Mourir peut attendre : La critique 100% Spoilers

Date : 06 / 10 / 2021 à 13h30
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SPOILERS. LECTURE A EVITER SI VOUS N’AVEZ PAS VU LE FILM.

Il y a plein de bonnes choses dans Mourir peut attendre. Daniel Craig y est au sommet de sa forme. Léa Seydoux, de retour, y livre une prestation plus intéressante que dans le film précédent. L’équipe des services anglais (Fiennes, Harris, Kinnear) manifeste son talent habituel, voire même davantage lors du dénouement en ce qui concerne Ben Whishaw. Les combats mano a mano sont vifs, dynamiques, impactants, en adéquation avec le Bond de Craig. Le sens du style, présent comme il se doit, vient toujours différencier 007 du tout-venant hollywoodien. L’humour flegmatique british est même mieux dosé dans cette aventure.

Tel James Bond sur son voilier au début, le film parcourt ses deux premiers tiers avec le plaisant bercement d’un bateau sur une mer calme. Mourir peut attendre n’est jamais aussi bon que quand il cultive les fondamentaux les plus conservateurs de Bond. Hélas, il se perd quelque peu quand il essaye d’être original.

Cela commençait plutôt bien. Quand l’espion de sa majesté vit son histoire d’amour qui devait mal finir de toutes façons avec le personnage de Madeleine Swann, après un intrigant prologue sur l’enfance de cette dernière, le film démarre en trombe avec sa scène d’action la plus flamboyante mettant en vedette l’historique Aston Martin DB5 dans la ville non moins historique de Matera en Italie. Les enjeux étant superbement posés se déroule alors la scène la plus tendue du film. James Bond et Madeleine sont prisonniers dans l’habitacle de la voiture grêlée des balles des tueurs au-dehors, surtout par Primo qui vient tirer à bout portant sur la vitre. Madeleine s’affole. Impact après impact, le verre super securit est sur le point de céder. Bond / Craig, impavide, attend que Madeleine, devenue suspecte, craque, avant de se soucier du flingage extérieur, d’activer les gadgets de la DB5 et de nous offrir quelques images immédiatement iconiques de la voiture en action. Le thriller bondien n’est jamais aussi efficace qu’à ce moment-là.

Le souci, c’est que nous n’en sommes qu’au premier quart d’heure et que le film ne retrouvera plus jamais cette intensité. Un peu dur pour un genre, le thriller d’espionnage, où une forte intensité est de mise. L’alchimie entre Craig et Seydoux, malgré le talent des interprètes, n’est jamais évidente. La mort de Leiter n’est pas aussi émouvante qu’elle ne devrait, eu égard au statut du personnage dans la saga. Serait-ce dû à la raison de son triste sort, téléphonée (comme la fin du film d’ailleurs) ? La présence d’une armada de voitures et de motos pourchassant Bond en Norvège n’est pas expliquée ou explicable, alors que deux véhicules étaient censés aller capturer Madeleine au début de la même scène, sans que les méchants n’anticipent la présence de Bond. Le début de la scène donne lieu à un superbe moment hitchcockien sur le Pont Atlantique en Norvège avec la disparition des deux Range Rover, sous l’œil inquiet de Bond et Madeline… et leur réapparition annonçant les gros ennuis. Pourquoi une armada est-elle donc là pour ce qui aurait dû être un kidnapping sans souci ? Quand vous connaissez l’impact financier du placement de produit de Ranger Rover sur le budget du film, vous comprenez (mais n’excusez pas) pourquoi les auteurs se sont allégrement assis sur la cohérence narrative pour insérer cette scène. Laquelle connait heureusement une conclusion semi-fantastique dans une forêt embrumée où les adversaires peinent à se voir. Bond ne se sert que dans son intelligence pour en venir à bout, l’un deux connaissant une fin proche de celle de Locque dans Rien que pour vos yeux (Avec Craig cela surprend un peu moins que venant de la part de Roger Moore).

Le Safin de Rami Malek, acteur superbe au demeurant (Bohemian Rhapsody en apporte la preuve éclatante), est desservi par un scénario leste. Sa motivation vengeresse vis-à-vis de M. White et de sa famille est bien exposée au début, sa motivation de meurtrier de masse dans le dernier tiers de l’histoire, est inexistante, ce qui en fait un méchant de série sous-développé. Même dans des films plus « comic book » comme L’espion qui m’aimait ou Moonraker, l’objectif des méchants est clairement exposé. L’un veut créer une société sous l’eau car il juge celle de la surface corrompue, l’autre à des idées toutes personnelles sur la pureté raciale. Alors qu’il doit accueillir les acheteurs de sa technologie, le retour même de Safin dans la base, sans sbires à ses côtés, pour éliminer Bond en plein sabotage n’est pas vraisemblable. Il est le plus gros loupé du film. Un gâchis. On pourrait presque dire la même chose de Blofeld, bien mieux traité que dans 007 Spectre, mais dont le destin peu généreux, sous forme d’une scène tout de même habile, insulte quelque peu l’importance du personnage dans la saga. Curieusement, l’homme de main, Primo, rugueux, impitoyable, brutal, s’en sort finalement bien mieux. Et il a l’œil du malin.

Le film ne rate pas en revanche sa nouvelle 007, Nomi, interprétée par Lashana Lynch. Comme Camille dans Quantum of Solace, elle existe en miroir de Bond, tant pour le rendre dinosaure au début qu’indispensable à la fin. Comme beaucoup d’éléments du film, l’intérêt et le développement du personnage s’étioleront dans le dernier tiers. La chica Paloma, fraîchement émoulue de la CIA, n’aura pas ce souci puisqu’elle ne traverse qu’un quart d’heure de film. Trois semaines d’entrainement et la miss fera du kung fu en talons aiguilles sur un air de salsa. La scène est drôle, à l’instar du personnage, naïf, direct, charmant, rappelant davantage l’ère d’avant Craig. Pour sûr, on n’aurait pas vu ça dans Casino Royale. La séquence cubaine, première étape dans la nouvelle enquête de Bond sur le Spectre, est globalement réussie. Tant qu’à créer une ambiance étrange autour d’une réunion du SPECTRE, prendre le temps de poser davantage cette ambiance aurait pu se révéler heureux. Quant au montage de la scène d’action qui s’ensuit, il aurait mérité d’être un peu moins brouillon. L’opposition qui canarde est quasi invisible et Bond traverse un champ de tir avec un brin trop de désinvolture au vu du danger autour de lui. Mais la séquence est un succès général de l’équipe technique, décorateurs, costumiers, cascadeurs ; Craig se fait plaisir (et nous avec) et à l’image de Paloma, l’ensemble est d’une belle fraîcheur.

Le film réussit son aspect visuel, ses références bondiennes et ses ambiances. Il faut souligner le travail triomphal de Linus Sandgren, le directeur de la photographie, en grande partie responsable du grand plaisir rétinien du spectateur. Les étendues enneigées de Norvège évoquent le désert émotionnel de la petite Madeleine coincée entre son père tueur et sa mère alcoolique. La chaleur de l’Italie du sud et le ton crépusculaire de certains passages rappellent que Bond et Madeleine vont vivre leurs derniers moments de bonheur. Le générique aux couleurs vives est un rappel constant de celui d’Au service secret de sa Majesté, avec ses motifs convoquant l’effondrement de la déesse Britannia, gardienne de la cité, et le temps qui passe à travers un sablier, en parallèle avec les rappels musicaux du thème de John Barry pour le même film, en plus de la reprise paresseuse de la superbe chanson interprétée par Louis Armstrong à la fin. Le générique convoque même les points de couleurs de Dr. No… et annonce finalement la conclusion du métrage. La photographie des parties caribéennes met en valeur tant la couleur que la décrépitude des architectures locales. Celle presque monochrome dans la base de Safin rend plus menaçante l’architecture brutaliste et bétonnée des bunkers géants de le deuxième guerre mondiale. Autres clins d’œil à Dr. No, une grille au plafond est le décalque de celle de la salle à la tarentule dans la base de Crab Key, les combinaisons de protections d’un laboratoire londonien sont celles visibles à la fin du célèbre premier film. Le film convoque aussi les cigares Delectados de Meurs un autre jour ou le canot de sauvetage jaune d’Opération Tonnerre et d’On ne vit que deux fois. Ce dernier film était très éloigné des romans. Le On ne vit que deux fois de Fleming est fortement convoqué dans le film pour décrire le lieu de vie de Safin ainsi que pour une réplique clé (« Die, Blofeld, die ! ») et l’éloge funèbre de Bond, citation de Jack London : "Je ne perdrai pas mon temps à essayer de prolonger mes jours. Je ferai bon usage de ceux qui me sont accordés". Le fan service, ici inoffensif, tourne à plein régime.

Mourir peut attendre est un film prétentieux. La prétention, c’est la haute idée que l’on se fait de ses propres capacités. La nouvelle aventure de James Bond nous a fait, à travers le marketing et le début du film, des promesses qu’elle a du mal à tenir. On s’intéresse donc à d’autres aspects plus personnels, et pour cause : James Bond a une fille. James Bond meurt. Pourquoi pas ? Après tout, Fleming l’a envisagé par deux fois et à l’instar de Conan Doyle avec son Sherlock Holmes, le fait mourir une fois de manière juste assez ambiguë pour pouvoir le faire revenir sous la pression de ses lecteurs. L’accusation de trahison que l’on peut lire ici et là n’a donc pas lieu d’être. La saga cinéma a beau partir de divertissements fun (et sans prétention) elle a tout à fait le droit d’évoluer, quitte à déplaire (il y a eu quelques réactions vraiment épidermiques à la sortie de la projection). Le problème n’est pas tant la proposition des producteurs du film que l’exécution de cette dernière. En version courte, la trajectoire dramaturgique du film est celle-ci :

Swann : James, j’ai une fille. Ce n’est pas la tienne.
Safin : James, cette fille, c’est la tienne.
Bond : Je m’en doutais. Je peux donc me sacrifier pour sauver le monde, il restera quelque chose de moi.

Fermez le ban. Plus soap opera que cette construction, impossible (Déjà que Blofeld, demi-frère du héros dans le film précédent…) Le soap c’est la version bon marché de la tragédie et c’est hélas la colonne vertébrale du dernier tiers du film. Rajoutez à cela des dialogues ad hoc :

Bond à Swann (parlant de sa fille) : C’est la plus belle chose que tu aies jamais faite.
Swann à Bond (avant qu’il n’explose) : Elle a tes yeux.

A lire ces lignes, vous pourriez me croire dur et cynique, mais non : même sans être fleur bleue, la scène fonctionne. Il faut la conviction d’une Léa Seydoux et l’incroyable talent d’un Daniel Craig pour emporter l’adhésion. L’instant est authentique et touchant. Au moment où le 007 du cycle auto-contenu de Craig va disparaître, c’était bien le moins. Dans le dernier regard de l’acteur avant la mort du personnage passe toute l’émotion, et dans un demi-sourire, toute l’intelligence et la tragédie du personnage : « Madeleine, je savais que tu me mentais, je savais que c’était ma fille, tu as bien fait de mentir, tu as bien fait de l’éloigner de moi et de la protéger, ma vie n’était pas faite pour elle, j’aurais été un mauvais père, je pars donc sans regret » Faire passer cela en une seconde et demi : Daniel Craig est un demi-dieu (l’acteur, pas le producteur)… Le seul et unique capable de faire de "OK", plus tôt dans le film, une réplique culte... Je plains officiellement son successeur.

Voilà donc Mourir peut attendre, bancal, ne remplissant pas toutes ses promesses, mais chatoyant et émouvant. Le marketing disparaîtra, le sentiment de prétention sera balayé avec. Restera ce qui est à l’écran : d’un côté, un méchant sous-développé, des erreurs de logique, des situations de soap, de l’autre une aventure assez fraîche sur deux tiers de sa durée, un pré-générique magnifique, une photo subtile et sublime dans tout le métrage, un postulat de départ intéressant, une émotion finale authentique et un Craig impérial de bout en bout. Le cycle est terminé, le film qui le clôt est plaisant et frustrant. Si d’ailleurs la réputation de Casino Royale est sauve, le générique final de celui-ci nous rassure : James Bond est mort. Vive James Bond.

SYNOPSIS

Dans MOURIR PEUT ATTENDRE, Bond a quitté les services secrets et coule des jours heureux en Jamaïque. Mais sa tranquillité est de courte durée car son vieil ami Felix Leiter de la CIA débarque pour solliciter son aide : il s’agit de sauver un scientifique qui vient d’être kidnappé. Mais la mission se révèle bien plus dangereuse que prévu et Bond se retrouve aux trousses d’un mystérieux ennemi détenant de redoutables armes technologiques…

BANDE ANNONCE


FICHE TECHNIQUE

- Durée du film : 2 h 43
- Titre original : No Time To Die
- Date de sortie : 06/10/2021
- Réalisateur : Cary Joji Fukunaga
- Scénariste : Robert Wade, Neal Purvis, Cary Joji Fukunaga, Phoebe Waller-Bridge, Ralph Fiennes d’après l’œuvre de Ian Fleming
- Interprètes : Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux, Lashana Lynch, Ben Whishaw, Naomie Harris, Jeffrey Wright, Christoph Waltz, Ana de Armas
- Photographie : Linus Sandgren
- Montage : Tom Cross, Elliot Graham
- Musique : Hans Zimmer, Johnny Marr
- Costumes : Suttirat Anne Larlarb
- Décors : Mark Tildesley
- Producteur : Barbara Broccoli, Michael G. Wilson pour Metro Goldwyn Mayer (MGM), Eon Productions Ltd, Universal Pictures International
- Distributeur : Universal Pictures International France

LIENS

- SITE OFFICIEL
- ALLOCINÉ
- IMDB

PORTFOLIO

Mourir peut attendre


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