For All Mankind : Review 2.02 The Bleeding Edge

Date : 01 / 03 / 2021 à 14h30
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Unification


For All Mankind 02x01 Every Little Thing était une vitrine de la largeur de spectre record et de tout le savoir-faire de la série, entrainant le public aussi bien dans les coulisses de la politique que sur la scène dramatique du grand opéra cosmique.
En revanche, For All Mankind 02x02 The Bleeding Edge se focalise sur les alcôves de l’intimité, non pour composer un quelconque soap démagogique, mais pour relater d’une autre façon l’ellipse temporelle de dix ans entre les deux saisons. C’est à travers les évolutions personnelles, les traumas et les dépressions des protagonistes que le spectateur pourra mesurer l’épreuve du temps, les évolutions sociétales, le chemin parcouru, et les progrès accomplis durant ces quatorze années (1969-1983) où la chronologie de For All Mankind s’est définitivement écartée de la nôtre. Une manière aussi créative que littéraire de faire dire la grande Histoire par la petite, et même en révéler les inflexions par l’entremise éclairante des paradoxes et des ironies.

Ainsi, Gordo Stevens n’est toujours pas parvenu à surmonter ni solder la culpabilité de ses incontinences comportementales durant son séjour lunaire prolongé en 1974 sur Jamestown. Et tel un ancien combattant tentant désespérément de réécrire l’histoire, la vie pour lui s’est arrêtée depuis, grounded sur le pont (ou le tarmac) d’envol des nouvelles générations d’astronautes, et multipliant toutes les formes de dénigrements autodestructeurs : infidélités compulsives envers sa femme Tracy – dont il était pourtant épris – jusqu’à ce qu’elle divorce et se remarie, exploits astronautiques du "bon vieux temps" déclinés en sketchs de music-hall (« les Yankees étaient des colons et les Ruskovs les Indiens », tordant)...
Lors d’une déchirante confession de beuverie nocturne sur le bord d’une route, Gordo avouera à Ed qu’il a laissé quelque chose sur la Lune, et seule une ombre à la dérive est revenue sur Terre ! Qu’il s’agisse d’un dégoût envers ce que l’astre sélène lui a révélé sur lui-même ou d’une attraction plus métaphysique, il n’en demeure pas moins que Stevens fait partie de cette génération de pionniers sans qui l’aventure extra-terrienne ne se serait pas poursuivie, ayant pour cela grandement donné de leur personne... au point de se perdre parfois eux-mêmes (physiquement ou mentalement) aux confins de la nouvelle frontière... afin qu’elle cesse un jour de l’être.

À l’inverse, Molly Cobb est progressivement devenue le prototype de l’héroïne solitaire badass et asociale, forgée dans le creuset et l’adrénaline du risque le plus insensé. Elle aura sauvé la peau de Wubbo Ockels sous la "tempête de protons" (bien au-delà des 200 REM officiellement enregistrés par le dosimètre), au prix d’une véritable surérogation, compromettant sa propre espérance de vie, mais en se gardant bien d’en informer qui que ce soit (pas même l’intéressé qui, rapatrié sur Terre et soigné, décidera de quitter le programme spatial en rejoignant sa Hollande natale afin de passer les quelques années qui lui restent avec sa famille). Seul un compagnon de route et d’infortune comme Ed Baldwin devinera à demi-mot la réalité de son sacrifice silencieux, sans pour autant chercher à le trahir par des considérations légalistes. En effet, rester "safe" bien à l’abri durant 2h45 pendant qu’un de ses collègues est en train d’agoniser à quelques centaines de mètres de là ne collait guère au profil psychologique de Cobb. Et oui, les véritables sacrifices digne de ce nom sont bien ceux qui ignorent la reconnaissance, les honneurs et la postérité. Ainsi va la grammaire (et la solidarité) des pionniers...
Ses innombrables missions auront métamorphosé Molly en première "créature spatiale" de l’Histoire humaine, le cosmos étant désormais davantage son milieu naturel que la planète bleue, telle une préfiguration des Belters (Ceinturiens) de The Expanse – un prequel symbolique en appelant un autre. Magistralement exprimée à l’écran par le prisme de la subjectivité de Cobb, de ses déchirants adieux à la Lune à travers un hublot de la navette spatiale Columbia (dans un superbe plan relativiste dévoilant la magie des corps célestes) à sa très déstabilisante reprise de contact avec la Terre, son état second – à la frontière de la décorporation – n’est d’ailleurs pas sans évoquer l’expérience indicible de Bobbie Draper dans l’exceptionnel The Expanse 02x11 Here There Be Dragons. Une référence de l’élargissement de perspective que, seule, permet la science-fiction.

Le décès de Shane durant les années 70 – tandis que son père était encalminé dans le cratère Shackleton – aura produit un effet fortuit sur le plus casse-cou des "fous volants". Contre toute attente, Ed s’est rangé des voitures (ou plus exactement des aéronefs et des astronefs), préférant rester au côté de ceux qui lui sont chers (i.e. sa femme Karen et sa fille Kelly) plutôt que continuer par onanisme à consommer sa passion (le pilotage et l’adrénaline). Devenu directeur des opérations de la NASA, il est maintenant un administrateur en col blanc, présidant aux affectations (et au destin) des astronautes, chargé de recruter puis de former la "next generation" (surnommés les "AsAs"). Un travail à la fois de pédagogie et de gestion dont Baldwin s’acquitte avec un naturel confondant – presque à hauteur d’une formalité.
Et pourtant, parce que ce n’est pas une vocation pour lui, son cœur est ailleurs, et il n’oublie pas les vétérans et les anciens camarades des "temps héroïques"... Si bien qu’à contrecourant des protocoles prophylactiques et des diktats jeunistes, Ed offre un nouveau ticket lunaire à Gordo afin qu’il exorcise ses démons (de l’id), redevienne "complet"... et cela en dépit de son laisser-aller – entre l’éthylisme morbide et les 15 à 20 kg gagnées en dix ans (bravo à l’acteur Michael Dorman de s’être autant impliqué au nom de la continuité !). Assurément une incertitude (un danger ?) pour la future mission, mais pas forcément une irresponsabilité pour autant. Même s’il est tentant – devant pareille évidence – d’anathématiser l’amitié, le copinage, le favoritisme, le piston la charité, la pitié (tendre une bouée au vieux "copain de régiment" avant qu’il ne bascule), ce serait perdre de vue la big picture. L’humanisme doit élever et faire progresser, non sanctionner irréversiblement. Or un astronaute de la valeur de Stevens mérite de se reconstruire tant il est précieux pour le programme... qui gagnera aussi à restaurer cette figure inspirante et tutélaire pour mieux passer le flambeau aux successeurs. En outre, la quête de rédemption est un puissant vecteur, susceptible de donner des ailes à ceux qui reçoivent une deuxième chance qu’ils ne croyaient pas mériter. Par ce choix de DRH, Baldwin ne saurait être davantage cohérent avec sa typo, car ce qui est valable au bénéfice de Gordo ne l’est pas moins au bénéfice de Molly, d’où la saisissante symétrie entre les deux. Lorsque le verre à moitié vide laisse entrevoir le copinage, le verre à moitié plein peut témoigner d’une connaissance de la vraie valeur des hommes/femmes.
Mais surtout, la "gentrification" de la NASA n’a pas fait oublier à Baldwin la fonction motrice essentielle de la culture du risque, celle-là même qui accorda la victoire aux Soviétiques en 1969. La magnifique plaidoirie d’Ed au "procès médiatique" de Wernher von Braun dans For All Mankind 01x02 He Built The Saturn V rappelait à quel point l’aventure spatiale est humaine avant d’être technocratique.
En déformant (à peine) le célèbre aphorisme du rocker de heavy metal, Ted Nugent : « si c’est trop risqué, vous êtes trop vieux ». Bravo Ed d’avoir ainsi rappelé les valeurs originelles de la NASA. Qui étaient également celles des premières saisons de la série Enterprise.

Relativement effacée durant la première saison, alors que la tentation token aurait pu la propulser en tête d’affiche, Danielle Poole matérialise elle aussi ce Rubicon astronautique, l’impossibilité de faire marche-arrière pour qui a goûté cette forme de transcendance. Au même titre d’ailleurs que feu son mari, Clayton, décédé il y a peu, et n’ayant jamais ne réussit son retour à la vie civile après les traumas du Viêt Nam... au point d’entraîner dans sa propre déchéance la première astronaute noire de peau de cette timeline. Le récent trépas de son mari aura paradoxalement été libératoire pour elle... et c’est à une vraie séance de retrouvailles d’anciens combattants auquel on assiste dans l’Outpost, la version alter-NASA du Happy Bottom Riding Club de Pancho Barnes.
Point de départ d’une chaîne de causalité qui conduira au centre Johnson quelques jours après où Ed Baldwin annoncera finalement en grande pompe le rempilage de Poole au côté de l’équipage du STS-83 Romeo et sous le commandement du "mythe vivant" qui s’était brulé les ailes, le capitaine Gordo Stevens.
Peut-être est-ce un poil frustrant pour les jeunes émoulus aux dents longues, impatients de se confronter aux réalités du terrain... Mais ces derniers ont encore du temps à revendre, beaucoup à apprendre, et la relève est plus qu’assurée étant donné le nombre de candidats et la multiplication des missions dans cette trame temporelle pleine de promesses. Nulle gérontocratie ici, simplement de la gratitude et de la méritocratie. Bien comprise, celle-ci ne doit pas favoriser les jeunots formatés et interchangeables (comme dans Starship Troopers ou dans les productions The CW), mais autant que possible les vétérans expérimentés, a fortiori ceux qui ont édifié pas à pas l’objet même de la Mission (i.e. Jamestown, son existence et son considérable développement en une décennie).

Au terme de quatre périodes d’affectation, la dernière en tant que commandante de la base, cumulant pas moins de 723 jours sur la Lune, Ellen Wilson cède avec un soulagement certain – quoique mâtiné d’une déréliction qu’elle peine à dissimuler – ses responsabilités à Alex Rossi selon les protocoles de la marine étatsunienne (« I stand relieved »).
Appelée à la fonction d’administratrice adjointe de la NASA dans le sérail de Margo Madison et de l’amiral Nelson Bradfort (représentant les intérêts de l’USAF), Ellen espère s’ériger en avocate de la "cause martienne" (« la route vers la planète rouge ne passe pas par Houston mais par Washington »), finalité première de l’ensemble du programme spatial, mais condamnée à se transformer en Arlésienne – son budget dédié étant perpétuellement cannibalisé par les enjeux lunaires qui forment désormais le nouveau front stratégique de la Guerre froide. À l’image de l’édification des deux bases-colonies lunaires (Jamestown et Zvezda), aucun progrès spatial ne peut encore être envisagé hors d’une rivalité directe – et donc d’une émulation – entre les deux blocs...
Jodi Balfour impressionne par la maturité de sa composition. L’actrice a beau n’avoir physiquement pas pris une ride (normal en à peine plus d’un an), son personnage semble réellement avoir dix ans de plus (entendu positivement), maniant les discours politiques avec un naturel déconcertant (par exemple dès son atterrissage avec la navette Columbia), témoignant de compétence, d’autorité et de pragmatisme... mais sans rien avoir perdu de son idéalisme.
Larry est toujours son mari officiel... dans le cadre du "lavender marriage" destiné à couvrir leur homosexualité mutuelle aux yeux de la société puritaine (et parano) des seventies. Pourtant, une immense complicité s’est nouée entre les deux "partenaires"... que bien des couples réels pourraient envier. Tel un pur fantasme bisexuel de polyamour ou d’union libre...

Dans la première saison, la petite immigrée clandestine mexicaine Aleida rêvait d’espace. Et Margo (alors flight director) l’avait pris sous sa coupe (la touche inclusive rimant ironiquement avec le passage de relai du mentorat de Wernher von Braun). Madison réussit à placer Rosales dans un établissement scolaire de prestige (le programme Kennedy), mais cette dernière préférait batifoler avec son boy-friend... Puis, lorsque son père fut expulsé des USA, elle lui demanda son aide... mais la scientifique hésita à l’héberger. Il n’en fallut pas davantage pour qu’Aleida disparût de la circulation...
Or voilà que Margo reçoit en pleine réunion budgétaire la notification d’un appel téléphonique d’Aleida. Proprement tétanisée, comme si elle venait de voir apparaître un spectre interpelant sa conscience, il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour deviner les dix ans d’auto-culpabilisation qui se sont ensuivies... Pas plus qu’il n’est nécessaire d’être grand clerc pour deviner qu’Aleida sera sous peu une recrue de choix pour le programme spatial dans le cadre d’un démonstratif éloge de la diversité "US Democratic Party approved".

Quant à Tracy Stevens, le précédent épisode et la première moitié de celui-ci faisait mine – avec malice – de l’avoir déchue au rang peu enviable de "garce du showbiz" : apparemment ivre de narcissisme, toisant ses collègues (et en particulier son ex-mari Gordon à qui elle doit tant), confondant astronautique et mannequinat, zappant les exercices de simulation astro pour les paillettes de la vanité, tournant des pubs fétichistes, cherchant à polariser autour de sa précieuse personne de futurs documentaires lunaires, organisant le culte de sa personnalité avec son corollaire de passe-droits... En somme, Tracy serait devenue la Nabilla de la NASA, corrompue par son hyper-vedettisation née de la rencontre entre son parcours astronautique novateur et son physique très avantageux de bimbo.
Et pourtant, une réunion de famille impromptue avec Gordo – à la faveur du retour du fils prodigue Danny après une année à l’académie aéronavale – renversera brutalement la perspective (et les idées reçues) sur Tracy et son évolution durant cette ellipse de dix ans ! Point de manichéisme ni de causalité unique, les torts sont tellement dilués que toute tentative de jugement devient impuissante.
Le tissus même de l’existence étant l’indétermination, l’imprévisibilité et le paradoxe... comme l’illustre sans ambages l’évolution d’Edward. For All Mankind 01x10 A City Upon A Hill laissait présager que, s’il y avait bien un vétéran qui serait sorti définitivement abimé par ces frontières sauvages de la "Far Moon", c’eût été Baldwin. Eh bien, nenni, rien de tel ! La tragédie de Shane aura à l’inverse fait émerger en Ed une résilience et une sagesse inattendues (pas seulement celle des haïkus de fortune cookies)... l’ayant conduit à trouver un inébranlable point d’équilibre. À tel point qu’il tient même de béquille ou de planche de salut pour ses infortunés compagnons de route et de combat.
Comme à son habitude, et comme dans Battlestar Galactica 2003, Ronald D Moore réussit à tordre toutes nos certitudes sur les personnages. Bref, une grande leçon d’écriture vériste sur les perceptions déformées par la loupe médiatique, sur les illusions et les erreurs de prévision ou de diagnostic, sur la nature stochastique du monde... En somme, toute la force poignante de ces trop rares chroniques humaines dépourvues de la moindre once de soap et de pathos, préférant le cinéma-vérité à la manipulation émotionnelle.

Une fois de plus, à l’image de chacun des épisodes précédents, For All Mankind 02x02 The Bleeding Edge fascine par la rigueur internaliste et la justesse psychologique de chaque scène, de chaque passage, de chaque réplique, même les plus infimes et les plus anodin(e)s. Quelques exemples (parmi d’autres) :
- Le rappel en toute occasion à quel point le programme spatial demeure aussi une propagande politique et un plan de communication à l’orée de la téléréalité, qui trouve ici sa pleine expression dans la proposition hypocrite de Ronald Reagan d’organiser devant les caméras une chaleureuse poignée de main américano-soviétique dans l’espace, avec un jeune premier dans le rôle-titre pour draguer le public de MTV.
- Kudos à toutes les procédures de vol dans le cockpit de la navette spatiale Columbia – une navette capable d’atteindre la Lune, uchronie oblige – du check des erreurs du module au langage professionnel employé jusqu’à l’authenticité documentaire du ton et du phrasé...
- Dans le mythique bar aéro désormais tenu et transfiguré par Karen, le rétrogaming d’arcade Asteroid pousse l’exactitude jusqu’à faire figurer dans le palmarès des scores les nombreuses tentatives de Gordo pour battre l’indépassable Ed...
- Karen Baldwin et Wayne Cobb, que pourtant tout opposait au départ, se sont mutuellement trouvé(e)s dans l’infortune d’être tou(te)s deux "femmes" d’astronautes. Dix années après et sur le green de toutes les confessions, leur relation est devenue quasi-intime... pour une version "pangenrée" de From The Earth To The Moon 01x11 The Original Wives Club.
- Les retombées technologiques et économiques de cette course-spatiale-qui-ne-s’est-jamais-arrêtée se détectent sans aveu à chaque épisode. Ici, Tracy manipule un téléphone portable, certes du gabarit mastoc de ceux des années 80... mais néanmoins entièrement numérique ; certes pourvue d’un écran monochrome... mais partageant la superficie des smartphones des années 2000 (genre Nokia Communicator E90) !
- De même, une présentatrice de journal TV de phénotype asiatique dès les années 80 à la télévision américaine devra être versée au nombre des accélérations de l’Histoire que la série engrange comme autant de trophées "pride". Quant à retrouver dans le rôle de la journaliste Amy Chang l’actrice américano-coréenne Linda Park qui avait interprété l’inoubliable Hoshi Sato dans Star Trek Enterprise, voilà un autre marquage à la culotte de la Troisième Internationale des prequels.
- La plus banale (et anecdotique) des déconvenues auquel tout un chacun a déjà été confronté au moins une fois dans sa vie – à savoir un distributeur automatique qui ne délivre pas l’article (en la circonstance un sandwich) pourtant dûment payé – se voit ironiquement solutionnée par Margo au moyen des principes scientifiques à la base même des activités de NASA (i.e. le recours à une pression négative, résultante de la formule de la poussée aérodynamique dans les tuyères des lanceurs).

La séance ose même s’achever dans le silence méditatif et mélancolique d’une communion tabagique muette entre les deux personnages (Molly et Gordo) qui ont été les plus "sélénisés"... et qui se retrouvent en même temps en profonde eucharistie télépathique (par-delà les verbalisations, les jugements et les sanctions) avec le maître de cérémonie (Ed Baldwin). Soit la parfaite (anti)symétrie de deux cabines de téléphérique qui se rencontrent à mi-parcours, l’une authentique héroïne sur le retour (et exposée à une épée de Damoclès dans sa chair), l’autre authentique pionnier sur le départ (et faisant courir un possible risque à STS-83 Romeo), mais néanmoins tous deux placés sous le signe partagé d’une ineffable nostalgie, se languissant inexplicablement de ce corps céleste sans vie et pourtant si emplissant, leur ayant à jamais pris une partie de leur âme (peut-être la longévité pour l’une, peut-être la raison pour l’autre). Retentit alors le morceau punk-rock Time Has Come Today des Ramones en guise de générique final ! C’est presque du Breaking Bad ou du Better Call Saul de Vince Gilligan dans le texte et dans le style. Troublant et jouissif.

For All Mankind 02x02 The Bleeding Edge se construit ainsi par une juxtaposition de portraits, pour partie épiques, pour partie tragiques, mais tous intriquées à l’échelle quantique, et participant d’un alter-Right Stuff qui, lui, ne se serait pas échoué sur les récifs de la banalisation et de l’indifférence...
L’épisode redonne également tout son sens et toute ses lettres de noblesse à la notion de sacrifice, galvaudé par les cultes religieux et la glorification des super-héros. Cobb a ainsi rappelé à son corps défendant que le sacrifice est acte de vrai courage, totalement désintéressé, sans que nul – pas même le bénéficiaire – ne le sache, et qui se paye très cher dans les affres de l’anonymat et de l’ingratitude.
The Bleeding Edge réussit surtout à engager le spectateur dans des partages empathiques de subjectivités (voir par les yeux des personnages, percevoir à travers leur esprit, ressentir ce qu’ils ressentent...), où le poids des non-dits entre des dialogues gorgés d’authenticité le dispute aux perceptions altérées dans les méandres de la psyché. Au rendez-vous de l’acribie subtile, c’est un flirt avec Wim Wenders entre Im Lauf der Zeit (Au fil du temps) et Der Himmel über Berlin (Les Ailes du désir). Cet épisode touché par la grâce est même un harmonique du prodigieux Un singe en hiver de Henri Verneuil (et Michel Audiard), lui aussi un hommage à ces souvenirs ou ces rêves qui peuvent hanter une vie entière – la Lune de Gordo Stevens et de Molly Cobb étant le Yangzi Jiang d’Albert Quentin. Mais SF oblige, lesdits rêves – personnels et collectifs – peuvent aussi devenir des réalités constructivistes...
Cet opus tutoie presque le nahual (Castaneda), comme pour faire honneur à son titre hautement polysémique en VO – l’expression "bleeding edge" renvoyant aussi bien au concept de nouveauté et de technologie de pointe, que de double-tranchant et de détresse de l’âme.
Il serait donc contreproductif que cette critique tente absolument de mettre des mots sur une expérience audiovisuelle censée les dépasser... et y parvenant si magnifiquement.

En faisant abstraction de sa plus-que-parfaite parité de genre (aussi bien au Mission Control Center que dans la classe des aspirants astronautes) et de quelques autres gages politiquement corrects – flirtant parfois avec la bien-pensance et donc l’anachronisme mais néanmoins inscrits dans les gènes même de la série depuis l’origine –, ce second épisode de la deuxième saison est un vrai sans-faute, à la fois par l’écriture, par l’interprétation, et par la réalisation... tout en suggestivité. Il démontre par l’exemple que l’essentialisme embrasse souvent mieux et ratisse plus large que l’académisme. Aucun doute, voilà la fragrance d’un chef d’œuvre, de l’ordre de l’exceptionnel.

Évidemment, comme pour The Expanse, d’aucuns prétendront qu’il ne se passe rien et qu’on s’ennuie ferme. Mais ne vous y trompez pas, c’est bien là le meilleur compliment qui puisse être adressé à une œuvre de Hard-SF, ayant vocation à accorder une prévalence à la contemplation et au micro, non aux propositions d’actions ni au macro. Car c’est à ce prix que le vivant est immersif et le réel pesant.

Décidément, la seconde saison de For All Mankind fait entrer en fanfare la série de Ronald D Moore dans une nouvelle décennie – les fantasmatiques eighties – au carrefour des grandes espérances et des grandes désillusions... afin de mettre en orbite des multivers une Histoire contrefactuelle encore davantage paradoxale... puisque c’est d’une Guerre froide élargie et étendue qu’est appelée à accoucher une ligne temporelle nettement plus prométhéenne et progressiste ! N’oublions jamais que pour naître en un jour lointain, même l’utopie trekkienne avait eu besoin de la plus criminelle des WW3 comme utérus.
Est-ce à dire que les avancées scientifiques et sociales – celles ayant présidé à tous les rêves d’espace et d’exploration depuis les sixties – doivent procéder d’une collision entre le libéralisme et le communisme, tel un réacteur trekkien matière-antimatière ? Un monde meilleur ne peut-il éclore que d’une pareille dualité ?
En tout état cause, voilà une grisante et fascinante expérience de pensée qui réaffirme en force l’ADN de la SF, du moins la vraie.

ÉPISODE

- Episode : 2.02
- Titre : The Bleeding Edge (En première ligne)
- Date de première diffusion : 26 février 2021 (Apple TV+)
- Réalisateur : Michael Morris
- Scénariste : Matt Wolpert et Ben Nedivi

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