EXCLU UNIF- Batman Origines : Justine Marzack nous parle de sa Petite anthropologie de l’homme chauve-souris

Date : 11 / 07 / 2017 à 08h30
Sources :

Unification


Interview exclusif de l’anthropologue, Justice Marzack, pour son ouvrage intitulé : Batman Origines - Petite anthropologie de l’homme chauve-souris.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Justine Marzack, je suis anthropologue, auteure et musicienne. Je viens de me réinstaller dans la banlieue de Londres, après avoir fait un tour du monde d’un an en tant qu’assistante personnelle de Neil Gaiman et d’Amanda Palmer.

Il y a 3 ans maintenant, vous avez écrit un " mémoire " intitulé Batman Origines : Petite anthropologie de l’homme chauve-souris . Dans quel but s’est fait ce travail ? Quel en était l’objectif ? Et pourquoi avoir choisi Batman comme sujet d’étude ?

Cette étude était à l’origine mon mémoire de Master à l’école du Louvre, j’ai donc vraiment commencé à travailler sur les super héros en général, et sur Batman en particulier en 2009. Ce master est devenu l’ouvrage Batman Origines que mon éditeur Emmanuel Lemieux a publié aux éditions François Bourin en 2014. J’ai toujours eu un problème avec l’autorité, et à l’origine, travailler sur Batman était une bonne manière de faire chier le monde dans une université très conservatrice. (rires). L’idée était que s’il faut comprendre les héros classiques comme Hercules ou les saints catholiques, pour comprendre l’art classique, il fallait aussi comprendre qui étaient les héros de notre époque pour comprendre les productions artistiques contemporaines. Après une étude préliminaire sur les superhéros, j’ai choisi Batman car il est l’un des premiers superhéros créés, mais il est aussi l’un des plus complexes et l’un des plus populaires, pour des raisons que j’ai cherché à analyser dans cette étude.

Par où avez-vous commencé vos recherches ? Quelles ont été les étapes de recherche et d’écriture ? Vos sources d’inspirations ? Et quelles ont été les difficultés que vous avez rencontré ?

J’ai commencé par faire des longs entretiens avec des fans de Batman, c’est une des méthodes traditionnelles de l’anthropologie. Je cherchais à comprendre les raisons de l’attachement si fort à ce personnage. J’ai été très inspirée par l’oeuvre de Joseph Campbell, Le Héros aux Mille Visages, qui dissèque le rôle du récit mythologique et le parcours psychologique du héros traditionnel. J’ai choisi un corpus d’oeuvres (comics, films, jeux vidéos, animations...) et à partir de ça, j’ai fouillé dans l’histoire culturelle des Etats-Unis pour comprendre comment et pourquoi Batman avait été créé à ce moment précis. Ça a été une mise en abyme incroyable et passionnante. La principale difficulté, je suppose, a été de pouvoir me remettre à apprécier toutes choses sur Batman d’une manière passive, en loisir, une fois que j’aie eu fini de travailler sur le personnage, de me libérer de l’angle analytique.

Batman Origines : Petite anthropologie de l’homme chauve-souris

Dans votre livre, vous décortiquez la psychologie et la sociologie, entre autre, du Chevalier Noir et forcément de ses liens avec Le Joker. Vous faites un parallèle intéressant sur la vie de Batman et de son némesis, leur ressemblance sur certains aspects, mais aujourd’hui nous savons qu’il existait 3 Jokers, comment réactualiseriez-vous vos propos désormais ?

Effectivement, il existe de manière générale un jeu de miroir entre les super héros et leurs nemesis : tous ont leur origine dans une tragédie d’ordre familiale. Qu’est-ce qui, dès lors, fait la différence entre un personnage qui va dédier sa vie à la justice, et un autre qui va la dédier au crime ? La différence est souvent subtile. On peut y voir une critique sociale prégnante : le personnage issu de classe moyenne, ou de classes aisées, va avoir un idéal de droiture que le personnage issu de classes défavorisées n’aura pas ; il ne faut pas oublier que ces personnages viennent d’une société où le mot d’ordre est ’when there’s a will, there’s a way’. C’est une idée qui est profondément offensante, mais que, heureusement on trouve moins souvent dans les comics depuis les années 1980, où l’on a vu une prise d’importance d’aspects psychologiques plus intéressants. Dès lors, on peut voir l’importance d’autres éléments : l’existence d’une figure d’autorité, d’une figure paternelle souvent, qui aide à définir le code moral du personnage. C’est déjà plus satisfaisant. Mais encore une fois, la différence entre le bien et le mal est subtile. Le Joker en fait part à Batman dans Killing Joke d’Alan Moore et Brian Bolland :il suffit d’une mauvaise journée pour que la quête de justice d’un individu se transforme en criminalité.

Qu’en est-il des trois Jokers introduits dans l’univers DC récemment... Ultimement, je ne pense pas que cela change grand chose à l’analyse que l’on peut faire du personnage. Ce n’est pas la première fois que l’on fait face à un vilain dont le masque est partagé par plusieurs identités, Red Hood notamment en est un. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’il existait déjà plusieurs Jokers, dans l’écriture et l’interprétation : le Joker de Mark Hamill, le Joker de Nicholson, le Joker de Heath Ledger, etc. De même que Batman, c’est un personnage qui a une grande longévité et qui a constamment été réinventé. On assiste actuellement à une tentative d’unifier, de créer une cohérence aux différentes vies du Joker, pourquoi pas ? En tant qu’anthropologue, je crois que différentes versions d’un récit, ou d’un personnage, peuvent coexister côte à côte sans nécessairement avoir à créer une trame logique ou cohérente pour expliquer leurs différences subtiles. Si on regarde du côté de la mythologie, il y a de nombreux personnages qui ont trois (c’est le chiffre magique !) aspects, trois biographies, trois vies, sans que cela créé de contradiction.

Vous expliquez également l’importance de la peur de la chauve-souris sur les ennemis de Batman, et pourquoi Bruce Wayne a choisi ce chiroptère comme symbole. Mais pourriez-vous nous expliquer pourquoi Batgirl et Batwoman l’ont également choisi, alors que leur rapport avec la chauve-souris est différente de celle avec Bruce Wayne ?

Je pense qu’à ce point, il faut regarder un peu ce qu’il se passe dans l’histoire des comics pour comprendre ces personnages. Batwoman est introduite dans Detective Comics en 1956. C’est deux ans après la publication de Seduction of the Innocent, écrit par le psychiatre américain Fredric Wertham, qui accuse les comics de pervertir la jeunesse et qui a un incroyable retentissement sur le monde des comics. Pour se sortir des accusations qui pèsent sur elles, les maisons d’éditions se mettent d’accord sur un ensemble de règles, qui va devenir le Comics Code Authority, et va régimenter ce qui peut et ne peut pas se passer dans les comics pendant des décennies. Certaines règles morales devaient donc être respectées : les super héros ne devaient plus utiliser d’armes à feu, les bons devaient toujours gagner sur les mauvais , et surtout les super héros ne devaient pas être des modèles de perversion ou déviances sexuelles. Et comme Batman était suspecté d’être homosexuel, au cas où la jeunesse américaine attraperait le virus de l’homosexualité en lisant Batman, les auteurs ont décidé d’introduire le personnage de Batwoman comme intérêt amoureux bien hétérosexuel pour notre héros préféré. Il ne faut pas oublier que l’homosexualité a été parmi la liste des maladies mentales de l’American Psychiatric Association jusqu’en 1973 !

Quant à Batgirl, elle est apparue pour la première fois dans Detective Comics en 1961, une époque où la demande pour les comics, et pour de nouveaux personnages, est incroyable. Il s’agit d’engager un public différent, de renouveler l’intérêt pour des personnages ou univers qui existent depuis déjà plusieurs décennies. En face des héros de l’âge d’or des comics, comme Superman ou Batman, on a toute une pléthore de nouveaux superhéros qui apparaissent dans le paysage. Cette fois, au lieu d’être des golden boys qui ont amour, gloire et beauté, les nouveaux superhéros notamment sous la plume de Stan Lee, sont des adolescents dégingandés et pas spécialement populaires dans leur vie quotidienne. Ces héros vont gagner en popularité parmi la jeunesse des années 1960, et on comprend pourquoi : il est plus facile de s’identifier à quelqu’un qui a son âge, qui a peut-être les mêmes déconvenues et expériences embarrassantes au lycée. Du coup, il y a un besoin de diversifier et rafraîchir les vieux super héros. Batgirl notamment fait partie de cet effort de renouvellement. On peut presque parler de franchise Batman à ce moment là, le logo est décliné, et on attend de voir ce qui va fonctionner avec le lectorat. Donc pour ces personnages, l’appartenance à la famille symbolique et visuelle de Batman est, originellement, moins psychologique et plus liée à l’histoire des publications.

Vers la fin de votre livre, vous évoquez rapidement la paranoïa de Batman, et un des lecteurs que vous avez interrogé et revenu sur cet aspect en précisant qu’il avait même de quoi neutraliser ses alliés de la Justice League tels que Superman, Green Lantern ou Wonder Woman. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit plutôt de prudence ? Et je rebondirais en vous demandant comment vous avez perçu le Batman de Ben Affleck et Zack Snyder qui évoque ces thèmes-ci ?

Je serais tentée de répondre à cette question par une citation d’Aristote : " L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L’excellence n’est donc pas une action mais une habitude. "

Dès la première évocation des origines de Batman, et de l’éducation qu’il s’est donné pour combattre le crime, dans le numéro 33 de Detective Comics, publié en novembre 1939, il est évident que la force de Batman est dans sa préparation minutieuse, son ingénuité, et ses dons d’investigations. Parce qu’il ne possède pas de qualité supernaturelles, il lui faut être prêt. Effectivement, on peut parler de prudence. Mais dans un monde post-Frank Miller et post-Alan Moore, on a vu aussi que Batman peut perdre les pédales et s’enfoncer dans des moments de psychose et d’obsession. Et oui, de paranoïa. Encore une fois, il y a une frontière très perméable entre ces aspects de la personnalité de Batman. Bien évidemment, Zack Snyder est très familier avec ces thèmes, sa carrière est tout à fait centrée sur un monde du superhéros de l’âge adulte.

Dans le film, on le voit brûler au batarang le corps de ses ennemis, d’un point de vue psychologique comment percez-vous cela, en faisant un parallèle avec votre ouvrage ?

A vrai dire, je n’en pense pas grand chose. Ça me fait doucement rigoler quand je repense au Batman d’Adam West et de son spray pour repousser les requins. Mais personnellement, je ne suis pas très attirée par la descente dans le plus obscure et le plus choquant, ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse, je ne pense pas que cela ajoute quoi que ce soit à l’étude du personnage à ce point.

Toujours concernant la Justice League, dans votre ouvrage, vous notez l’importance positive de la Bat-Family sur Batman, mais qu’en est-il de l’influence de la Ligue sur le moral de Bruce Wayne ?

La Ligue n’est pas spécialement quelque chose qu’il m’intéresse d’étudier. Je pense qu’Alan Moore a fait une critique très fine des groupes de superhéros avec Watchmen et la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, où l’on peut trouver tous les tenants et les aboutissants de ce type d’associations. Dans le contexte spécifique de Batman, je donne ma langue au chat.

Dans Batman v Superman : L’Aube de la Justice, on voit un Batman très sombre comme je le disais plus haut, mais à la fin du film, et avec le sacrifice de Superman, on voit un Bruce Wayne plus différent, qui retrouve la foi en l’Humanité et surtout plus apte à la compagnie, comment avez-vous ressenti cette progression en tant que spectatrice ?

Je vais en revenir à Joseph Campbell et au Héros aux Mille Visages, parce que Campbell identifie un rôle redondant au récit mythologique : celui de nous guider au travers des moments les plus désespérés, au travers d’une mort psychologique, afin de renaître et de réétablir nos liens avec la société ou avec nous même. Le commencement de toute narration mythologique est le même : le statu quo n’est plus tenable, et le héros doit détruire ce qui était afin de créer de nouvelles bases. Je pense qu’ultimement, le rôle des récits de super héros dans notre société est de remplacer les grands récits religieux ou mythologiques, avec ce que cela représente de questionnement sur notre humanité, notre courage, nos obsessions, nos santés mentales fragiles... Revenir à une situation, un équilibre tenables pour le héros, et ne pas le mettre dans un cul de sac psychologique, c’est finalement nous aider à progresser dans notre propre quête de sens.

Dans votre livre, on voit que certaines personnes interviewées adore Batman, mais ont dû mal à le considérer comme une icône, un héros et même quelque part que sa quête est égoïste, pourtant c’est un des personnages de comics qui est le plus apprécié et qui vends le plus, comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Batman n’est peut-être pas le modèle que certains voudraient qu’il soit, mais le personnage a une longévité grandiose, son monde est riche, intéressant, contrasté. Il a une galerie d’ennemis plus bizarres et colorés les uns que les autres, une bat-family extensive. Je pense qu’il y a suffisemment dans le monde de Batman qui existe et qui nous est familier pour que l’attrait soit incessemment renouvellé. Les plus grands noms du monde des comics et du cinéma s’y sont collés, même Neil Gaiman a récemment annoncé qu’il avait une idée pour une histoire de Batman, il y a de quoi allécher et faire durer le mystère et l’intérêt.

Quizz Rapide

- Gotham ou Métropolis ? Gotham, surtout le Gotham post-Burton, complètement inspiré par le cinéma expressionniste allemand.

- Batcave ou Manoir ? Batcave, évidemment !

- Batman ou Bruce Wayne ? Je ne suis pas certaine d’avoir envie de passer du temps ni avec l’un ni avec l’autre.

- Batmobile ou Batwing ? Les voitures me rendent nerveuse : Batwing.

- Batman de Tim Burton ou Batman Begins de Christopher Nolan ? Burton, j’aime le mélange de sérieux et de grotesque.

- Georges Clooney ou Val Kilmer ? Ouch... allez un point chacun pour l’effort...

- Christian Bale ou Ben Affleck ? Christian Bale.

Pour en savoir plus

Quelle oeuvre de Batman (comics, films, courts-métrage...) vous a le plus marqué ? Pourquoi ?

Je suis une grosse fan de la série animée des années 1990 par Bruce Timm et Eric Radomski. Cette série avait un magnifique équilibre du loufoque des années 1960 avec un aspect très film noir, très obscure pour une série pour enfants. Graphiquement, elle était magnifique. Et le Joker de Mark Hammill reste mon préféré. Ce rire ! Inoubliable.

Votre super-héros préféré ? (Hormis Batman) Et pourquoi ?

J’ai une affection particulière pour Promethea, la super héroine occulte d’Alan Moore. L’origine de son pouvoir est la capacité à créer, à effectuer ce type spécial de magie qui vient avec l’écriture créative. J’imagine qu’en tant qu’auteure avec un intérêt prononcé pour l’occulte, c’est un personnage que je trouve particulièrement attirant.

Avec l’arrivée de Wonder Woman au cinéma et le succès qu’il entraîne, l’aspect féminin dans les comics pourrait-il être un sujet d’étude pour un prochain livre ?

Je suis une féministe intersectionaliste, les représentations des femmes, mais aussi des LGBTQI+, des différentes races, des différentes classes sociales, sont toujours présentes et importantes lorsque j’analyse une oeuvre. Je pense qu’ayant grandi dans les années 1990, où la culture pop était beaucoup plus ouverte sur des rôles féminins forts (je pense notamment à une série comme Buffy), il est étonnant pour des gens de mon âge de concevoir que les rôles féminins ont été si réduits au court des 15 dernières années que le succès d’un film comme Wonder Woman en vienne à paraître une nouveauté. Plutôt que de montrer un progrès, j’y vois plutôt le résultat d’un déclin au cours des décennies précédentes.

Vos projets ?

Je travaille actuellement sur une étude sur Alan Moore, avec le soutien de mon éditeur Emmanuel Lemieux, et du Centre National du Livre. J’ai également écrit une étude plus personnelle sur la psychologie transgénérationnelle intitulée Les Fossoyeurs, qui sortira en janvier 2018, chez Lemieux Editeur. Et je finis un EP de musique électronique avec mon collaborateur Alexis Michallek, notre groupe s’appelle Malachite et ça sortira à l’automne.

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