Noob : Entretien avec Fabien Fournier

Date : 30 / 11 / 2013 à 17h00
Sources :

Unification-France


Tandis que la Saison 5 de Noob arrive petit à petit à sa fin, Unification a eu l’occasion d’interviewer Fabien Fournier, le papa de la licence pour revenir entre autres sur ses débuts, mais aussi sur la popularité toujours croissante de la série au fil des années qui a mené au désormais célèbre crowdfunding record et sur l’avenir d’Olydri Studio, maintenant que la trilogie filmique s’apprête à éclore. Questions.

Cela fait maintenant plus de 10 ans que tu produis du contenu audiovisuel pour internet, quel changement dans le procédé de diffusion de productions originales sur internet ont été significatifs au fil des années selon toi ?
Sans hésiter, je dirais le streaming. Au tout début, pour proposer une de nos vidéos, nous utilisions des logiciels comme Realplayer, puis DivX. Il n’y avait aucune lecture instantanée possible, l’encodage était très mauvais pour des soucis d’espace et de débit, car c’était du download pur et dur. Difficile de tomber par hasard sur une vidéo et d’en apprécier le contenu dans ces conditions. Aujourd’hui, avec Youtube notamment, les gens peuvent jongler d’un contenu à l’autre, et le jeu des mots clés ainsi que des suggestions permettent une diffusion infiniment plus fluide. Des youtubers comme Joueur du Grenier ont des vidéos vues plus de 3 millions de fois, les records, comme l’atteste le Gangnam Style, ne cessent d’être battus avec un milliard de vues dernièrement. Il s’agit incontestablement de la plus grande révolution en termes de diffusion de ces dernières années, au point que la télévision elle-même a été contrainte de s’y mettre avec les replay.

En quoi tes études en droit des médias et des nouvelles technologies ont permis de t’armer dans l’évolution d’Olydri Studio ?
Mes études de droit m’ont aidé à garder le contrôle sur ma licence. Je ne suis pas un juriste pur et dur, ce n’est pas la carrière que je me suis choisi, mais je sais reconnaître une clause illicite ou tordue. Je peux vous assurer que ces cinq dernières années, j’ai vu passer des contrats qui, si je les avais signé en l’état, m’auraient dépossédé d’une très large partie de la licence Noob, au point d’en bloquer le processus créatif, notamment à l’échelle crossmédia.

Tu possèdes un statut très particulier dans le paysage audiovisuel français, tu n’es ni diffusé au cinéma, ni sur une chaîne hertzienne, pourtant toi et ton équipe générez plus d’affluence qu’un acteur de Stargate à certains événements. Qu’est ce qui peut expliquer cet attachement des fans à votre égard ?
L’expliquer, c’est difficile… Il faut bien garder à l’esprit qu’à notre niveau, nous ne sommes qu’une bande de potes réalisant des vidéos par passion certains week-ends, depuis près de quatorze ans. Pendant huit ans, nous étions totalement anonyme, puis d’un seul coup, nous avons généré des millions de vues et des milliers de personnes font parfois jusqu’à trois heures de queue pour nous voir. C’est totalement fou !
Si je devais me risquer à une explication, je dirais que plusieurs facteurs s’entrecroisent. Le premier, c’est la proximité. Contrairement aux "stars", nous sommes en perpétuel contact avec la communauté via Internet. Le deuxième, c’est le côté "monsieur tout le monde" de notre équipe. Nous n’avons rien de professionnels, nous sommes une bande de potes comme tant d’autres, et je pense que les gens s’identifient à notre aventure en se disant : « Pétard ! Ça pourrait-être moi ! ». Après, il est vrai que nous avons acquis certaines compétences au fil du temps, mais ça reste très roots. De plus, si on l’a fait, n’importe qui peut le faire à son tour, à condition d’avoir une bande de copains fidèle et beaucoup de patience, car comme je l’ai dit, nous faisons cela depuis quatorze ans, et c’est la preuve que nous ne sommes pas attirés par le succès, mais bien animés par une passion sincère. La sincérité est justement mon troisième point. Comme dirait Sparadrap, nous sommes "nature peinture". Nous ne mentons pas sur nos personnalités, nous ne manipulons personne, nous n’employons pas la langue de bois pour défendre tel ou tel intérêt économique, et je pense que ça apporte de la fraicheur. Cette fraicheur prend plusieurs aspects, et ce sera mon dernier point. Nous sommes libres, et ça se sent. Nous sommes affranchis des codes de la télévision, nous sommes précurseurs sur le thème des MMORPG en série live (2002 avec Lost Levels, mine de rien), et nous abordons ces sujets ancrés dans la culture de notre génération sans complexe, en refusant des ponts d’or chez divers producteurs s’il le faut, et ceci pour préserver une certaine façon de raconter des histoires. Je pense que pour toutes ces raisons, les gens nous soutiennent car ils apprécient cette bouffée d’oxygène qui ne prend la place de personne, et n’a aucune autre prétention que celle d’exister en plus du reste.

Comment procèdes-tu lors de l’écriture d’un épisode de Noob  ? Il y a t-il eu des variations au fil des saisons ?
C’est très simple. Dans une saison, je sais d’où je pars, je sais où je vais, je connais les points cruciaux par lesquelles je dois passer, mais j’ignore totalement comment je vais atteindre mon but. Nous sommes une bande de potes bénévoles, et si je n’ai pas à me plaindre s’agissant de la disponibilité des uns et des autres, il n’en est pas moins vrai que je n’ai aucune volonté d’imposer une présence obligatoire à chacun. Du coup, je m’adapte. Je m’oblige à bosser tous les personnages que je crée en leur faisant porter une partie de l’intrigue à un moment ou un autre, pour soulager ceux et celles qui ne peuvent pas tourner certains week-end. C’est à mon avis, une des raisons du succès du scénario de Noob. Si la ligne était tracée du début à la fin, je m’ennuierais ferme. Cet exercice me pousse sans arrêt à me torturer l’esprit pour chercher des rebondissements, des liens, des ramifications, etc… Je suis auteur, mais aussi spectateur et fan de ces personnages. Je les laisse me surprendre à longueur d’année. Néanmoins, je nuance cependant en précisant que je sais où sont mes limites. Lorsqu’on arrive à un checkpoint nécessitant tel ou tel personnage, je suis prêt à attendre le temps qu’il faut pour tourner la scène adéquate. Toute la subtilité consiste à savoir quand la flexibilité sert l’histoire, et quand ça devient "capilotracté".

Avec l’arrivée en production des trois films, va t-il y avoir un chamboulement au niveau de l’écriture par rapport à la série ? Chaque film formera t-il une histoire complète (à la manière des premiers Harry Potter) ou bien aurons nous une seule et unique quête sur toute la Trilogie (comme celle du Hobbit) ?
Les trois films seront une seule histoire divisée en trois chapitres, mais le tout sera bourré de sous-intrigues qui s’entrecroiseront. De ce fait, nous tournerons tout d’une traite, dans l’ordre ou dans le désordre, peu importe. Ma structure scénaristique sera beaucoup plus précise, à l’image de celle de mes romans, mais là encore, je garderai une certaine flexibilité. Les textes ne seront plus écrits la veille, car il y aura des répétitions, mais je n’ai aucunement l’intention de chambouler mes habitudes au-delà d’un certain point. Disons plutôt que cette trilogie fusionnera mes méthodes de travail pour la web-série, les romans et les bande-dessinées.

Tu as toujours voulu garder une certaine indépendance par rapport à de grosses sociétés de production, penses-tu que c’est cette stature d’outsider qui permet ton succès aujourd’hui ou il y a t-il autre chose ?
Pas forcément. Je pense que cette volonté de s’affranchir des règles imposées par le système déjà en place nous octroie une certaine sympathie, mais ce n’est pas, à mon sens, la raison première du soutien de notre communauté (évoquée plus haut). Lorsque les choses évolueront, et que ceux qui détiennent les gros budgets verront qu’il existe une autre manière de raconter des histoires, alors rien n’empêchera de voir un reboot de Noob fidèle à son essence première dans cinq ou dix ans, que ce soit en MMORPG, en dessin animé, en film de cinéma ou en série TV. Pour l’heure, le thème est trop référencé pour cela, et serait réduit à l’état de coquille vide si on devait l’adapter pour une chaîne grand public. Peu à peu, les choses évoluent, il n’y a qu’à voir la profusion de chaînes spécialisées, dont Nolife, qui a révélé au grand jour des phénomènes comme Nerdz, Flander’s Company, Noob ou Visiteur du futur.

Tu as créé Le blog de Gaea avec Anne-Laure Jarnet, une websérie parodiant le système des Youtubeurs. Qu’est ce qui a motivé sa création ? Une volonté d’étendre l’univers de Noob ou autre chose ?
Je suis un grand fan du crossmédia, mais aussi du transmédia et des spinoffs, à condition que cela apporte à chaque fois quelque chose. Le Blog de Gaea était très présent dans l’univers de Noob, mais nous n’en voyions quasiment jamais le contenu. Un personnage aussi espiègle que Gabrielle Jolivet avait forcément un fort potentiel en termes d’humour axé sur le monde geek. Avec Anne-Laure, on a trouvé intéressant le fait de développer cette branche IRL de Noob, qui pourrait carrément faire l’objet d’une autre web-série à part entière. Cela permet de traiter tout un tas de sujet annexes et complémentaires à ceux de Noob. Pour le moment, ça bouchonne un peu côté projets, mais le Blog de Gaea a un très grand avenir devant lui. On y travaille.

Le 3 mai 2013, quelques heures avant le lancement du Ulule de Noob, quels éléments te permettaient d’espérer qu’au moins la barre des 35.000 € nécessaires au projet soit atteinte ?
En fait, depuis plusieurs années, je recevais beaucoup de messages de fans désireux d’aider Noob via des dons. Certains franchissaient spontanément le pas, et devant l’ampleur que cela prenait, je voulais tenter l’expérience, mais avec un cadre juridique clair, avec des contreparties équilibrées, et une certaine rigueur. Je me suis donc naturellement tourné vers le phénomène du crowdfunding, qui faisait pas mal de bruit outre Atlantique avec des projets comme Véronica Mars. J’ai attendu plusieurs mois en bossant mon budget, afin de faire coïncider la date de lancement avec l’approche de la fin du premier cycle de Noob. Il était important de prouver aux gens que nous allions au bout de nos projets avant d’en soumettre un autre. Annoncer 5 saisons de but en blanc en avait fait rire plus d’un à l’époque, mais nous l’avons fait. La volonté de proposer un nouveau cycle sous forme de long métrage n’avait rien d’insurmontable au vu de ce que nous avions créé jusqu’à aujourd’hui (web-série, BD, romans), mais il est clair que je n’avais aucune garantie de rassembler les fonds. J’étais tout à fait prêt à accepter la possibilité d’un échec, j’aurais revu ma copie, et j’aurais fait une nouvelle tentative dans quelques années, ou j’aurais essayé de financer ce projet autrement, comme pour les saisons de nos web-séries. Évidemment, nous n’aurions jamais atteint 682.000 euros.

Le livre "Gestion d’un crowdfunding à succès pour les nuls" n’a pas encore été inventé, quelles mesures as-tu donc prises en premier lieu pour gérer une telle somme ?
En fait, l’essentiel de la gestion se fait en amont ou pendant la collecte. Par exemple, à chaque nouveau palier, nous avons fait chauffer les mails et les téléphones pour demander des devis, et étudier ce qu’il serait intéressant de proposer aux contributeurs. Nous n’avons rien proposé au hasard, nous ne nous sommes pas emballés, mais il est clair que nous avons été très ambitieux. Une véritable boite de prod n’aurait jamais proposé une trilogie sur le thème de la fantasy, avec le matos et les FX que ça implique pour 682.000 euros. Ce n’est même pas le budget d’un film de cinéma sans le moindre effet spécial. Nous avons conscience qu’il s’agit d’un projet financé par Internet, taillé pour Internet et créé par des Internautes bénévoles. C’est une expérience que nous allons faire sur notre temps libre, tout l’argent est destiné au matériel et aux récompenses, puis nous verrons bien si cela fait bouger les choses, mais le but premier de tout ceci, c’est de poursuivre l’aventure trois ou quatre crans au-dessus, le tout au service de la licence Noob.

La Saison 5 de Noob n’est pas encore terminé, mais peux-tu déjà nous donner quelques éléments sur les nouveautés que tu souhaites apporter à la série dans la Trilogie ?
Je pense que ceux et celles qui ont lu les romans Noob ont déjà une bonne idée de ce que seront les films. Je vais mettre en avant le background de l’univers, là où la web-série doit s’appuyer sur de la comédie pure et dure, faute de moyens. On y retrouvera tous les ingrédients de la web-série, mais avec des situations inédites à l’image des cinématiques dans World of Warcraft, ou Final Fantasy (toutes proportions gardées), mettant en scène des PNJ charismatiques. Par exemple, quand vous venez à bout d’Arthas dans WoW, vous vous dites que c’est juste énorme ! Ce n’est pas n’importe qui ! Ce n’est pas qu’un vulgaire boss en armure, mais un personnage complexe ayant une influence réelle sur le monde d’Azéroth. Et bien ici, c’est le même principe. Nous allons tourner partout en France, avec davantage d’intervenants pour peupler le monde d’Olydri, avec du super matos, des costumes impressionnants, etc…

Pour finir, as-tu des idées sur la manière avec laquelle tu comptes rendre pérenne Olydri Studio ? Penses tu avoir recours à un nouveau crowdfunding à l’avenir ?
Si je dois recourir à nouveau au crowdfunding, ce sera uniquement si la trilogie est un succès, si les contributeurs sont satisfaits de leurs récompenses, si un projet en vaut la peine, et demeure hors de notre porté. S’agissant d’Olydri, je vais essayer de faire en sorte qu’un modèle économique juste soit mis en place, pour nous aider à rester totalement indépendant. Je ne me fais pas d’illusions, et je sais parfaitement que nombre de contenus issus d’Internet vont se développer en s’intégrant au monde économique traditionnel. C’est une excellente chose, mais en ce qui nous concerne, si nous restons avec nos trois bouts de ficelles, nous disparaîtrons tôt ou tard, torpillés par notre propre indépendance. Si je mets en place les outils pour permettre à ceux qui nous suivent, de nous maintenir en vie via les produits dérivés, la publicité au début des vidéos (gratuites à jamais), de l’événementiel ou autre, alors nous pourrons évoluer proportionnellement à notre mérite. A contrario, si nous créons du contenu qui ne plait plus aux gens, et bien nous disparaîtrons tout naturellement. Dans un cas comme dans l’autre, nous restons libres de raconter des histoires comme bon nous semble, et nous n’avons de comptes à rendre qu’aux fans qui nous sanctionnent ou nous récompensent en regardant nos contenu, en achetant des produits dérivés pour se faire plaisir, ou au contraire, en allant chercher leur compte vers d’autres horizons. Je ne vois pas plus équitable comme procédé.


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