Visages Villages : La rencontre avec Agnès Varda et JR

Date : 28 / 06 / 2017 à 08h30
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Unification


À l’issue de la projection du film Visages Villages, Agnès Varda et JR sont venus répondre aux questions du public.

Les échanges ont été nombreux et vraiment très drôles. Je vous invite à regarder les 60 minutes de cette rencontre dans la vidéo en fin d’article si vous aimez Agnès Varda, car la retranscription des échanges qui ont eu lieu ont parfois été résumés et ne rendent pas la drôlerie de certaines situations et l’humour que les deux artistes ont fait planer sur toute la session.

Attention, de nombreux spoilers sur le documentaire se trouvent dans cet article, notamment en ce qui concerne la fin. Comme il s’agit d’un documentaire, ce n’est pas dérangeant, mais il me faut le signaler pour ceux qui ne veulent rien savoir sur une œuvre avant de l’avoir vue.

Est-ce que Godard a vu le film ?

Agnès Varda : Je ne sais pas. On lui a envoyé le DVD, mais je ne sais pas. Silence radio.
On a fait un film qui dure 1h20 sur des gens qu’on a rencontrés. On avait envie de le rencontrer. Il n’avait pas envie de le faire. C’est comme cela. C’était un vrai désarroi pour moi et une déception pour toi JR.

JR : C’est aussi intéressant pour le spectateur de voir ce qui est déplaisant.

Agnès Varda : Durant le film, l’un donnait des idées à l’autre et vice-versa. Et là, on était dépassé par les évènements. On a filmé et on ne savait pas quoi faire.

Qu’est-ce que vous avez trouvé de commun avec Agnès et qui vous a donné envie de faire un film avec elle ?

JR : On a commencé à tourner le deuxième jour après notre rencontre. Et là, on continue à apprendre à se connaître. On s’est tout de suite jeté dans notre projet.
Je connaissais les films d’Agnès. Une amie commune nous a mis en contact. La fille d’Agnès lui a suggéré notre rencontre.
On a eu envie de faire quelque chose. Elle est venue à mon atelier et on ne s’est plus quittés.

Agnès Varda : On savait qu’on aimait rencontrer les gens et les mettre en valeur. Toi, tu fais de très grandes images et dans mes films, j’ai fait des documentaires. Moi, j’ai vécu un temps où il n’y avait que des cinémas pour voir des films.

Pour répondre à votre question, cela s’est mis en route tout seul. Je connaissais les yeux de JR, car il en met partout, dans pleins de lieux différents comme au Kenya, dans ses livres…
J’avais fait un film en 1980 sur les murailles de la ville de Los Angeles et je trouvais fascinant qu’on offre aux gens des choses gratuitement, qu’elles soient réussies ou non.

On devait faire un court métrage, rencontrer des gens, les faire parler et suivant les cas, JR pouvait trouver l’occasion de faire une ou plusieurs images.

Qu’est-ce qui a mis fin au film ?

JR : On a commencé début juillet. Agnès m’avait dit qu’en septembre et en octobre, elle avait des projets. Moi cela m’allait très bien. Mais finalement, on a tourné beaucoup plus longtemps. On a passé beaucoup de temps à manger des chouquettes chez elle, et à aller sur les routes. Elle m’a aussi rejoint à New York.

Cette histoire de lunettes de soleil l’agaçait beaucoup. C’est ce qui a entraîné la mise en avant de cette photo de Godard que je ne connaissais pas vraiment. J’aime apprendre à découvrir ses films. J’aime aussi beaucoup le cinéma d’Agnès et son approche.

Quand elle m’a emmené chez Godard, on ne s’attendait pas à cela. J’étais choqué quand cela s’est passé. On avait vraiment rendez-vous à 9h30 et à 9h35 la séquence étaient finie puis on est parti au lac à 10 heures.
Je trouve que le fait qu’ils ne se soient pas revus, c’était très fort.

Agnès Varda : Moi, j’ai été désarçonnée. Godard est assez particulier et moi aussi. J’étais très contente qu’on aille au bord du lac. Je trouve que cela finit le documentaire de façon abrupte. Quand je repense à Godard et ses lunettes qu’il ne quittait pas, j’avais 33 ans à l’époque et toi, tu avais 33 ans quand on s’est rencontré et que je t’ai raconté cette histoire.

JR : Ce que je trouve magnifique, c’est que vous vivez le cinéma tous les deux. Le film, c’est du cinéma, la manière dont vous communiquez ensemble, c’est du cinéma.

Agnès Varda : Quand on se fréquentait beaucoup, on jouait aux cartes le dimanche avec Anna et Jean-Luc. On jouait au Bourguignon, un jeu très simple à peine plus compliqué que la Bataille. Cette rencontre ratée, ce n’est qu’une espèce d’accident qui est arrivé au projet.
Regardez tous les gens qu’on a rencontrés ? Je trouve qu’il nous ont fait de beaux cadeaux.

Quelle rencontre vous a le plus marqué ?

JR : On n’a jamais le même avis. Ces rencontres m’ont toutes marqué. Mais ma vraie rencontre du film, c’est celle d’Agnès. Collaborer en tant qu’artistes, c’est très dur, surtout dans l’art où il n’y a pas de règles.
Au début, je n’avais pas le droit de la filmer. Elle était contre les réseaux sociaux, Internet. On a appris à se connaître dans le film.

Agnès Varda : C’est impossible de choisir une. Au moins deux ou trois. Plusieurs m’ont impressionnée. Jeannine, car on a eu un choc avec elle, cette femme qui est la dernière habitante d’un quartier qui va être démoli. Il y a aussi cet homme rencontré dans l’usine. Il était bien habillé parce que c’était son dernier jour et qu’il partait à la retraite.

Il a un très beau visage grave et il nous dit être au bord d’une falaise et qu’il va tomber. Je me demande ce qu’il devient et comment il passe sa retraite.

J’aime aussi cet agriculteur tout seul avec son ordinateur et qui passe des mois à cultiver 800 hectares. C’est des situations qui m’ont frappé. Et j’aime la dame qui aimait les cornes des chèvres et se bat pour conserver celles de ses animaux.

JR : Je voulais que le titre soit « Et pourquoi pas une chèvre ? »

Agnès Varda : Ce n’est pas un documentaire animalier. Le titre, c’est tout un programme !

On retrouve le symbole des yeux qui sont mis partout. Pourquoi ?

JR : Au quotidien, je ne porte pas de lunettes de soleil. C’est juste quand je fais des photos et des vidéos. Je faisais des graffitis sur les murs à 17-18 ans, d’où mon pseudo de JR et j’étais obligé de me cacher, car ce que je faisais était illégal.

Plus tard, c’était compliqué, car j’avais un truc sur le visage pour le cacher. J’ai fait une interview et on ne comprenait rien de ce que je disais. Du coup, j’ai été acheter un chapeau et des lunettes de soleil.

Je ne travaille pas qu’en France, En Turquie, j’ai été expulsé. J’ai aussi eu des amendes. Cela a été chaud à la frontière du Mexique... Porter des lunettes me permet de faire mon activité, car on ne connaît pas mon identité. Selon les pays, l’affiche que l’on pose sur un mur ne veut pas dire la même chose.

Agnès Varda : Beaucoup d’entre nous vivent dans le paradoxe. Quand on va en direction de Lyon, on voit des yeux sur des citernes que JR a faits.
Le fait d’être un artiste est en soi un paradoxe. On veut mettre les gens en valeur, mais on est un peu narcissique. On a envie de plaire et de faire des films qui plaisent aux gens.

JR : Agnès voit souvent mes yeux. Les gens que j’ai photographiés voient mes yeux. Dans une favela où j’ai été, je n’avais pas de chapeau, car il n’y avait pas de journalistes qui pouvaient monter. C’est un rapport avec les images. C’est amusant de faire des yeux alors que je cache les miens.

Je commençais à mettre mon nom JR sur mes œuvres et j’ai fini par ne plus rien mettre. Il n’y a pas de copyright sur les photos qui s’exposent dans les rues. Je l’impose sur chacun de mes projets. Je n’ai pas de sponsors ou de marques.
Je mène ce combat en parallèle, car les gens doivent apparaître tels quels, et ne doivent pas servir à vendre un produit.

On a l’impression que le cinéma trouve une vision apaisante dans le flou ?

Agnès Varda : Il y a beaucoup de réalisateurs qui aiment le clair. Chaque cinéaste choisit ce qu’il veut faire.

JR : Le passage sur la poissonnerie montre bien notre collaboration. Moi, je cadre et mets au point et elle appuie sur le bouton de l’appareil. Je vérifie le point et on discute du sens de l’image. On s’entendait bien pendant les interviews. Le montage est le royaume d’Agnès et j’ai beaucoup appris avec elle.

Agnès Varda : Il n’y a pas de violence, de trame dans le film. C’était une difficulté de faire un montage fluide. Avec mes yeux, je vois une salle qui est floue, mais ce n’est pas mal de voir flou.

JR a une vision assez comique de mon vieillissement. On a 55 ans de différence d’âge, et je pense que cela ne nous a pas gênés pour travailler ensemble.

Quand on avait repéré quelqu’un, on faisait ensemble l’entretien et on choisissait les images à afficher ensemble. On partageait ce plaisir. Ce qu’on apprend des gens qui nous parlent, ce sont des cadeaux qu’ils nous font. On a envie d’apprendre des choses. Vous le saviez pour les cornes des chèvres, qu’on les coupait à leur naissance ?

JR : La réflexion du garagiste sur les boules, c’était formidable. J’en ai rêvé plusieurs fois de ces chèvres avec ces boules multicolores au bout de leurs cornes.

Agnès Varda : On voulait réveiller l’imagination des gens. Ils jouaient le jeu avec nous. Est-ce qu’on peut faire participer à un projet artistique des gens qui ont un boulot ? C’est cela qu’on essayait de faire.

Est-ce que les scènes ont été tournées dans le même ordre chronologique que ce que l’on voit dans le montage ?

JR : Le montage est presque dans l’ordre du tournage. Il y a quelques petits changements au centre du film.

Agnès Varda : On a marqué que c’était cela qu’on voulait faire. On a fait des progrès au fur et à mesure que le tournage avancé et on a fait des choses plus intéressantes. Dans le village abandonné, on a envoyé une fille pour prévenir les villageois alentours de venir. On leur a offert un repas. Ils ont découpé leurs photos. C’était comme un cirque ambulant. On a passé une journée ensemble. Depuis, ils ont démoli les maisons.
Le pire tableau éphémère, c’est le bunker.

Dans vos travaux, en mettant les autres en avant, c’est aussi une manière de parler de vous. Aviez-vous envie de faire un autoportrait ?

JR : J’ai donné plus que ce que je pensais donner.

Agnès Varda : J’ai fait Les plages d’Agnès qui était plus un autoportrait. Je n’ai pas fait des films pour cacher des choses. Je lâche beaucoup plus de choses que JR qui ne montre que sa grand-mère.

Quel est votre avis sur les réseaux sociaux ?

Agnès Varda : Il m’a tellement embêté, que je me suis mise à Instagram.

JR : Les réseaux sociaux, c’est très important pour parler du quotidien. Le collage, c’est des centaines de bandes d’affiches et de la colle. C’est physique et on peut y accéder gratuitement.
Pour faire ces collages, cela oblige à avoir de vrais liens entre les gens pour le faire bien. Il n’y a pas de lien physique sur les réseaux sociaux.

Agnès Varda : Moi, j’allume la télévision. Je ne regarde pas sur des petits appareils. Est-ce que cela vous suffit de parler sur les réseaux sociaux et de ne pas se rencontrer ? C’est une nouvelle façon de communiquer.

JR : En 2001, j’avais un site Internet et je postais une photo par jour.
Sur Facebook, cela m’aide dans les villes, car il y a toujours quelqu’un qui me connaît et me donne des renseignements sur l’endroit où je peux faire mes affichages, ou alors, il y a des gens qui arrivent pour m’aider à coller.

Agnès Varda : J’ai accepté de faire un Instagram. Vous n’allez pas me contraindre à passer mon dimanche sur les réseaux sociaux.

JR : Quand je fais des posts avec une faute, Agnès m’envoie des tas de mail !

Agnès Varda : C’est une politesse de ne pas faire de fautes d’orthographe.

JR : Maintenant, j’ai la dictée vocale.

Agnès Varda : C’est monsieur Siri qui est à moitié éduqué et qui fait des fautes !

Est-ce que vos œuvres vont durer dans le temps ?

JR : Le principe, c’est que c’est éphémère. Quand je mets une image sur un mur, les gens ont peur que cela abîme le mur et je leur explique que j’utilise une colle peu agressive. Puis quand ils voient l’image, ils me demandent si cela va durer, car ils veulent la garder.

Il y a des œuvres qui n’existent plus comme celle sur le bunker. Et quand on l’a posé, il y a eu un bouche à oreille incroyable. De plus, même si le collage n’est pas éphémère, vous n’irez pas forcément le voir. Il y a un coté poétique dans ce type d’œuvre.

Agnès Varda : Mais on l’a filmé. C’est un paradoxe. À Montfermeil, il y a une fresque de 36 mètres.

Il faut aussi aller voir les films quand ils sortent. Chaque mercredi, 18 films sortent. Très peu de films arrivent à survivre, car en général, les gens ne vont pas plus de deux fois au cinéma par semaine. Est-ce que les gens vont aller voir le film le 28 juin, jour de sa sortie ?

Je suis fière qu’on ait réussi à travailler ensemble et que la plupart des gens vous aient touché.

Y a-t-il eu des scènes coupées ?

JR : Quasiment pas. Dans le marché, on se baladait pour aller chercher le cadre. On s’est fait arrêter par quelqu’un qui pensait reconnaître Agnès. Quand on débarque dans un village, on ne nous connaissait pas forcément, ou alors les gens connaissaient le nom d’Agnès, mais n’avaient pas vu ses films.

J’aime que les gens s’arrêtent pour essayer de comprendre ce qui se passe, quel est notre projet. Bien qu’il y en ait qui râlent parce qu’on empiète sur leur trottoir quand ils veulent passer ou se plaignent du prix que va coûter le nettoyage du mur…

Agnès Varda : Moi, j’aime qu’on me dise « merci » et pas « bravo » pour ce que j’ai fait.

Comment c’est passé votre collaboration avec M ?

JR : C’est un ami commun. Il est venu un jour et a fait quelques notes et Agnès n’a pas aimé. Il est revenu, et a fait des choses. Tu as été très dure avec lui Agnès.

Agnès Varda : Il a amené de la douceur et de la mélancolie, ce qui était surtout important sur la fin.

Visages, villages est un excellent documentaire qui fait chaud au cœur, permet de passer un bon moment de détente et de rencontrer pleins de gens passionnants. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.

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VIDÉOS

Rencontre avec Agnès Varda et JR :


Bande annonce :



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