La voie de l’ennemi : Rencontre avec Rachid Bouchareb

Date : 07 / 05 / 2014 à 10h30
Sources :

Unification


A l’issue de la projection du film La voie de l’ennemi, Pathé nous a permit de rencontrer son réalisateur Rachid Bouchareb.
Voici la retranscription des questions qui lui ont été posées et de ses réponses.

Quelle a été la genèse du film ?
Rachid Bouchareb : je suis parti du film Deux hommes dans la ville qui m’a beaucoup touché enfant. J’avais depuis longtemps l’envie d’en faire un remake. Mais finalement le film est trop intéressant, en faire un simple remake n’aurait rien apporté de plus à l’œuvre originale.
J’ai rencontré Forest Whitaker à Los Angeles au moment de la promotion américaine de Indigènes. Il était intéressé par l’idée de tourner un film avec moi.
Avec mon scénariste Olivier Lorelle, nous avons fait une enquête au Nouveau Mexique ainsi qu’à la frontière avec le Mexique. Nous y avons rencontré le shérif, la milice anti-immigrant. Puis nous avons décidé de nous éloigner. Nous avons rencontré des gens du T parti.
Tout cela a permit une évolution du projet qui a abouti au film La voie de l’ennemi.

La fin est-elle conditionnée par Deux hommes dans la ville ?
Rachid Bouchareb : ça a été une décision de montage. La scène tournée après la fin du film n’a jamais été montée.
Tout au long du tournage, je n’étais pas content de la fin du film. Au cinéma, quand on ne le sent pas, ça dérange.
Une semaine après la fin du tournage, j’ai fait retourner la fin du film avec Forest Whitaker et Harvey Keitel, mais ça ne fonctionnait pas. Donc la fin du film se situe 4-5 séquences avant la fin originale.
En fait cette fin devait se situer à la frontière du Mexique, au niveau du mur.
Au niveau du montage, je n’ai pas insisté car il n’y avait pas d’osmose.
A la fin originale, il y avait un plan de 10 mètres de haut. Nous avons fait venir de Los Angeles une grue ainsi qu’un pilote d’hélicoptère. Ce plan final a été une galère à tourner et finalement nous ne l’avons pas utilisé.
Quand on fait du cinéma, on tourne pleins de trucs. Le film durait originalement 3 h 40.
Quant à la fin du film ce n’était pas cela. Ça a hanté le tournage.
A la fin il y a eu 3 mois de discussion pour en changer car aux États-Unis quand on décide de faire quelque chose dans un film il faut s’y tenir.

[Suite à la remarque de l’animateur de la session, Rachid Bouchareb nous annonce que ce serait peut-être une bonne idée de mettre cette fin, ou une fin alternative, dans les bonus du DVD ou d’offrir un film en version director’s cut.]

Avez-vous voulu montrer dans votre film le fait d’être un musulman et le rapport à l’Islam aux États-Unis ?
Rachid Bouchareb : non. J’ai travaillé sur les prisons américaines et les afro-américains. L’idée de se convertir à la religion, c’est très important au niveau de la culture afro-américaine. J’ai rencontré des prisonniers convertis.
C’était un pari pour le film. L’histoire et le scénario avait pour objectif de raconter une histoire qui portait sur le danger qu’on représente pour soi et pour les autres. L’idée de la religion n’était qu’un support.
Il s’agit de l’itinéraire d’un personnage avec une grande colère intérieure.
Forest Whitaker a maigri pour ce film. Il a changé de physique. Il s’est beaucoup investi dans le film, a rencontré des gens, Brenda Blethyn et Harvey Keitel.
Il a commencé à enquêter et se documenter pour le film 6-8 mois avant le début du tournage. Il a rencontré des prisonniers, des imams…
J’ai aussi parlé des USA avec Forest Whitaker et notamment de la construction du mur entre les USA et le Mexique et de la justesse du film.
Forest Whitaker avait beaucoup d’envie d’interpréter ce rôle et il a beaucoup travaillé de son côté son personnage.
Harvey Keitel a aussi beaucoup travaillé son personnage.
J’ai emmené une équipe française pour le tournage du film. Dès le début du tournage, certains sont venu me voir et m’ont dit que ça allait être pénible de travailler avec Harvey Keitel mais ça c’est finalement bien arrangé.
Harvey a rencontré la costumière et lui a directement dit qu’il allait regarder ce qu’elle avait puis qu’il me montrerait à la fin ce qu’il avait choisi pour son personnage.
Il a procédé de la même façon pour le choix des armes à feu. On les lui a montré et il a été tirer avec toutes pour choisir celle qu’il porterait, même si dans le film il ne l’utilise pas et qu’elle ne sert que d’accessoire à son costume.
Le lendemain de cette journée, après avoir fait ses choix sur les costumes et accessoires de son personnage, il est venu me demander mon avis dessus.
Une autre anecdote concerne son bureau de shérif. Pour des problèmes de droit à l’image, nous avions mis des photos des personnes de l’équipe technique sur les murs. Deux jours avant la scène, Harvey veut visiter son bureau. Il reconnaît sur les photos le chef décorateur et les membres de l’équipe technique. Il nous a fait changer toutes les photos car il ne voulait pas être perturbé par les membres de l’équipe technique accroché au mur derrière lui.
En effet il fonctionne comme cela. C’est pour lui qu’il a fait changer les photos, pour ne pas être perturbé dans sa scène.
Harvey Keitel a le trac quand il tourne une scène. Il a besoin de se sécuriser avec ses costumes et accessoires. Par exemple il positionne son chapeau comme il est porté au Nouveau Mexique.

On attendait un peu plus de tension dans le film. Pourquoi n’avez-vous pas développé plus le personnage d’Harvey Keitel ?
Rachid Bouchareb : le film original montrait l’affrontement entre Alain Delon et Michel Bouquet. A la fin Alain Delon tue le policier. Je ne voulais pas faire prendre à mon film cette direction.
En fait il y a eu plusieurs scénarios et on s’en est de plus en plus éloigné.
Nous étions aussi inquiets que les spectateurs qui connaissaient le film original se disent que ça se finirait de la même manière.

Pourquoi ne pas avoir maintenu tout au long du film la pression du shérif ?
Rachid Bouchareb : j’ai trouvé que c’était trop répétitif. La deuxième scène ressemble à la première, idem pour la troisième. J’ai utilisé le principe d’un film policier. Je voulais montrer la frontière et la surveillance de l’immigration. Je ne voulais pas montrer que le shérif était constamment dans la préoccupation de harceler le personnage de Forest.
Je me suis d’ailleurs inspiré d’histoires vraies dans toutes les scènes qui se passent à la frontière avec le shérif.

Le personnage de Brenda Blethyn est très intéressant. Est-ce un choix de votre part de lui avoir laissé une grande part d’ombre ?
Rachid Bouchareb : dans le film original le personnage de Brenda était interprété par un homme, Jean Gabin. Je voulais que le troisième personnage de mon film soit une femme. J’ai rencontré beaucoup de femmes qui exercent le même métier que Brenda dans le film. Son personnage est constitué de 3 d’entre elles. L’une d’entre elle en particulier a déménagé pour se retrouver dans un environnement où elle pouvait marcher et se décompresser. C’est pour cela que je fais marcher Brenda dans le film.

[Après un échange avec la salle Rachid Bouchareb se rend compte qu’il n’y a plus aucune scène dans le film où on la voir marcher et qu’elles ont toutes été coupées.]

Rachid Bouchareb : cette femme avait une pression terrible en ville dans son travail où elle devait surveiller en permanence, 24 h / 24 et 7 jours / 7, 20 taulards. Ils étaient en effet rattachés à son téléphone portable et son ordinateur personnel jour et nuit.
Cette femme avait un père qui habitait loin d’elle et pas de vie affective avec une relation durable.
Le problème du film est de faire des choix et de couper au montage. Nous n’avons pas développé le passé des personnages pour ne pas encombrer l’histoire.
C’est au moment du montage qu’on rejette ou on accepte des trucs.
Le film nous dicte son itinéraire.

Comment s’est passé le tournage aux États-Unis et l’adaptation de la mise en scène par rapport à l’espace des paysages ?
Rachid Bouchareb : j’ai fait un film dans le Sahara donc je connais le désert et ça me fait une expérience de tournage.
J’ai déjà aussi tourné aux USA en Louisiane et à New York. Toutes ces expériences m’évitent d’être encombré au niveau du tournage et de me focaliser sur l’essentiel.
Lorsqu’on fait du repérage des décors, la position de la caméra devient évidente.
Le décor habite l’histoire. On s’y adapte et ça devient un instinct.
Le tournage dépend aussi des acteurs. Brenda Blethyn bouge beaucoup.
La caméra c’est un outil pour servir l’histoire, pas l’image. D’ailleurs mon cinéma n’utilise pas une technique brillante. Je pose souvent ma caméra sur un pied et ne la bouge pas beaucoup.

Il y a un passage où le couple veut se jeter dans les bras mais ils se retiennent. Avez-vous écrit cette scène comme ça ?
Rachid Bouchareb : oui. Cette scène a été écrite comme ça. Le tournage a duré 2-3 heures. J’en ai parlé avec les acteurs. Ils ont vu les décors et n’ont pas fait de répétition pour garder l’impact émotionnel de la scène.
Quand on a un bon scénario, de bons acteurs, de bons repérages, une bonne équipe technique, qu’on dort et qu’on mange, on fait un bon film.
Nous n’avons pas non plu fait complètement un vrai travail sur l’image. Ce n’est pas possible car il y a plus de 500 plans.
Le film doit servir l’histoire et l’acteur.
La technique ne doit pas détourner l’attention des acteurs. Je l’ai déjà fait et ça ne marche pas. Il s’agit d’une de mes expériences. C’est en faisant des conneries qu’on apprend. C’est pour cela aussi qu’il y a des courts métrages.

Pourquoi ce titre pour votre film ?
Rachid Bouchareb : quand nous faisions du repérage en Arizona et au Nouveau Mexique, nous sommes tombés sur un clan d’Indiens d’Amérique. Ils avaient une cérémonie de "la voie de l’ennemi" (Enemy way). Pour les Indiens d’Amérique, dans leur tradition, "la voie de l’ennemi" était un cercle imaginaire qui devait les protéger du mal et éloigner les envahisseurs grâce à l’âme de leurs ancêtres. J’ai aimé la symbolique et en ai fais le titre de mon film.

Rachid Bouchareb est un homme qui parle avec passion de son film. Ses réponses éclairent ce dernier d’un nouveau jour.
La voie de l’ennemi est un bon film qui souffre un peu de longueurs et de manque de tension mais devrait plaire aux amateurs du genre, notamment grâce à sa distribution (Forest Whitaker, Harvey Keitel et Brenda Blethyn) impeccable et magistrale.
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