Pourquoi j’ai pas mangé mon père : Rencontre avec Jamel Debbouze

Date : 08 / 04 / 2015 à 09h10
Sources :

Unification


A l’issue de la projection de Pourquoi j’ai pas mangé mon père, nous avons pu rencontrer Jamel Debbouze qui a répondu à nos questions.

Ainsi avant l’arrivée de l’homme-orchestre du film, nous avons eu droit à une explication passionnante de la technique utilisée dans le film.
C’est Jean-Paul Da Silva, concepteur de l’headcam "Third Eyes", de l’équipe technique qui est venu faire cette présentation.

Pourquoi j’ai pas mangé mon père - Module "Tournage" HD


Il y a eu 5 ans de tournage sur Pourquoi j’ai pas mangé mon père. Le tournage des acteurs a eu lieu à Stains (Seine Saint-Denis), durant deux mois, dans un local de mille mètres carrés équipé de soixante-dix caméras disposées sur 360°, de quarante ordinateurs et d’un disque dur d’une immense capacité.
Nous avions parfois jusqu’à 18 acteurs sur le plateau alors que dans notre film précédent Renaissance nous ne pouvions en filmer simultanément que 4 ou 5.
Nous avions 70 caméras 4K qui filmaient à 71 images par seconde la performance corporelle. Nous avions aussi une caméra qui filmait la performance faciale.
Au début, nous avons acheté la caméra qui avait servi à tourner Avatar, La planète des singes et Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne car il s’agit d’une technologie américaine.
Quand nous avons reçu la mallette contenant le casque, nous l’avons ouverte et nous somme devenus comme des gamins devant. Mais nous nous sommes vite rendu compte qu’un casque de 7 kg ne pourrait pas être utilisé pour tourner le film.
En effet, nous avons fait un essai avec Jamel, mais ce n’était pas possible de passer plus de 2 mois de tournage avec ce poids sur la tête.
Il restait 18 mois avant le tournage avec les comédiens. Nous avons donc créé un département R&D (recherche et développement) et nous avons développé le Mocap. Le casque pèse maintenant environ 450 grammes. Il a été prêt juste la veille du tournage. Les acteurs ont donc découvert cette caméra le jour du tournage.
La micro caméra qui enregistre les expressions faciales fait elle 35 grammes.
Il y a aussi un boîtier enregistreur dans le dos des tenues. En effet les scènes étaient parfois très physiques. Il nous fallait donc une technologie sans fil.
En ce qui concerne les décors, ils étaient constitués de grillage pour voir les marqueurs des costumes à travers.
Par contre avec notre mini caméra, il n’y avait pas besoin de mettre des marqueurs sur le visage des acteurs.
La Mocap réuni donc la motion capture qui est la capture du corps et la performance capture qui est la captation des expressions du visage.

Les éléments suivants ont été brièvement abordés, mais ayant trouvé cela techniquement très intéressant, je me permets de citer quelques phrases du dossier de presse :

En ce qui concerne le personnage de "Louis de Funès" :
« Patrice Thibaud, le comédien qui l’incarnait le mieux dans la gestuelle, est plus grand et massif que Louis de Funès. Nous sommes partis de son squelette puis l’avons fait maigrir de manière digitale en enlevant de la chair à son enveloppe. Les expressions du visage ont été fabriquées sur ordinateur à partir d’archives photos et vidéos. Pour la voix, l’IRCAM a développé un logiciel pour le film afin de récupérer dans les archives le plus de phonèmes possibles pour récréer sa voix : c’est Patrice qui apporte la dynamique, le phrasé. Ensuite, la partition est resynthétisée grâce à une bibliothèque de voix de Louis de Funès pour apporter timbre et tessiture. »
Un travail, il faut bien l’avouer, impressionnant !

Les acteurs ont été captés tels quels, mais il est arrivé qu’un des comédien n’ait pas l’apparence qu’il devait avoir dans le film :
« Arié Elmaleh est la seule personne dont le langage corporel nous ait convaincu pour incarner Ian. Il a la même taille, la même longueur de bras que notre sympathique simien, mais pas son embonpoint. Il a donc tourné avec un faux ventre pour avoir l’encombrement approprié. »

Costume et casque de la Mocap


Voici la retranscription des échanges qui ont eu lieu entre Jamel Debbouze et la salle. Pour un souci de lisibilité, les réponses de Jamel Debbouze sont par défaut, celles de Jean-Paul Da Silva sont indiquées après son nom.

A quel moment avez-vous décidé de faire un film d’animation ?

Il s’agit d’un accident comme pour toute ma carrière. Pathé a travaillé sur le projet pendant 10 ans, puis m’a proposé de travailler dessus il y a environ sept ans. J’ai commencé à changer quelques lignes de dialogue puis j’ai transformé la structure et enfin j’ai obtenu une histoire différente. A la fin Pathé a jugé cela bien, quoique beaucoup plus populaire que l’histoire originale, mais l’a trouvé à son goût.
Nous avons utilisé la technique de la performance capture dans une salle de 1 000 m2. 70 caméras nous filmaient sur 360 degrés. Cela avait beaucoup plus de rapport avec du théâtre filmé qu’avec du cinéma car on pouvait tourner de longues scènes sans avoir besoin de raccord lumière, coiffure ou maquillage..

Pourquoi ce changement de scénario ?

Chacun voit ce qu’il veut de la sorcière, moi personnellement J’y vois, entre autres, de l’obscurantisme.
J’ai écrit l’histoire il y a sept ans et c’était déjà d’actualité.
Pathé a travaillé 10 ans sur l’adaptation du livre de Roy Lewis. Pour mon premier film je n’avais pas forcément envie d’aller dans la préhistoire. Mais mon intérêt est venu grâce à la performance capture. J’aime beaucoup Avatar mais je ne suis pas fan de Tintin car je ne vois pas vraiment l’intérêt d’utiliser cette technique pour faire des personnages humains. Je trouve que le résultat n’est pas très attirant alors que dans La planète des singes, c’est parfaitement justifié. Faire le singe avec la performance capture est le meilleur moyen pour raconter une histoire.
La performance capture est vraiment une opportunité pour un acteur.
En ce qui concerne mon bras, il fallait soit qu’il soit réalisé en images de synthèse, soit que ce soit justifié dans l’histoire.
En fait le personnage devient bipède car c’est lié à une contrainte physique.
J’ai aussi travaillé sur l’amour, l’amitié, l’exclusion.

Dans votre premier film d’animation Dinosaure vous faisiez la voix d’un lémurien. Est-ce cela qui vous a inspiré de faire un film d’animation ?

Non jamais de la vie ! Nous avons fait des essais en performance capture et j’ai trouvé ma silhouette reconnaissable, d’où l’idée d’utiliser cette technique.

La fin du film est ouverte. Envisagez-vous de faire une suite ?

J’ai passé sept ans à faire ce film. J’ai fait beaucoup de sacrifices. J’ai un peu délaissé les miens. Je dois tenir les promesses du Jamel Comedy Club entre autre. Tout cela additionné à deux enfants… Le film forme une boucle. J’ai passé beaucoup de temps à attendre. Peu de temps après la fin du tournage je suis allé voir ceux qui faisaient les effets spéciaux. Ils ajoutaient les poils aux personnages, mais chaque poil à la main ! Et ça prenait des jours entiers ! En plus, quand le personnage bougeait, il fallait que les poils bougent. Il fallait attendre sans arrêt ! J’ai pris plaisir à vivre cette expérience, mais je suis en jachère maintenant.

Pourquoi faire un hommage à Louis de Funès ?

C’est une évidence, c’est l’un des premiers mecs à m’avoir fait rire. Ça me fait penser à une anecdote. Nous avons eu pour la première fois une télévision couleur en 1983. Nous étions comme des dingues. Même de la famille était venue du Maroc pour voir ça. On a allumé la télévision et on est tombé sur un film de Charlie Chaplin en noir et blanc !
De Funès a fait rire la famille. J’avais un père qui n’était pas très expansif. Il travaillait la nuit et on ne le croisait pas souvent, généralement entre 20h00 et 20h30. Mais nous riions en famille devant de Funès. C’est lui qui m’a donné envie de faire mon métier. Mais c’est quelqu’un qui est très loin devant nous les autres comiques, d’où cet hommage.

Pourquoi cette référence à La folie des grandeurs ?

Le tournage était prévu mais je n’étais pas convaincu par le texte. Je ne le sentais pas car je trouvais que les seconds rôles n’étaient pas assez développés. J’ai alors distribué leurs textes aux différents comédiens et je leur ai demandé de travailler sur leur propre partition et on a reporté le tournage. C’était comme une improvisation théâtrale. Au début le film durait 4 heures. C’est là ou l’hommage à La folie des grandeurs de Louis de Funès a été trouvée.

Pourquoi Édouard est-il le seul à porter un pagne ?

Cela l’aide à tenir et à traîner son bras.

Êtes-vous intervenu sur la direction artistique du film ?

Oui et j’ai été engagé uniquement pour ça ! J’ai écrit le scénario, orchestré les répétitions, composé avec les techniciens.
La caméra était géniale mais trop lourde. Ils ont dû donc trouver un moyen de l’alléger.
On me disait qu’on pouvait tourner des scènes en performance capture de 5 à 10 acteurs, mais je répondais qu’on était parfois 20 prévus dans la scène.
Parfois on poussait tellement que la caméra était fatiguée et il fallait lui laisser le temps de se reposer. En plus si on touchait une caméra au sol on la décalibrait. Il fallait alors faire 25 minutes de pause pour la recalibrer.
On ne pouvait pas non plus se toucher. C’était très compliqué de jouer.
Le plus dur était de se mettre à quatre pattes et de parler en même temps. J’ai une formation de danseur. Mais les acteurs en France n’ont pas la culture de l’addition : les mots + le corps + les contraintes du décor.
C’est encore plus difficile quand on vient de la Comédie-Française.
Comme j’avais du mal à trouver des acteurs, j’ai été cherché des danseurs et des acrobates. En plus ces derniers sont devenus de très bons comédiens.

Comment avez-vous fait l’apprentissage de la réalisation d’un film ?

Au feeling. On est en apprentissage toute sa vie. J’ai passé tellement de temps avec les gens du métier. Je passe mon temps à poser des questions. Je me saoule moi-même. Je n’attends pas bêtement mais je vais voir les choses et je pose des questions aux gens. Du coup quand on me dit « ne touche pas à ça ! », c’est souvent trop tard…
J’ai aussi passé beaucoup de temps en salle de montage. En plus je regarde beaucoup de films pour voir comment les réalisateurs ont fait.
Après les prises de vues, je me mettais devant les écrans et je regardais ce qu’on gardait où pas.
J’aime beaucoup le film. Il y a une telle matière dedans. Parfois il faut faire le deuil de ce que l’on aime.
La caméra enregistre les images, puis on relie les points des capteurs et on ajoute les poils aux silhouettes ainsi obtenues.
J’avais une super idée dans la première scène du miroir. Gudule se regarde dedans et dis « Whoua ! Je suis une bombasse ! ». Sa meilleure amie regarde dedans et dit « Whoua ! Tu es une bombasse ! ». Mais on n’a pas voulu de cette scène dans le film.
Toujours dans la même scène, Marcel se rapproche du miroir, mais la mère simienne se rapproche du miroir et quand il se penche dessus, elle met son uc (cul en simmien). Il est étonné et se repenche sur le miroir et la mère met à nouveau son uc. Il ne dit rien, mais on voit dans son regard qu’il pense « j’ai une tête de uc ! »
Mais on m’a dit que ça dérythme le film et que la scène du miroir serait trop longue. J’ai dû faire face à un comité de censure. J’ai dû me faire à la dictature du rythme…

Comment cela fait de travailler avec sa femme qui commence une carrière d’actrice dans ce film ?

C’est un hasard. J’ai longtemps cherché une comédienne pour interpréter Lucy. J’écrivais le scénario à la maison et ma femme me lisait en cachette. Et si on avait des disputes, elle me sortait des trucs comme « ta scène 21 » est vraiment nulle ! Elle me critiquait mais elle avait souvent raison. Comme j’étais macho, je ne lui disais pas tout de suite qu’elle avait raison. J’ai vraiment fait des découvertes sur moi, entre autre que j’étais un sacré macho.
Et puis même si elle est journaliste, de par son métier et l’adaptation qu’il implique vis à vis de différentes situations en prime-time, elle est aussi un peu actrice.
On était dans la cuisine, elle m’aidait à répéter mon texte et je me suis rendu compte qu’elle jouait. Elle n’avait pas besoin de texte. Elle incarnait Lucy. Je n’ai pas eu besoin de la pousser beaucoup pour qu’elle aille passer le casting pour Lucy et elle a eu le rôle. Je lui ai demandé de donner un accent à son personnage qui vient d’ailleurs, d’où cet accent un peu brésilien qu’elle a.

Quelle est votre étape de production préférée ?

Après le tournage, je n’arrivais plus à tenir en place. Je suis allé à Mumbai en Inde dans le studio Prana qui a fait la majorité des effets spéciaux. C’est le même studio qui a fait L’Odyssée de Pi. J’ai visité le studio où avait été tourné le film : le fond était bleu, le tigre une peluche et la barque un bout de planche sur laquelle ils avaient mis un revêtement. Là-bas, je me suis retrouvé dans une salle d’attente à côté de John Lasseter, le réalisateur de Toy Story et Cars 2 car le studio Prana travaille avec Pixar et DreamWorks.
Puis j’ai eu la flemme d’attendre sur place et je suis rentré à Paris.
La couleur faite en Inde ne me plaisait pas. J’ai donc demandé à ce que de la lumière soit rajoutée, principalement dans les yeux des personnages afin de leur donner plus de vie. Je voulais une homogénéisation de la lumière dans tout le film. Du coup je trouve que c’est maintenant beaucoup plus joli.
Le plus surprenant pour moi a été de rencontrer de jeunes français : manipulateurs, animateurs et dessinateurs.
J’ai aussi fait remarquer que le casque était trop lourd. J’ai fait un essai et j’ai dit qu’il était impossible de passer 10 heures par jour à 4 pattes avec plus de 7 kg sur le crâne. Le problème a été réglé le premier jour du tournage avec une caméra super légère.
Il faut encourager les animateurs français car ils sont bourrés de talent et doivent partir à l’étranger parce qu’il n’y a pas assez de travail en France pour eux.

Comment passer d’un casque de 7 kg à un qui ne fait que 450 grammes ?

Jean-Paul Da Silva : on a mis un an pour trouver une solution. Plus de la moitié du film, les personnages sont à quatre pattes. On ne pouvait pas imposer un casque aussi lourd aux acteurs. Ces derniers ont eu 1 an de préparation physique avec un coach, Cyril Casmèze de la compagnie du Singe debout, pour interpréter des singes et apprendre à bouger comme eux. Il a aussi fallu rendre le décor transparent pour qu’on puisse voir les capteurs à travers. Il est composé de grillage entre autre.
Le casque est en composite. L’idée nous est venue d’un exo-crâne. Cela permet en plus d’éviter une pression en certains endroits du crâne. En effet les autres casques ont des attaches sur la tête.
Nous n’avons pas forcément utilisé la meilleure caméra, mais elle était bonne et petite. En plus pour alléger encore plus l’ensemble, nous n’avons pas utilisé de système de redondance en cas de panne au contraire du casque américain.

Quel a été votre travail sur le langage ?

Les bêtises sont sorties spontanément. J’ai appris le français pour mieux l’utiliser. Je me suis beaucoup inspiré d’amis d’enfance qui ne savaient pas l’utilisation correcte du verbe être.

Qu’en est-il du story-board et de la 3D ?

L’idée d’utiliser la 3D est venue tout de suite. Le résultat du premier test en Mocap était impressionnant (petit nom de la motion capture + performance capture).
Nous avions réalisé un petit test. Je l’ai montré à mon fils qui avait neuf mois et j’ai vu son regard aller de l’ordinateur à moi et de moi à l’ordinateur. J’ai compris qu’il se disait : « dans cette boite il y a un singe qui ressemble à mon père ». Et je me suis rendu compte que ça marchait.
Nous avons aussi fait une animatique en 2D qui reproduit tout le film plan par plan.

Au niveau du rendu, quel est le temps de calculs entre les frames ?

Jean-Paul Da Silva : je n’étais pas en Inde donc je n’ai pas géré cela. Mais le film fait 3 000 To de données ce qui en fait sans doute l’un des films les plus lourds du monde.
Les temps de calculs sont très longs car il y a de multiples ajouts de couches ce qui fait un volume colossal.
Ce n’était pas possible de faire le film uniquement en France car il a fallu le travail de 250 personnes.

Quelle est la partie de Jamel dans Édouard ?

Beaucoup de choses qui viennent de ma vie et de mes rencontres. L’amitié, le rejet, quand je me suis cassé le bras…

Jamel Debbouze est quelqu’un de très drôle. Tout comme son film qui est très agréable à regarder et dont la réalisation technique force l’admiration.
Vous pouvez en retrouver la critique ICI.


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