens et on c’est dit que graphiquement c’est trop incroyable, il fallait garder ça. Maintenant, comment on le justifie ? Le lecteur contemporain pourrait vouloir un début de légitimation. On a eu l’idée d’un jeu un peu post-moderne avec le lecteur où on sait que Spirou est le héros de la Rédaction du Magazine Spirou. C’est une piste que Franquin avait commencé à faire quand on voyait un petit lecteur qui, dans la série, s’adressait à Spirou en lui disant qu’il avait lu lu tous ses albums. C’est un gag qui me plaisait bien étant gamin. On a commencé à utiliser ça dès le premier album de la reprise, Alerte aux Zorkons où on voit Spirou et Fantasio qui reviennent d’un festival BD avec le Spirou géant gonflable (qui existe vraiment, on l’a d’ailleurs ressorti il y a quelques semaines quand le Spirou Tour s’est arrêté à Nantes.) Un Spirou gigantesque de dix mètres de haut complètement ridicule mais assez réjouissant. On le faisait apparaître dès la couverture du magazine attaché à une camionnette qui roulait à 20 à l’heure sur une route de campagne avec écrit "En route vers de molles aventures", ce qui faisait un contrepoint avec les gens qui disaient "Allez, essayez de nous prouver quelques chose." A partir de ça, Spirou est quelqu’un qui travaille à la rédaction du journal qui porte son nom. Il en est le porte-étendard et selon l’aventure on l’oblige pour des raisons contractuelles à reporter son vieux costume de groom comme LE symbole du fait que c’est un Héros de bande dessinées. On s’amusait à montrer les difficultés qu’il avait à porter ce costume dont il a un peu ras-le-calot alors qu’il aimerait bien s’habiller normalement, mais à chaque album il est obligé de reporter son costume.

GM : Quelles ont été les principales difficulté pour l’album Les Géants Pétrifiés ?

Y : La première difficulté a été de trouver "mon" Spirou. Dans ma culture, c’était le graphisme de Franquin qui primait. Quand j’étais gamin, je voulait reprendre Spirou, Lagaffe et le Marsupilami. J’écrivais des scénarios et je dessinais "à la manière de". Heureusement j’ai rencontré assez tôt des professionnels. J’avais 12/13 ans, je rencontrais Mézières qui m’a dit "écoute, tu dessines bien mais arrête de copier Franquin. Tu vas faire du mauvais Batem et du sous Seron." C’est une réflexion qui m’a bien calmé et je suis retourné à mes carnets pour créer mes propres personnages. J’ai ensuite eu un cursus qui m’a de plus en plus éloigné de l’univers de Franquin. J’ai fait une école d’arts, je faisais de la peinture, de la vidéo, de la photo... J’ai rencontré Eric Omond qui sera mon scénariste sur Toto l’Ornithorynque. Eric a été pour moi une sorte de gourou qui m’a ouvert les portes vers une autre BD que franco-belge : La BD américaine, la BD argentine, la BD Italienne etc... Ma culture s’est considérablement étoffé et je me suis éloigné de l’univers de Franquin. Un jour, ce garnement de Fabien Wehlmann m’appelle pour travailler sur Spirou. J’avais une impression bizarre de revenir à l’époque de mes 13 ans, de reprendre mes dessins avec le manque de personnalité d’alors, de dessiner Spirou...

W : C’était un peu comme offrir un verre d’alcool à un ancien alcoolique.

Y : Voilà, j’ai rechuté, mais je bois mieux. Pour trouver “mon” Spirou, il m’a fallu discuter avec Fabien pour redéfinir ce qui fait le caractère des personnages : leur psychologie, leur vie, leur profondeur. Tout ce qui n’est pas raconté dans les bandes dessinées. Si Spirou vit dans un appartement et Fantasio dans un autre, comment c’est chez lui. Qu’est ce qu’il collectionne ? Qu’est ce qu’il écoute chez lui ? Qu’est ce qu’il a accroché à ses murs ? Qu’est ce qui différencie Spirou de Fantasio ? (Ces derniers temps, on aurait dit des jumeaux)

W : Dans la reprise d’une série qui est passée par plusieurs auteurs, les caractères des personnages sont devenus assez fluctuants selon les auteurs. On doit faire une synthèse des différents auteurs. Cette synthèse est d’ailleurs assez subjective puisqu’il y a des moments où Yoann et moi ne sommes pas d’accord sur l’attitude qu’aura le héros en fonction de telle ou telle réaction. Ma connaissance de la série est d’ailleurs plus émotive qu’exégète car je ne la connais pas avec la même perfection que Yoann. Quand je ne suis pas sûr d’une chose je m’en réfère à lui. Yoann peut me servir de garde-fou si j’ai une bonne idée mais qu’elle ne colle finalement pas à la série. On discute énormément au point qu’on peut le créditer comme co-scénariste. Pour le 52, on imaginait à quoi pouvait ressembler la mutation que subit Spirou et Yoann avait commencé à faire des croquis d’un loup-garou avec un calot de groom qui m’avait fait exploser de rire. On s’est dit “on va tenter ça”. Mais il se trouve que l’idée a refroidi un peu les plus vieux lecteurs. On a même vu pointer des T-shirts “On ne fait pas muter Spirou”. On essaie de créer notre propre bible littéraire et graphique. Le retour des lecteurs est assez important sur la suite de notre travail. On a commencé de façon assez sage sur le 51 et on a eu de bonnes réactions. On s’est lâché un peu plus dans le 52 mais on s’est rendu compte qu’on franchissait une ligne rouge qu’il valait mieux ne pas dépasser. Pour le 53, on a essayé de revenir à une trame plus classique mais peut être un peu éloigné de ce que les enfants pourraient aimer spontanément.

Y : Une des missions confiées par l’éditeur, c’est de faire une série susceptible de plaire à la fois aux jeunes et aux anciens lecteurs. Ce qui est pratiquement impossible. Si on s’adresse aux lecteurs historiques, les enfants qui n’ont pas lu les 50 autres albums vont être un peu largué. Si on s’adresse aux gamins, les lecteurs historiques vont se dire “c’est n’importe quoi”. Le Spirou Mutant sur la Lune, les enfants qu’on a rencontré on adoré, alors que les anciens lecteurs ont été assez refroidis. On va tenter d’alterner avec des histoires plus orientées vers les anciens lecteurs et d’autres plus pour les jeunes et peut être qu’avec un peu de bol, on réussira à pondre une histoire qui plaît aux deux. C’est d’ailleurs ce qu’on avait réussi avec Alerte aux Zorkons qui avait plus à un large public.

W : On espère que le 54 qui est déjà écrit aura ce succès avec une histoire entre Indiana Jones et Les Rois du désert. Une quête archéologique sur fond de pays en guerre avec un degré de lecture pour les adultes à même de comprendre l’arrière plan politique et une aventure avec des labyrinthes secrets, des trésors, des pièges. Ce sera une manière d’essayer de concilier les deux publics. Il y a cependant la crainte qu’à force d’essayer de plaire à tous le monde,on finisse par ne plaire à personne. C’est pour ça, qu’on essaie aussi de s’amuser le plus possible. Quand on réfléchit à un nouvel album, il faut qu’on se marre avec Yoann. Il y a aussi les influences éditoriales avec le retour des droits d’un certain personnage.

GM : Donc il faudrait s’attendre à ce que le Marsupilami fasse son retour dans Spirou dans le 55 ?

Y : Oui, on avait finalisé le scénario du 54 quand on a appris que le groupe qui détient Dupuis avait racheté Marsu Prod qui détenait les droits du Marsupilami. C’est d’ailleurs parce qu’il s’agissait d’un éditeur concurrent que le Marsupilami n’avait pas fait d’apparition depuis 40 ans. Ça nous fait plaisir à nous, auteurs, qui n’avions jamais envisagé le retour du Marsupilami. Ça va faire plaisir au lecteur historique qui va pouvoir voir revenir ce personnage. En revanche le jeune lecteur qui n’a pas lu les premiers Spirou et que ne connais le Marsu qu’avec le dessin animé, ça risque de le surprendre un peu.

W : Ce 55 risque d’être un défi au moins aussi flippant que la reprise de la série. On sait qu’on va être attendus au tournant. Mais c’est un coup d’adrénaline qui est assez motivant, en fait. Déjà comment expliquer son absence de 40 ans ? On ne peut pas dire qu’il était parti faire une course et qu’il s’est perdu en chemin en le faisant revenir façon en disant “HOUBA !”(traduction : "Ça y est ! J’ai du faire plusieurs magasins mais j’ai enfin trouvé le lait de coco !") . On ne peut pas dire qu’il est revenu après des négociations commerciales et des batailles d’avocat avec Marsu Prod, ça ferait redondant avec Dans les Griffes de la Vipère où un milliardaire rachète la marque Spirou et son personnage avec ses accessoires (à savoir, Spip). C’était du sixième degré et on ne peut pas le refaire à chaque fois. On est donc sur l’écriture de ce retour, sachant que dans la foulée, l’éditeur a également récupéré Gaston. On n’est pas sensé utiliser tout le temps ces personnages mais on ne va pas se priver pour évoquer Gaston et le Marsupilami ne serait ce que parce que les aventures qui m’ont marqué étaient entre la rédaction, Gaston et la foire aux Gangster où Gaston allait traîner ses espadrilles derrière une aventure de Spirou. Dès le 54, je me suis d’ailleurs fait un petit plaisir en changeant un flashback de Fantasio pour faire apparaître Gaston en guest. C’est surtout une manière de rappeler au lecteur qu’il y a un lien affectif dans tout ça. Quand j’ai lu Gaston enfant, mon rêve professionnel c’était de travailler à la rédaction avec Gaston.

GM : Des envies de goûter la morue aux fraises ?

W : Surtout des envies d’explosions. Gaston c’est le type qui ne glande rien au bureau et fait exploser son lieu de travail. Ça m’amusait assez. Si on peut faire référence à ça et remettre l’inventivité de Franquin dans la série Spirou, ça serait génial.

GM : Vous avez hâte de reprendre le Marsupilami ?
Y : Je m’entraîne depuis que j’ai 12 ans. Je suis impatient vous n’imaginez pas.

W : Moi, par contre, ce qui me fait assez peur c’est la place que va prendre le personnage. On a Spirou. On a Fantasio. On a Spip qui, lui aussi, est assez présent. On a aussi les personnages secondaires comme les habitants de Champignac et là, on va avoir en plus le Marsupilami avec une queue de 8 mètres qui prend graphiquement beaucoup de place.

Y : On ne peut pas lui faire avoir un accident avec une tondeuse à gazon dès les premières pages.

W : Ok. Ça c’est fait. Mais si je propose à Yoann un scénario où on se retrouve avec 5 personnages à dessiner par case à raison d’une douzaine de cases par page, je pense qu’il va m’en vouloir. Mais laissez faire notre génie. C’est ce qu’on a dit au téléphone aux gens de chez Dupuis (qui depuis ne nous rappellent plus).

Y:Et là on se dit. “Que ferait Denis Bajram dans ce cas là ?” Il trouverait tout de suite la solution.

W : C’est un peu notre maître étalon.

GM : Comment choisissez vous les personnages en fonction des ressorts scénaristiques ?
W : C’est justement en fonction des ressorts scénaristique que nous choisissons d’utiliser les personnages. À l’exception toutefois de Zorglub que nous avions envie de remettre un peu en avant en lui redonnant un statut d’antagoniste. On avait l’impression que le pauvre Zorglub s’en était pris plein la tête dans les derniers albums où il apparaissait. On avait envie de remettre Zorglub alors on est parti vers la science-fiction. Ensuite, on imagine une situation et on se demande si tel ou tel personnage aurait sa place dans l’histoire. On aurait aimé faire apparaître Seccotine plus tôt parce que c’est un personnage important que les lecteurs nous demandait mais on trouvait que ce n’était pas le moment de le faire. Le 53 où on évoquait le milieu du journalisme nous a paru le moment idéal pour la faire apparaître. Pour le 54, on va aussi se permettre d’utiliser de manière assez légère Vito la Déveine le personnage créé par Tome et Janry. C’est d’ailleurs une particularité de nos albums. On tease un peu le lecteur sur l’album suivant à la dernière page et à la fin du 53, on laisse entendre que Seccotine a obtenu de l’aide de Vito La Déveine et qu’il bien le lui faire payer assez cher.

Y : Le truc formidable avec la série Spirou : c’est comme un gigantesque coffre à jouet et nous on est des gamins à qui on a dit "Allez-y, amusez vous." Ce serait dommage de se priver du plaisir d’utiliser certains personnages. Mais pour paraphraser Fabien, il faut aussi qu’il y ait une utilité derrière dans le scénario.

W : Il faut aussi laisser de la place pour y rajouter nos propres créations comme Poppy Bronco qui est un des meilleurs méchants qu’on ait créé avec Yoann. Il a vécu des aventures hallucinantes un peu partout dans le monde. Il n’existait pas avant la série mais dans le tome 52, on s’est permis un petit délire à chaque fois qu’il fait une citation toujours assez virile avec une astérisque avec "lisez ces aventures" et on a inventé avec Yoann des titres d’aventures complètement idiots qui nous faisait rire à chaque fois parce qu’on se demandait ce que Poppy Bronco avait pu faire dans telle histoire. Et bien entendu on s’est permis, alors qu’il est plus ou moins mort à la fin du 52, de le faire revenir dans le 54 car ça fait partie des codes de narration idiots de ce genre de BD où un méchant qui meurt ne le reste jamais très longtemps car on peut le ressortir du coffre à jouet.

Y : C’est un ressort comique. Il va revenir avec une autre disposition d’esprit et il va avoir une autre attitude, et on va le faire mourir d’une façon différente encore. C’est un peu comme Kenny dans South Park.

W : En plus viril. C’est un mélange entre Chuck Norris et Kenny.

GM : Et puisqu’on parlait du coffre à jouet pour les personnages. Est ce qu’il y en a un qui est votre préféré ?
Y : Je les aime tous, c’est ça qui est terrible. J’ai tout de même un petit truc pour Zorglub parce que je m’en sent très proche. Son côté dictateur refoulé et gaffeur assumé. Je rêve d’être aussi classe que lui.

GM : Tu dessinerais Zorglub avec un perfecto ?
Y : Un jour peut être. D’ailleurs ça ressemble assez à un perfecto, ce qu’il a sur les épaules. J’adore aussi Champignac. Quand je le dessine, j’ai l’impression de faire Jean Rochefort et j’entends sa voix quand il parle. Le Marsupilami, je me réserve le plaisir de le faire pour le prochain album.

W : Faut dire, tu vas devoir le dessiner un bon millier de fois.

Y : Les personnages secondaires ont plus de contraste que Spirou lui-même. J’adore dessiner Spirou, pas de soucis, mais ceux-ci ont un petit truc en plus. Ils sont moins parfaits. C’est pour ça que je les aime bien.

W : C’est vrai que moi aussi j’aime beaucoup Zorglub. J’ai été marqué à vie par la toute première apparition de Zorglub dans la série. Il fait une apparition fantastique en haut de sa Zorglumobile et il fait "Oui, c’est moi !" Et là il oublie de prendre l’échelle pour descendre et s’écrase cinq mètres plus bas comme une merde. Ce passage est tellement génial dans le comique slapstick de Franquin avec cette chute où après il se redresse plein d’aplomb en disant "Non non, il ne m’est rien arrivé, c’est bon". C’est un peu le Docteur No de James Bond qui serait gaffeur. Du slapstick dans du James Bond, c’est tout le génie qu’avait Franquin avec l’aide de Greg qui l’avait aidé à créer le personnage. Il y a aussi des personnages qu’on n’a pas encore utilisé. Je pense à Zantafio que je voudrais utiliser mais je ne sais pas encore comment, d’autant que de tous les adversaires de Spirou, c’est le seul à être vraiment méchant. Il y a aussi John Helena qui est un personnage qui assez ambigu qui a été utilisé par Franquin puis Tome et Janry. J’adore son look et son côté ancien méchant qui devient un peu gentil. Il y a toute une panoplie mais j’aimerais aussi en créer et qu’ils puissent durer.

Y : Après Poppy Bronco, je crois qu’on va avoir du mal à atteindre le même niveau. Il y a un personnage qu’on a créé, qu’on aime bien et qu’on pense réutiliser, c’est Martin le petit archéologue très sérieux des Géants Pétrifiés qui explique à tout le monde que l’archéologie c’est beaucoup de travail en bibliothèque, lire des livres et faire des recherches en utilisant un ordinateur et qu’il ne va jamais, jamais, jamais sur le terrain dans des pays exotiques.

W : On sent qu’il est dépressif au dernier degré à compter des tessons de poterie...

Y : Mais on sent qu’il rêve de découvrir la civilisation de Mu et l’Atlantide.

W : On sent que c’est un rôliste qui a du jouer à l’Appel de Cthulhu assez régulièrement, qui fait de l’archéologie à cause de ça mais qui est constamment déçu de ne trouver qu’un demi métacarpe de dinosaure une fois tous les dix ans et qui, grâce à Spirou se retrouve propulsé dans l’Aventure puissance 10. Il essaie de faire partie de l’aventure dans le tome 54, mais ça va être un peu compliqué pour lui. Mais c’est compliqué de mettre en avant de nouveaux personnages car les aficionados veulent plutôt voir les anciens et on essaie alors de ménager la chèvre et le choux.

GM : Yoann, par rapport à ce que tu dessinais avant, est ce que tu as du faire évoluer ton dessin ?
Y : Ça m’a forcé à être moins brouillon et plus exigeant envers moi-même. À être moins fainéant parce qu’il y a un sacré niveau avec Franquin et Tome et Janry. Mon style est plus pictural. Je fais de la peinture et Toto l’Ornithorynque est une BD pour les enfants que je fais à l’acrylique et à la peinture. C’est plus proche de l’illustration, plus intuitif, plus lâché. En travaillant avec Omond et Trondheim j’ai adopté un style plus "nouvelle BD" avec ce que ça englobais graphiquement comme connotation comme les auteurs qui semblent dessiner de la main gauche et sans faire trop de crayonnés.

W : J’adore ta définition de la "nouvelle BD". De la main gauche et sans préparation. (rires) Je suis donc moi-même un nouvel auteur.

Y : Je n’arrive toujours pas à croire ce malentendu comme quoi on a cru que je serais capable de reprendre Spirou. Moi aussi j’y ai cru. Pour le coup, je dois soigner mon trait et fouiller un peu plus mes crayonnés, tracer mes perspectives, me documenter sur les bagnoles et l’architecture. C’est un apprentissage classique beaucoup plus que ce à quoi j’avais été habitué auparavant.

W : Il faut aussi citer deux autres partenaires qui collaborent : Fred Blanchard, qui d’ailleurs est Nantais qui invente des décors et des designs et qu’il nous soumet parfois en amont, ce qui peut avoir un impact sur le scénario. Et Hubert qui s’occupe des couleurs. Ça fait une sorte de Dream team.

Y : Le travail d’Hubert ne fait pas l’unanimité autour de nous mais il a l’avantage d’être aussi un auteur et un artiste. C’est aussi un ami. On était aux beaux arts ensemble. C’était un véritable artiste qui avait des points de vue intéressants sur le graphisme. Je n’est pas juste un colorieur. Ce n’est pas quelqu’un à qui on dit "le ciel est bleu, l’herbe est verte". Il va apporter une autre dimension aux couleurs en amenant quelque chose d’un peu subliminal.

W : Ça fait partie des curseurs qu’on doit placer. On savait que Hubert ne ferait pas des couleurs comme celles de l’Âge d’Or que faisait Franquin, ce qui était un peu attendu par les lecteurs. C’est un problème propre à toutes les reprises. Je pense à Valérie Mangin (présente dans cette salle) sur Alix Senator qui est sur une autre optique complètement différente de ce que faisait Jacques Martin mais en respectant le rapport avec ce qui c’était fait avant. C’est intéressant de ce dire "Qu’est ce qu’on garde ? Qu’est ce qu’on ne garde pas ?" Vers quelle direction aller ? Et si’il fallait citer un exemple de reprise réussie, Alix Senator en est une.

Y : La problématique de Spirou est là. C’est un personnage qui a 75 ans, qui a toujours été contemporain de ses lecteurs. On nous l’a confié en nous disant "Continuez à le faire vivre !". Le faire vivre, c’est aussi le faire évoluer graphiquement dans son aspect.

GM : Et Spirou est toujours très vivant. Quel sera le titre du prochain album ?
W : On n’a pas encore de titre. En général on le trouve à la fin mais il arrive qu’il tombe très vite. Il n’y a que Dans les griffes de la Vipère ou le titre a été trouvé avant même d’écrire l’histoire. C’était MON titre et l’histoire a été écrite autour de ça. J’ai tout de même eu des réactions de gens qui disaient "Mais c’est impossible, Monsieur" et il fallait que j’explique à chaque fois. On a un ou deux titres de travail et je le redis : ça va se dérouler dans un pays en guerre avec une quête archéologique initiée par Vito La Déveine qui oblige nos héros à y aller. Ce qui m’a amusé, c’est que le seul moyen qu’a Spirou pour aller dans ce pays où il n’y aucune autorisation d’entrer, c’est d’être là comme soutien au moral des troupes Franco-belges. Il arrive en costume de groom exprès pour ça et les militaires sont tous super contents de le voir alors que lui, il est plutôt anti-militariste, ce qui le met mal à l’aise. Bien entendu, sa valise explose au bout de cinq cases et il se retrouve en costume de Groom dans Sniper Alley sur fond vert de gazon et tous les snipers en train de le regarder en disant "Whoa ! Un Groom sur un fond vert !" Cette scène nous a fait mourir de rire et devrait je pense refléter l’état d’esprit de cet album qui, honnêtement, est un de nos meilleurs. Et encore plus quand il sera dessiné.

Y : la sortie est prévue pour juin ou septembre 2014. Ça dépendra si j’arrive à rattraper l’énoooorme retard que j’ai sur cet album.


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