Vita & Virginia : La rencontre avec Christine Orban

Date : 10 / 07 / 2019 à 10h30
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À l’issue de la projection du film Vita & Virginia, la romancière Christine Orban, dont le livre Virginia & Vita est réédité au Livre de Poche est venue répondre aux questions du public. On peut aussi découvrir le recueil de correspondance Victoria Sackville-West Virginia Woolf Correspondance 1923-1941, pour en connaître plus sur la vie des deux femmes.

Voici la retranscription des échanges qui ont eu lieu. Vous pouvez aussi en visualiser la vidéo en fin d’article.

L’écrivaine Virginia Woolf se trouve elle-même être un personnage de fiction grâce a votre roman. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur la relation entre Vita et Virginia ?

Beaucoup de choses. Tout d’abord, Virginia m’accompagne depuis toujours. Je voyage toujours avec un de ses romans. On a aussi toutes les deux épousé un éditeur et la relation entre un romancier et un éditeur, c’est assez intense. Cela met la barre un peu haute. C’est l’impression d’avoir tout le temps quelqu’un à la maison qui s’intéresse à ce que l’on fait. Je crois que Virginia, pour son livre Orlando a dû avouer à son mari cette relation. Évidemment, il l’a accepté, car elle était en pleine dépression et cela l’aidait à vivre de décrire cette histoire.

Pourquoi Virginia et Vita ? Parce que cela me semble être la période la plus importante de la vie de Virginia. Je commence mon livre en 1927, quand elle finit La Promenade au phare. Elle sort d’une très grande dépression. Ce qui m’a passionné, c’est que dans Orlando, elle reprend le pouvoir. Elle est assez écrasée par Victoria Sackville-West. Vita est une aristocrate. Et s’il y a bien une chose qui impressionne cette femme qui est géniale, c’est l’aristocratie. Elle est écrasée par Knole, un château qui a 365 chambres. Et elle est écrasée par cette femme qui dîne avec la reine d’Angleterre, Churchill... Et qui en plus est une mère, une maîtresse de maison, une épouse.

Elle est pour Virginia ce qu’elle ne parvient pas à être. Et son seul moyen de s’en sortir, c’est finalement d’écrire. Car elle se dit que quand elle écrit, elle a tout pouvoir. Hélas, la seule chose que Vita ne peut pas, c’est hériter de Knole. Elle peut faire beaucoup de choses, mais à cette époque, on est en 1927, et son père va mourir quelques mois après, elle ne pourra pas hériter de ce domaine. Parce que les femmes ne peuvent pas hériter. Et c’est son cousin Denis, qui n’a pas vécu à Knole, qui va hériter de cette terre qui lui est tellement chère, de ses racines qui l’ont construite. Et Virginia va lui rendre la possibilité d’hériter en écrivant Orlando. C’était aussi un peu cela son but, de prendre le pouvoir et de lui montrer que l’écrivain est tout puissant.

On ne s’en rend pas forcément compte, et c’est bien dit dans le film, mais à l’époque Vita vendait beaucoup plus de livres que Virginia. Parce qu’elle était glamour. Virginia avait fait ce petit groupe le Bloomsbury Group, avec des intellectuels, des peintres, sa sœur artiste, mais elle n’était pas aussi célèbre que Vita. En écrivant ce livre, qui va faire du scandale, elle va aussi devenir glamour. Elle va fâcher Vita et sa mère pour la seconde fois. Elle écrit aussi pour montrer qu’elle peut tout faire, que l’écrivain, c’est Dieu. Qu’elle peut la faire changer de sexe, la faire hériter. C’est sa force à elle.

Quelle a été votre première rencontre avec Virginia ?

J J’étais assez jeune. J’avais un été décidé de lire Proust. Et la fois suivante, je devais avoir 19-20 ans, c’était Virginia Woolf. Alors pourquoi elle ? Je pense que j’avais une tendance à la mélancolie. J’étais très émue par cette femme qui disait des choses que je pensais très souvent.

Quel travail de recherche avez-vous dû entreprendre pour écrire ce roman ?

C’est assez facile d’écrire sur quelqu’un qui a tenu un journal. Parce qu’au fond, on habite la personne. Dans mon livre, j’invente peu finalement. Quand j’invente, c’est des choses qui auraient pu avoir lieu. J’invente des scènes que je ne connais pas, mais je sens que ça a dû se passer comme ça. Par exemple, la rencontre entre les deux maris. C’est quand même une scène assez amusante à écrire.

Parce qu’ils étaient assez libres tous ces gens. Et c’était surtout du côté de Vanessa Bell, la sœur de Virginia qu’il y avait une grande liberté. Au fond, Virginia disait que c’était elle qui l’aimait le plus, qu’elle avait besoin de Vanessa qui avait un mari, un amant, qui était d’ailleurs le père de sa fille Angelique qui ne l’a appris que très tardivement. Elle vivait la bohème.

Alors que Virginia, au fond, était cette femme qui était très traumatisée par son enfance, car elle avait subi beaucoup de décès, la mort de sa mère, d’un frère et d’une sœur et après, de son père. Et qui a probablement subi une tentative de viol par un de ses frères. C’est une femme au passé lourd.

Elle était maniaco-dépressive, et à l’époque, on ne connaissait pas le lithium et on la soignait avec des verres de lait. Son docteur lui avait conseillé d’occuper ses mains et c’est pour cela qu’ils vont acquérir une presse à bras dans leur maison, et même la mettre dans leur salon au début. Et c’est là qu’ils vont commencer à écrire un livre, car ils n’en n’avaient pas, et ils vont l’imprimer eux-mêmes.

Leur presse est donc liée à la maladie de Virginia. Derrière sa maison, elle a une petite chaumière au fond dû jardin, et c’est là où elle écrit. C’est dommage de ne pas l’avoir filmé, parce que c’est là aussi, dans une rivière à proximité qu’elle ira se suicider après avoir écrit à son mari Leonard.

Elle n’était pas très loin de Knole, où elle pouvait aller en voiture. Mais elle ne s’achètera une voiture qu’après la vente de l’un de ses romans. C’était des gens qui vivait très modestement, et qui avaient un train de vie très différent de celui de Vita.

Vous vous êtes rendue sur place, vous avez vu le château ?

Oui bien sûr. J’y suis allée plusieurs fois. J’ai aussi été dans sa chaumière, où il y a un tableau d’elle qu’avait fait sa sœur et son Rocking-chair près de la cheminée.

Qu’est-ce qu’il fait que l’on dit que ces femmes étaient puissantes et fragiles à la fois ?

Franchement, je ne leur trouve pas beaucoup de fragilité. Vita a été considérablement embellie dans le film. Dans son journal, Virginia disait qu’elle avait de la moustache, qu’elle est trop grosse, qu’elle avait des joues trop rouges, qu’elle avait des mains plus faites pour fouetter un chien que pour écrire. Elle ne se mettait pas franchement en valeur. Sauf pour la séance physique de photos. Ils l’ont fait dans les prés.

La fragilité de Virginia, elle est évidente. En ce qui concerne Vita, elle était une femme qui était née dans une famille d’aristocrates très célèbre en Angleterre, et fière de sa lignée, fière de ses ancêtres. Elle était bien plantée dans sa terre, dans ses bottes et dans sa vie. Peut-être qu’elle avait conscience quand elle publiait ses livres, qu’elle avait plus de succès que Virginia Woolf, mais que c’était moins bien.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce film que vous venez de découvrir ?

C’est une nouvelle façon de raconter l’histoire, et je crois que pour bien raconter une histoire, il faut la trahir un peu. Il y a beaucoup de choses qui ne se sont pas passées dans ces lieux et qui ne sont pas tout à fait exacts, mais cela n’a aucune importance. L’ambiance est là. Moi, j’aurais peut-être aimé Orlando un peu plus comme un troisième personnage. Mais c’est difficile à faire. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui vont au bout d’un projet, même si j’aurais aimé le faire, finalement, moi.

J’en ferai probablement une pièce. Mais, en fait, je l’ai déjà écrite. Je viens de finir un roman, que j’ai donné d’ailleurs à mon éditeur. Et j’ai mis cela un peu de côté, mais c’est un projet prochain.

Qu’est-ce qui fait que Orlando est devenu l’œuvre magistrale de Virginia Woolf ?

C’est un livre sur le vampirisme d’un écrivain. Et c’est quelque chose qui me passionne. Et finalement, transformer quelqu’un de réel en personnage de roman, c’est presque de la sorcellerie. C’est s’approprier quelqu’un. Et là, Virginia va s’approprier totalement Vita. Elle va la prendre et en faire ce qu’elle veut.

Je suis passé à l’émission Apostrophe, car j’ai écrit ce livre il y a un certain nombre d’années. Le titre original s’appelait Une année amoureuse de Virginia Woolf. J’avais fait un zoom dans la vie de Virginia sur cette année dans laquelle elle écrit Orlando. Je trouvais que c’était une des années les plus intenses de sa vie. Parce que pour une fois, l’amour se mêlait à son écriture. Pour une fois, elle trempait sa plume dans la chair réelle. Et puis elle prenait des risques énormes, car elle s’attaquait à une personne très connue issue d’une famille très respectée. D’où le scandale, et d’où le succès.

Je suis passée dans l’émission de Bernard Pivot et il y avait une anglaise qui me disait : « Mais au fond, comment une française peut s’intéresser à ce point à un sujet qui nous appartient ? ».

En France, finalement, on n’étudie pas cette auteure à l’école.

Je me souviens, quand je faisais mes premières dédicaces, on me disait : « Qui a peur de Virginia Woolf ? ». Maintenant, je crois qu’on en parle beaucoup plus.

Donc mon éditeur a réédité ce livre que j’avais déjà rebaptisé il y a quelques années Virginia et Vita.

Est-ce que quand elle s’attelle à l’écriture de Orlando, Virginia voulait continuer son observation de Vita ?

Elles s’étaient un peu séparées avant. C’est un peu comme Les Mille et Une Nuits. Elle va raconter une histoire, mais qui ne se termine pas de la même façon, au fond pour la reconquérir. Parce qu’elles se sont rencontrées en 1921 ou 22 et leur amour s’est un petit peu altéré en 1927. Vita a eu plusieurs aventures. Ça a fait beaucoup souffrir Virginia. Elle voulait aussi la reconquérir en lui montrant son pouvoir, sa force, son talent, mais aussi en racontant une histoire à travers les siècles. Donc Vita était très intriguée de ce qui allait sortir de la tête de Virginia. Virginia va laisser parler son imagination très grande. Et Orlando est un livre très osé. Non pas qu’il y ait des scènes d’amour, mais c’est une façon de s’exprimer et de tenter une biographie très particulière.

Qu’est-ce qu’il fait que l’on dit de Virginia que c’était une femme de lettres révolutionnaire ?

Elle était toujours surtout féministe. Ça a été l’une des premières à prôner la liberté, le droit d’hériter. En fait Orlando, est comme un manifeste. C’était d’ailleurs insensé que les femmes n’aient pas ce droit là. Il y a aussi l’amour libre. Elle était homosexuelle. Même si elle n’était pas vraiment sexuelle de toute façon. Mais elle ne s’en cachait pas vraiment vis-à-vis de son mari. Et en écrivant Orlando, cela semble assez évident. C’était assez nouveau en 1927, une femme qui ose afficher ses goûts. Elle les assume. Elle va très souvent chez Vanessa, sa sœur qui ne vit pas très loin de chez elle. Celle-ci vivait avec son mari, son amant, son amant homosexuel et le fiancé de son amant, qui va épouser sa fille. C’était rock ’n’ roll.

Quelle était la vocation de ce groupe créé par Virginia ?

En fait, c’était des copains. Ce sont tous des intellectuels, des peintres, des critiques d’art. Ils se réunissent, ils refont le monde. Ils se voient à la campagne, ils piqueniquent. C’est une vie très anglaise, très "cottage". Ce qui est intéressant, c’est que l’aristocrate Vita rêve d’en faire partie.

Est-ce que vous avez retrouvé les personnages que vous aviez en tête dans le film ?

Vous savez, on ne peut ni en un livre de 200 ou 300 pages, ni dans un film de 1h50, rentrer dans la personnalité de chacun de ces personnages qui sont très forts. La sœur de Virginia mérite un livre pour elle seule. Vanessa est un personnage formidable qui a beaucoup soutenu sa sœur. On m’avait d’ailleurs demandé de faire une conversation imaginaire entre Virginia et moi. C’est un exercice très amusant à faire. Je m’étais imaginé parlant avec Virginia chez Vanessa.

Quel est votre roman préféré de Virginia Woolf ?

C’est forcément Orlando.

Est-ce que vous avez un conseil de lecture pour une œuvre de Vita ?

Pepita, danseuse gitane ou Cinquante années de la vie d’une grande famille anglaise, Séducteurs en Équateur, et quelques poèmes sont très jolis. Elle était une poétesse (elle est le seule auteur à avoir été deux fois lauréate du Prix Hawthornden, nda).

Comment les fils de Vita ont-ils vécu les aventures de leur mère ?

L’un des fils de Vita, Nigel Nicolson, a écrit un très charmant livre que je vous conseille qui s’appelle Portrait d’un mariage. Il raconte comment son père, homosexuel, et sa mère, lesbienne, était au fond un couple formidable. Vita a été renvoyée de Knole à la mort de son père. Ils ont acheté une propriété à côté. Puis un éleveur de poule s’est installé juste à côté et ils se sont dit qu’ils n’allaient pas le supporter. Ensuite, ils ont acheté une propriété, le château de Sissinghurst, dans laquelle il y avait une tour, car Vita s’était dite qu’elle allait faire son bureau dans une tour. Toutes ces dames avaient une tour, comme Violet Trefusis, une ancienne maitresse de Vita, aussi romancière. Virginia avait une cabane au fond du jardin, mais les autres avaient des tours.

Quelle était la relation de Vita et de sa mère ?

Le mari de la mère de Vita était très infidèle et elle a refait sa vie avec un monsieur qui était très fortuné. Elle aimait beaucoup Vita qui était sa fille unique et la surveillait. Un jour, elles se sont disputées très violemment à cause d’un collier de perles et elle l’a arraché du cou de Vita pour pouvoir reprendre ses perles. Elles vont se réconcilier, puis vont se refâcher à cause de Virginia.

Dans La Promenade au phare, il y a beaucoup de discussions autour de la famille. Est-ce que ce sujet était très important pour Virginia ?

Oui. C’était un fantasme, parce que, au fond, sa mère est morte quand elle avait 13 ans. Et elle adorait sa mère. Son père était extrêmement autoritaire et la faisait beaucoup travailler. Et elle a beaucoup pâtit de ce manque d’affection. Mais il s’est retrouvé veuf avec tous ses enfants aussi.

Elle ne s’est pas non plus donnée l’autorisation de cette famille qu’elle voulait. Et ça aussi, c’est Virginia et ses souffrances. Elle ne s’est pas permise de créer une famille. Elle a été célibataire longtemps avant de trouver Leonard. C’était un mariage un peu arrangé par les copains. Elle ne s’est pas permise d’avoir une relation charnelle avec Leonard. C’était quelqu’un qui a fait beaucoup de tentatives de suicide, qui refusait vraiment l’union avec un homme. Elle s’interdisait le bonheur.

Comment avez-vous appris le projet de ce film ? Est-ce que vous avez été consultée ?

Non, c’est cela qui est un peu embêtant. Mais je suis là surtout pour Virginia, car j’ai envie qu’on en parle. Et qu’on la lise. Et qu’on lise aussi son journal. Son journal est admirable. Des fois, je me dis : « Comment est-ce qu’elle a trouvé le temps de l’écrire, alors qu’elle écrivait tellement ? » Je ne sais pas s’il était écrit pour être lu. Parce que parfois, il raconte des choses qui pourrait la desservir. Elle était très ennuyée à cause de ses vêtements. Elle se trouvait habillée comme une godiche. Elle adorait aller s’acheter une belle robe pour aller à Knole. Et cela prend des pages dans son journal. C’est un vrai problème pour elle. Elle décrit qu’elle a des semelles trop épaisses, des chaussettes qui ne sont pas de la bonne couleur.

Je commencerai peut-être par son journal. Il y a beaucoup de tomes, mais on est très proche d’elle. On est vraiment en direct avec elle, sans filtre.

Pourquoi est-ce que ce journal, qui n’était peut-être pas écrit pour être publié, l’a été ?

À sa Mort, son mari va décider certaines choses. Il va refaire sa vie avec la femme d’un autre éditeur. Ce qui peut paraître étrange, car il avait voué sa vie à Virginia et lui avait sauvé plusieurs fois la vie. Il a été un mari extraordinaire pour elle. C’est lui qui décidera de ce qui va être publié ou pas.

Vita & Virginai est un beau film très touchant. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.

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