Juliet : Interview de Marc Henri Boulier

Date : 09 / 02 / 2016 à 08h55
Sources :

Unification


Le court métrage de science-fiction de Marc Henri Boulier Juliet.a emporté des prix dans différents festivals, celui du public au Festival des Utopiales 2015 et le Prix du jury Ciné Frissonau PIFFF 2015 et a été sélectionné en compétition au Festival de Gérardmer 2015.

Le réalisateur Marc Henri Boulier a accepté de répondre à une interview d’Unification que vous pouvez retrouver ci-dessous. Une interview passionnante d’un jeune réalisateur de film de genre dont j’attends le premier long métrage avec impatience.

Juliet est un court métrage très sympathique. Avec une très belle photographie, une mise en scène parfaitement maîtrisé et des acteurs particulièrement convaincants, il a bien gagné ses prix. Il suffit d’ailleurs de voir l’excellente scène d’ouverture pour en être convaincu.
Le court métrage a été acheté par les chaînes Canal+ et Ciné Frisson et les abonnés pourront le découvrir avec plaisir.

Juliet est un film qui utilise une thématique régulièrement utilisée dans les courts métrages de science-fiction. Pourquoi avez-vous voulu exploiter à nouveau cette idée ?

En fait, l’idée de Juliet remonte à 2012, à une époque où au cinéma, les robots à visage humain apparaissent dans des films se déroulant bien souvent dans un futur « éloigné » de leur époque de conception (Blade Runner, Terminator, Battlestar Galactica ou AI) et les histoires suivent bien souvent le même déroulement narratif, c’est à dire, la révolte de la machine envers son concepteur ou le questionnement sur l’identité humaine, pour schématiser. L’idée donc du film me vint en revoyant Westworld et son parc d’attractions futuriste. Dans ce film, les robots sont programmés pour accomplir uniquement des taches simples, répondre à des stimuli et lorsque la situation dégénère, il n’y a pas de regroupement organisé ni de révolte à proprement parlé (les robots se détraquent à cause du sable et de la chaleur) ; j’aimais beaucoup cette idée et je décidais de transposer cela à notre époque, dans une société proche de la notre, ce qui avait été très peu fait jusque là. J’aimais surtout l’idée d’une humanité non pas remplacée par une intelligence supérieure, mais devenant folle, car laissant trop de place ou accordant trop de pouvoir à des mécaniques relativement simples accomplissant des taches rudimentaires et surtout dépourvues d’émotions et d’agressivité car passives en toutes circonstances. Je trouvais l’angle intéressant et relativement nouveau, d’où mon envie de faire ce film.

Trois ans plus tard, le sujet semble être revenu à la mode et les androïdes sont partout : Real Humans (qui sont malheureusement arrivés au moment où nous commencions à financer le film) Ex Machina etc… Et dans les courts métrages également.

Mais surtout dans Juliet, le robot n’est pour moi qu’un prétexte, une métaphore non pas pour parler de ce qui nous rends humain, mais pour traiter des sujets comme les rapport homme-femme, la consommation, les comportements de masse ou des thèmes qui me sont chers comme le conformisme et la peur de l’autre.

La photographie de votre film est vraiment très belle. Comment avez-vous réussit à l’obtenir en sachant que les budgets des courts métrages sont généralement très faibles ?

Pour être tout à fait honnête, nous avons eu la chance d’avoir un budget assez important pour faire le film, même si celui-ci restait assez raisonnable au vu de la somme de travail demandé. Nous avions donc les moyens de créer la lumière souhaitée. Et mon chef-opérateur, Stéphane Degnieau, qui a déjà signé la photographie de Tous les hommes s’appellent Robert, mon précédent court-métrage, est quelqu’un de très doué.

Anaïs Bertrand, la productrice du film, savait dès le départ que nous ne pourrions faire le film avec un budget limité en jouant l’astuce ou la débrouille. Il ne fallait surtout pas que le film fasse « cheap », car du visuel au discours, tout aurait sonné faux. Il fallait au contraire que le film soit fort, avec pour les fausses pubs et les passages de fiction, une esthétique très travaillée pour que tout soit crédible. Pour ce faire, nous avons beaucoup travaillé en amont sur la direction artistique, en collectant des références visuelles pour la photographie et en faisant des fiches pour les décors, les costumes, les accessoires, les fonds d’incrustations ainsi que des nuanciers pour les tons et les couleurs à respecter scrupuleusement pour chaque ambiance. Avec ces informations, Stéphane a construit sa lumière, en travaillant en collaboration avec les chefs de postes cités plus haut afin que tout soit cohérent et conforme à ce que nous souhaitions.

Il est très intéressant de voir que Juliet est de plus en plus habillée au fur et à mesure de ses différentes versions. Est-ce un choix voulu pour montrer que la machine est de plus en plus humaine et de moins en moins sexuelle ?

Tout à fait. Les vêtements ont été pensés de manière évolutive. Je voulais montrer que la machine, sans pour autant devenir plus perfectionnée, est conçue pour que le consommateur considère celle-ci de plus en plus comme un être humain, la complexité des relations en moins. La fonction de base de la Juliet reste toujours la même, à savoir une « poupée gonflable », un jouet sexuel, mais elle devient au fur et à mesure autre chose, un véritable partenaire de vie, ce qui est nettement plus acceptable et surtout lucratif, pour toucher un plus large public. Exactement comme ces smartphones qui peuvent aujourd’hui accomplir toutes sortes de choses mais dont la fonction première reste de téléphoner, ce que l’on oublie trop souvent. D’ailleurs pour poursuivre dans cette idée, les vêtements ont été conçus comme les coques et les accessoires d’une certaine marque, que les fausses pubs et le film parodient allègrement : Si vous achetez un nouveau modèle, il vous faut tout racheter.

Les acteurs sont particulièrement bien choisis et convaincants. Comment le casting s’est-il fait ?

Pour le rôle de Juliet, nous avons pensé très tôt à Alix Bénézech, dont nous connaissions le travail et pour l’avoir déjà croisée en festivals notamment, rôle qu’elle accepta tout de suite. Pour le personnage principal, Anaïs rencontra Bruno Putzulu lors du Festival Courtmétrange à Rennes et lui parla du projet. Il n’avait pas fait de court métrage depuis 2000, mais il accepta gentiment de lire le scénario qu’il adora.

Anaïs connait bien Catriona Maccoll et comme celle-ci avait adoré Tous les hommes s’appellent Robert elle était ravi à l’idée de faire un guest dans mon prochain film. Pour Patrick Eudeline, j’avais décrit son personnage comme « un critique Rock, un type à la Patrick Eudeline ». Nous avons donc essayé de caster des comédiens mais aucun ne faisait vraiment l’affaire. Et puis Anaïs m’a dit « Pourquoi ne pas essayer d’avoir le vrai ? ». Elle a récupéré son contact, lui a envoyé le scénario et il a accepté, tout simplement.

Enfin pour les autres rôles, nous avons procédé de manière assez traditionnelle : Le film étant co-produit par la Région Nord-Pas-de-Calais dont je suis originaire, nous avions obligation de tourner sur le territoire et de faire travailler des techniciens et des comédiens régionaux. Mon co-scénariste Michaël Fagnot s’occupe également de casting pour des téléfilms et des longs métrages, et tout comme pour Tous les hommes s’appellent Robert, il s’est chargé de trouver ces comédiens. La région Nord-Pas-de-Calais finance et accueille beaucoup de tournages, il y a donc là un vivier de bons comédiens qui tournent régulièrement et Michaël les connait tous. J’ai commencé par faire des fiches pour chaque rôle, en donnant des indications sur le physique, le caractère ou la personnalité envisagée, parfois en ajoutant des photos de personnages de films ou de personnalités. Après en avoir discuté avec lui, il a fait une sélection et m’a envoyé les photos des différents comédiens qu’il avait retenus. Puis ensuite nous avons refait une sélection et convoqué les candidats qui correspondaient pour leur faire passer des essais.

Vous évoquez les animaux dans votre film, mais ne les présentez pas. Est-ce à cause de la difficulté de travaillez avec eux et / ou du coup que cela aurait occasionné en plus ?

Vous parlez du Chien Robot ? Non en fait il n’a jamais été question de montrer des animaux dans le film. C’est plus une boutade qu’autre chose : A la fin des années 90, Sony a commercialisé pendant quelques mois un chien robot, révolutionnaire, mais qui a surtout été un flop (rires). Le citer était pour moi une façon de faire référence à quelque chose que le public connait déjà et donc, inscrire le film dans une certaine forme de réalité. Si le personnage du PDG de SEED en parle dans la séquence de l’interview, c’est surtout une manière pour lui, outre le fait de rassurer « provisoirement » le public, de lancer une pique vers un concurrent et de lui montrer qu’il ne fera pas l’erreur d’investir dans un secteur qui n’a rien donné par le passé. Ce n’est qu’un détail, mais cela souligne un peu plus le modèle économique et stratégique développé par la société SEED, et participe à son authenticité.

Combien de temps avez-vous mis pour faire Juliet ?

De l’idée de base au film terminé, il s’est écoulé à peu près deux ans et demi : Un peu plus d’un an et demi pour les recherches de financements, deux mois de préparation pour huit jours de tournage, plus la post-production dans la foulée.

Combien de temps a duré la postproduction ?

La post-prod s’est étalée de fin janvier à fin mai 2015, quatre mois donc, ce qui peut paraître assez court pour un film aussi complexe. Le film ayant une forme de narration assez atypique, et même si le montage définitif suit le scénario d’assez près, une nouvelle écriture du film étant possible dans la salle de montage, les combinaisons étaient infinies. Sans aller jusque là, 16 versions de montage, avec des changements parfois infimes entre certaines, ont été nécessaires pour en arriver au résultat final. La phase de création des effets numériques a été très longue également. Il y a pas mal de plans truqués dans le film (parfois des changements imperceptibles…) et il a fallut suivre leur fabrication, parfois demander plus de ceci, moins de cela, pour trouver le bon équilibre et arriver au rendu définitif. La Compagnie des Effets Visuels qui s’est occupé de ceux-ci a fait un travail remarquable à ce titre.

Avez-vous une ou plusieurs anecdotes à a raconter sur le film ?

Le tournage s’est plutôt bien déroulé, sans histoires ou retard. Ce sont plutôt des choses ou des évènements en amont. Pendant la préparation nous avions repéré des maisons et choisi trois d’entre elles pour accueillir nos intérieurs. Et à une semaine du tournage, après un deuxième repérage technique avec une partie de l’équipe, l’un des propriétaires a changé d’avis, décidant qu’il ne voulait plus s’embêter avec un tournage. Nous avons donc dû repérer à nouveau d’autres maisons, dans l’urgence, pour finalement trouver une nouvelle maison, un peu moins complète et pratique au niveau des pièces mais dont les propriétaires ont été particulièrement accueillants et charmants. Et au final et après un travail assez ingénieux de la part de l’équipe déco, cette maison s’est révélée parfaite, offrant un rendu nettement plus beau à l’écran.
Egalement la veille de son premier jour de tournage, alors que nous venions de commencer de notre côté, Alix la comédienne principale fait une chute dans la rue et s’écorche les deux genoux. Elle nous envoie une photo des dégâts, rendant impossible ses scènes jambes nues, un problème pour un androïde sexuel. Nous avons commencé à réfléchir à comment camoufler ses blessures, avec du maquillage par exemple et puis finalement l’idée est arrivée : Alix devait porter des bas uniquement pour la scène de la chambre, au début de la première pub mais devait ensuite passer l’aspirateur en portant la première tenue, une sorte de maillot de bain assez graphique, les jambes nues. Nous avons donc fait des essais avec le maillot de bain et les bas ce qui finalement fonctionnait encore mieux, ajoutant un côté beaucoup plus sexy et sulfureux à cette scène d’aspirateur en plan large. Au final, ces deux imprévus, au lieu de nous retarder ou nous handicaper, ont au contraire servit le film. C’est dans ces moments, et une fois passée la contrariété, qu’on se dit que le film est sur de bonnes bases !

Il existe également une scène inédite d’une trentaine de secondes, coupée parce qu’elle ralentissait un peu la rythme, et un plan que nous n’avons jamais tourné, faute d’avoir trouvé un décor extérieur satisfaisant, mais tout cela est une autre histoire.

Sur votre précédent court métrage Tous les hommes s’appellent Robert, vous aviez fait un gros travail sur le story bord. Est-ce aussi le cas sur Juliet ?

Non pas cette fois. Pour Tous les hommes s’appellent Robert j’avais d’abord cherché à un faire un story-board dans le but de convaincre un producteur de s’engager sur le film. Et même si au final, Anaïs et Insolence Productions ont été séduits dès le scénario, mon story-board et mes idées ne firent que confirmer la bonne impression ressentie à la lecture.

Ici, les choses sont différentes : Tous les hommes s’appellent Robert qui a une approche plus traditionnelle, nécessitait vraiment un story-board, mais Juliet est un film vraiment atypique dans sa mise en scène. Le fait de travailler avec la même productrice et le même chef-opérateur permet également de gagner du temps, nous nous connaissons mieux. Il faut savoir que je pré-découpe dès l’écriture du scénario, essayant dans mes descriptions, de donner au lecteur une idée précise de ce que sera la mise en scène afin d’éviter toute interprétation trop « personnelle » de sa part. Anaïs sait comment je travaille et comprend parfaitement la mise en scène dès la lecture du scénario. Ensuite, une fois l’écriture terminée, je fais comme à chaque fois un découpage technique, le plus précis possible qui permet de discuter plus concrètement de l’aspect technique de la réalisation avec la chef-opérateur, l’ingénieur du son etc… Et comme j’avais déjà fait mon court métrage précédent avec Stéphane Degnieau à la photographie, et que je connais également sa façon de travailler, les choses ont donc été plus simples cette fois.

Vous travaillez avec Insolence Productions depuis votre court métrage précédent. Comment a commencé cette collaboration ?

Justement par une histoire de story-board. C’était en 2006. Je cherchais à monter Tous les hommes s’appellent Robert. A l’époque, j’avais atteint les limites de l’autoproduction et je cherchais un producteur qui comprenne vraiment ce que je voulais faire, s’implique réellement et fasse vivre le film une fois terminé. J’avais déjà envoyé mon scénario à droite à gauche pour n’essuyer que des refus. Et comme je le disais plus tôt, j’ai donc décidé de faire faire un story-board afin de m’aider à convaincre une boîte de prod. J’ai trouvé un story-boarder en cherchant sur internet : Il avait dessiné celui d’un court métrage Absence de Kévin Lecomte, premier film produit par Insolence Productions. C’était une jeune société qui souhaitait œuvrer dans le cinéma de genre en France, ce qui pour moi était parfait. J’essayais donc de voir ce court et une fois chose faite, je récupérais le contact d’Anaïs Bertrand, la productrice et lui envoyait le scénario. Par chance, elle eu un vrai coup de cœur et elle me répondit quelques semaines plus tard en me disant qu’elle voulait faire le film. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus et depuis nous travaillons ensemble. Car avant d’être des fans de cinéma fantastique ou d’horreur, Anaïs et moi aimons d’abord le cinéma en général. De plus, nous avons tous les deux la même vision du genre et de ce que nous voulons en faire.

Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?

Je travaille actuellement au développement de mon premier long-métrage Echos, co-écrit avec Michaël Fagnot et toujours pour Insolence Productions. Nous avons déjà reçu une aide à l’écriture de la Région Nord-Pas-de-Calais et le projet a été sélectionné dans le cadre d’une résidence d’écriture européenne, qui s’est achevée en décembre 2015. Grâce à celle-ci, nous avons aujourd’hui un traitement solide et nous terminons actuellement notre dernière réécriture du scénario. L’année 2016 a plutôt bien commencé et j’espère donc qu’elle continuera sur cette même lancée.

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